3.2.2.5. Confectionner des tartes et des gaufres

A Saint-Etienne-du-Bois, chaque personne a un répertoire plus ou moins large de variantes de tartes : des plus courantes comme la tarte à la crème, les tartes aux fruits dont la tarte aux pommes est la plus répandue, la tarte au sucre, la tarte au fromage ou la tarte à la frangipane à des variantes moins fréquentes comme la tarte à la paria, la tarte au pourri ou fromage fort* ou celle à la courge. A ces variantes, il faut ajouter les préparations, assez courantes, des quiches ou des pizzas qui sont souvent citées lorsque le sujet des tartes et galettes est abordé. Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons uniquement aux tartes locales et en particulier aux plus courantes d’entre elles, à savoir les tartes à la crème, au sucre, au fromage et à la frangipane. Plusieurs tartes sont souvent préparées en même temps à partir de la même pâte à tarte.

En Bresse, les pâtes couramment préparées pour les tartes relèvent de deux grandes catégories : la pâte brisée et la pâte levée. La pâte feuilletée est peu utilisée dans les préparations domestiques, mais également peu courante chez les artisans. Le terme de pâte sablée n’a pas été utilisé par les informateurs, pourtant il semble qu’il aurait parfois mieux convenu que celui de pâte brisée, pour désigner certaines des préparations décrites. Les pâtes levées, briochées, sont souvent considérées comme caractéristiques des tartes locales, comme spécifiques de « la vraie tarte bressane », probablement en raison de l’habitude autrefois d’ajouter à la pâte à pain (une pâte levée) des oeufs ce qui donnait un aspect brioché. Ces pâtes, étalées à la main ou au rouleau à pâtisserie, sont généralement cuites à même la plaque de cuisson, sans l’intermédiaire d’un moule à tarte contrairement à la pâte brisée. Les recettes des pâtes levées sont assez variées, certaines personnes préparent une pâte très briochée, d’autres moins, certaines utilisent de la levure de boulanger, d’autres de la levure chimique, parfois l’une ou l’autre en fonction des occasions : « ‘la levure de pain, t’en achètes un petit peu, elle reste après, c’est foutu. Si tu la gardes huit jours, quinze jours... tandis que la levure Alsacienne, c’est en paquet. Alors la levure de boulanger, c’est pour la vogue, quand j’en fais beaucoup. Tandis que là, je l’ai fait à l’Alsacienne parce que tu vois, il me prend l’envie de faire une tarte moi, puis ça y est’ ».

Cette cuisinière ajoute à sa pâte à tarte du lait et de la crème fraîche, comme le révèle cet extrait d’entretien :

‘- « je mets du lait coupé à l’eau, pas beaucoup. Et après je mets du beurre, un peu de beurre, quelques morceaux comme ça, faut le faire tiédir s’il est froid, quand c’est tiédi, juste que le beurre est mou, alors j’y mets dans mon plat, je mets une petite cuillérée de crème, et un oeuf et j’y mélange bien, et puis un peu de sel, puis j’y mélange bien et après je mets de la farine. Je la mets pas toute à la fois parce qu’il ne faut pas que ce soit trop dur. J’en mets à mesure et puis... ben après je la lève, je la pétris bien et quand elle décolle de la main, ben après, je l’étends sur mon papier. J’avais un rouleau en bois, mais je l’ai cassé, alors je fais avec une bouteille. Le papier, s’il est beurré ben je mets un peu de la farine quand même dessus autrement ça colle.’ ‘- Et la levure, vous la mettez quand ?’ ‘- Ah ben, je la mets en même temps, avec la farine. Voilà.’ ‘- Et vous la laissez reposer ? ’ ‘- Oh pas longtemps parce que ben, on n’a pas le temps. Celle pour la vogue, oui, je la laisse lever mais là, ben... le temps que je prépare mon fromage, voilà ». ’

A partir de cette pâte, elle confectionne des tartes au fromage, des tartes à la frangipane, des tartes à la crème et « ‘quand j’en ai un peu de reste, j’en fais une au sucre des fois. Je mets du beurre en petits morceaux sur la pâte mais je mets le sucre avant, ça fait une tarte au sucre’ ». La logique de la récupération est à nouveau de rigueur.

Aux dires des informateurs, la pâte levée réclame, plus que la pâte brisée, un savoir et un savoir-faire tels que la manière de malaxer la pâte ou la prise en compte de la température de la pièce et des ingrédients. « ‘Quand il fait bien chaud, je la laisse moins lever’ » explique une Stéphanoise qui cuisine à l’estime, tandis qu’une autre personne, plus théorique, précise qu’il faut que la somme des trois chiffres obtenus en mesurant la température de la pièce, celle des ingrédients et celle de l’eau face 60, c’est-à-dire précise-t-il que si la pièce est à 20°, que la farine et les oeufs, stockés dans la même pièce, sont aussi à 20°, il faudra ajouter de l’eau à 20° également afin d’obtenir le chiffre de 60. Autrement dit, « ‘il y en a qui n’ont pas la bonne recette ou qui n’ont pas la main pâtissière’ », si bien que ce n’est pas toujours une pâte levée qui entre dans la confection des tartes, que ce soit par manque de maîtrise ou de disponibilité : « ‘si j’ai le temps, je prépare ma pâte à tarte le matin et je la laisse lever, ça me fait une pâte briochée, on appelle ça, n’est-ce pas ? Et si j’ai pas le temps, je fais une simple pâte’ ». Maintenant, la pâte brisée est, dans de nombreuses familles, plus courante que l’autre. En effet, elle nécessite moins de temps de préparation, moins de temps de repos, moins d’ingrédients, moins de compétence, d’où le qualificatif parfois employé pour la désigner de « simple pâte ». Par ailleurs, quelques personnes, piètres cuisinières, préparent des pâtes qui leur semblent encore plus rapides à préparer : « ‘moi je fais une pâte Tuperware, vous savez, je ne me complique pas la vie. Un peu d’huile... Enfin, je fais bien quelquefois aussi la vraie pâte brisée, là. Quelquefois, je fais bien de la pâte à pain mais enfin je ne suis pas vraiment une spécialiste, vous savez qu’on fait lever là ’». D’autres personnes enfin, généralement parmi la jeune génération, achètent également des pâtes toutes prêtes.

Les tartes sont garnies de divers appareils. Si autrefois elles étaient essentiellement confectionnées à partir des ingrédients produits à la ferme, ceux-ci doivent désormais souvent être achetés. Mais la logique de récupération est sollicitée dès que l’occasion se présente. En effet, les préparations varient en fonction des savoirs et savoir-faire des cuisinières mais aussi des ingrédients dont elles disposent « ‘tout dépend ce que je me trouve d’avoir’ ». Ainsi, une cuisinière raconte qu’elle voulait faire le week-end précédent une tarte avec une courge de son jardin mais celle-ci ayant gelé, elle a donc opté pour une quiche : peu importe pourvu que ce soit une tarte ! De même, entre tarte au sucre et tarte à la crème, une autre informatrice précise qu’elle prépare plus souvent la première version car « ‘je n’ai pas toujours de la crème’ ». En quelque sorte, la nature de la garniture semble secondaire ; ce qui importe c’est la confection d’une tarte.

Nous avons assisté à plusieurs occasions à la fabrication de tartes lors de fêtes associatives mais jamais à des préparations familiales. Les conversations ont néanmoins souvent porté sur ces produits et nous avons recueilli un certain nombre de recettes.