4.2.3. Un peu de gelée mais pas trop pour le civier

L’attachement des consommateurs de civier repose également sur de subtils détails. Ils sont excessivement exigeants vis-à-vis de certaines caractéristiques. Ainsi, de manière consensuelle, les amateurs insistent sur la taille des morceaux de viande entrant dans cette charcuterie et sont très vigilants vis-à-vis de cette technique : « ‘la base de la fabrication du civier, c’est que ça soit pas broyé, que ça soit découpé... Découpé’ ». Ils font inéluctablement référence au hachage mécanique ou électrique qu’ils rejettent catégoriquement : « ‘il ne faut pas que ce soit moulu, c’est pas de la viande hachée !’ », « ‘elle n’est pas moulinée’ », « ‘c’est pas passé au mixeur’ » précisent-ils. Tous expriment en effet de l’aversion pour la viande coupée trop menu : « ‘c’est pas bon’ », « ‘j’aime pas c’te bouillie’ », « ‘c’est sûrement immangeable’ ». Néanmoins, si quelques morceaux peuvent être identifiables  (« ‘on sait que “tiens voilà un morceau de langue, voilà un morceau de...” ’»), l’aspect général est assez homogène du fait d’une très longue cuisson : « ‘quand c’est bien cuit, ça se défait, ça se tourne un peu en compote, comme on dit ’». Exprimant toute cette subtilité une informatrice précise : « ‘c’est pas des gros morceaux, mais c’est bien un petit peu coupé quoi’ ». En somme, si les morceaux doivent être relativement fins, ils ne doivent pas l’être trop pour autant : la nuance est ténue ! L’exigence, difficile à percevoir pour une personne extérieure, est pointue pour un résultat bien spécifique.

Le même degré de précision porte sur la quantité de gelée que doit présenter cette charcuterie. A nouveau les consommateurs insistent sur la présence indispensable de cette substance, mais qui ne doit pas pour autant être en proportion trop importante : « ‘il n’en faut pas trop parce que... c’est de l’eau quoi !’ ». Mais un civier ayant trop peu de gelée ne serait pas non plus apprécié, car la gelée a la propriété de lier les morceaux. Cet équilibre est d’autant plus important que, si la gelée a le mérite de faire se tenir le civier, nous avons vu qu’elle est perçue comme n’étant que de l’eau, c’est-à-dire une denrée sans valeur par opposition à la viande : trop en mettre dévaloriserait la charcuterie. La même recherche de proportionnalité se pose concernant la quantité de carottes, qui, elles aussi de moindre valeur, ne doivent pas être trop nombreuses tout en étant un apport esthétique incontestable.

En somme, le civier a une apparence bien marquée en raison de toutes les subtilités et les précisions relatives à sa fabrication : utilisation des pieds du porc, proportion de gelée, taille des morceaux, longue cuisson, absence d’autres légumes que les carottes, etc. Toutes ces nuances permettent de le distinguer des fromages de tête que l’on trouve dans d’autres régions et qui reposent sur d’autres subtilités.