Le son que produisent les aliments, que ce soit sous l’action de la chaleur, du mouvement ou lors de l’absorption participent à leur identité. A propos des catégories culturelles d’aliments, Roland Barthes remarque qu’il existe aux Etats-Unis d’Amérique une catégorie appelée crisp ou crispy : « ‘le crisp désigne tout ce qui crisse, craque, grince, pétille, des chips à telle marque de bière ’»313. La dimension auditive des aliments est centrale dans cet exemple. Néanmoins, parmi les productions locales, seuls les gaufres bressans, qui sont appréciés les plus croustillants possible, sont repérés et caractérisés de manière évidente par une sonorité particulière.
Chaque production traditionnelle bressane est examinée et évaluée à partir d’une ou quelques caractéristiques organoleptiques, retenues de manière consensuelle par la société. Ce sont ces critères, collectivement partagés, qui participent prioritairement à la définition de chaque production et qui servent à la repérer comme telle. Au-delà de ces repères, le produit peut, sans pour autant perdre son identité, varier selon la sphère de production, les occasions, les fabricants, etc.
Néanmoins, et contrairement à la stabilité et la régularité des produits standardisés de la grande distribution, les critères identitaires des productions locales et traditionnelles connaissent une certaine variabilité et sont plus ou moins marqués : la melone qui se définit par sa saveur sucrée est, selon les fois, plus ou moins sucrée, la tarte à la frangipane plus ou moins jaune, la crème plus ou moins épaisse, etc. Ces variations incitent le consommateur à observer ce qu’il mange et facilitent la discussion autour du produit, qui n’est jamais tout à fait le même : il prend alors une fonction sociale. De plus, par de multiples comparaisons d’une consommation à une autre, le mangeur devient connaisseur et arrivent à évaluer les frontières au-delà desquelles l’aliment perd son identité. Trop rose, le civier n’est plus vraiment du civier mais devient un banal fromage de tête ; trop égoutté, le fromage blanc change de statut et devient un fromage à part entière qui n’est plus sucré par ceux qui sont habitués à ce mode de consommation ; sans cette odeur de grillé, les gaudes ne sont pas de bonnes gaudes, etc.
Roland Barthes, 1970, p.311.