Le goût

De manière générale, le bon ou le mauvais goût d’un aliment est avant tout culturellement et socialement défini : telle saveur est appréciée et valorisée par la société à laquelle appartient l’individu ou au contraire rejetée et dépréciée.

La gustation, bien entendu, entre grandement dans la caractérisation des productions locales. Néanmoins toutes n’ont pas une saveur très spécifique, ce qui confirme que l’identification des aliments est polysensorielle et non réduite à la dimension gustative. Le goût n’est sollicité comme singulier par l’ensemble de la communauté que pour certaines d’entre elles. Ainsi à propos du fromage fort, la question de la saveur arrive immanquablement : « ‘ce n’est pas si fort que ça’ » déclarent généralement les consommateurs. Des fromages blancs, mais surtout de la crème fraîche, on évoque leur plus ou moins grande acidité (étrangement l’adjectif « douce » est peu employé pour qualifier la crème : les Bressans disent plus volontiers « épaisse » et à l’inverse « acide »). Les volailles sont réputées pour leur saveur subtile et fragile ; les courges sont considérées comme fades, leur faible sapidité étant unanimement reconnue, d’où l’importance accordée aux autres ingrédients qui composent le gratin. Par contre, tous les consommateurs attestent la saveur sucrée de la melone : il s’agit même d’une spécificité gustative des plus consensuelles. Si le goût du beurre fabriqué par les coopératives laitières locales est particulièrement apprécié, les consommateurs ont du mal à identifier la saveur vantée par les professionnels : « ‘alors à Etrez, leur publicité, ils disent c’est du beurre, goût de noisette. Moi je ne trouve pas le goût de noisette mais enfin bon. Mais il est bon’ ». Comme la saveur du beurre dépend grandement de l’alimentation des vaches, la nature des herbages, sur les zones de collecte du lait des diverses coopératives laitières ainsi que les variations saisonnières ne sont pas neutres : selon les lieux et les saisons, le goût du beurre est différent. Quant aux gaudes , si elles ont un goût bien particulier, les consommateurs expriment des difficultés à le décrire. « ‘Je trouve que malgré tout ça a un petit goût un peu spécial ’» reconnaît une amatrice. Mais ceux qui n’apprécient pas cet aliment choisissent des comparaisons guère valorisantes telle cette jeune Stéphanoise : « ‘ça a un goût de farine. C’est ce que ma mère me dit, elle me dit “ça a un goût de farine”’ ».

A l’instar des effets sur la consistance, la température des aliments intervient sur la gustation : selon la température les saveurs sont plus ou moins perceptibles. A titre d’exemple, la sensation salée, pour des raisons physico-chimiques, est moins évidente lorsque les aliments sont chauds. Hervé This explique qu’» avec les protéines des aliments, le sel forme des constructions moléculaires, stables à froid mais détruites par la chaleur. Le sel ayant ainsi formé ce que les chimistes nomment un complexe ne peut stimuler les papilles : voilà pourquoi une partie du sel seulement donne le goût salé, à froid, et voilà pourquoi, à concentration égale en sel, les produits crus semblent moins salés que les produits cuits et chauds »311. Pour cette raison, empiriquement reconnue, les Bressans établissent au moment de la fabrication du civier un rituel d’évaluation et insistent sur l’excès de sel nécessaire afin que celui-ci soit suffisamment salé une fois froid.

De manière globale, il ressort que le système de valeur gustatif bressan se porte sur des saveurs douces voire fades (celles de la crème, du poulet, du dinno nature, aux haricots ou à la courge), sucrées mais également sur certaines acidités (le fromage blanc, le vinaigre), proches de l’aigrelet (caillat, tarte ou flan de fromage). Hormis quelques aliments et condiments, les goûts forts et marqués sont peu recherchés : rareté des épices et de la viande de mouton, absence de charcuteries fumées, etc.

Notes
311.

Hervé This, 1993, p.19.