4.2.4. « Il faut épais de quemô »

Concernant les diverses tartes, les consommateurs bressans sont attentifs à deux principaux éléments : ils évaluent la nature à la fois de la pâte et de la garniture. Effectivement, ceux-ci sont attachés, en fonction des tartes, aux types de pâte préparée. Ainsi pour les tartes à la crème et les tartes au sucre, une pâte levée, briochée est normalement attendue. Par ailleurs, les subtilités dont font l’objet les préparations des pâtes à tarte reflètent la finesse de perception des consommateurs à propos de cet aliment. Nous avons constaté les nuances effectuées par les cuisinières : en fonction des occasions, celles-ci confectionnent leurs pâtisseries à partir de levure de boulanger ou de levure chimique, laissent reposer ou non le mélange, l’étalent dans un moule ou le déposent à même la plaque du four. Certaines précisent des détails qui révèlent le soin apporté à cette denrée : elles ajoutent un oeuf, de la crème fraîche, un peu de lait, etc. Dans certaines familles, chaque type de tarte est élaboré à partir d’une pâte légèrement différente des autres.

Les garnitures font, elles aussi, l’objet de fines nuances. La crème et le beurre peuvent être étalés avec parcimonie sur la pâte ou au contraire la recouvrir en abondance : le résultat est clairement différent. Cette dernière version est celle qui est la plus courante et la plus appréciée en Bresse. Ainsi, dans certains cas, le beurre a été répandu en telle quantité qu’il forme sur la tarte une couche épaisse qui rappelle la crème. Ces tartes au sucre ont alors un aspect fort différent de celles qui sont confectionnées dans le Bugey, à partir d’une pâte briochée très levée et garnies d’une quantité moindre de beurre et de sucre. L’attachement des consommateurs dans chaque région pour un type ou un autre de tartes s’exprime au travers d’adjectifs qualificatifs éloquents : en Bresse, ces tartes très gonflées sont souvent qualifiées de « bourratives », « sèches », alors que dans le Bugey, celles abondamment enrichies de crème ou de sucre sont généralement considérées comme « écoeurantes ». De manière générale en Bresse, les tartes sont appréciées quand elles sont généreusement garnies. Cette préférence s’exprime à travers une anecdote racontée de manière analogue d’une famille à une autre : « ‘pour qu’une tarte soit bonne il faut qu’il y ait du quemô jusque là’ » précisent les amateurs en apposant leur index sous le nez et le pouce sur la lèvre inférieure afin de mimer l’épaisseur des tartes. Originaire d’une autre région, ce gendre a noté cette prédilection locale : « ton père » fait-il remarquer à son épouse à propos des tartes à la frangipane « ‘quand il mange une tarte, il dit “faut que le nez trempe dedans” ! Faut en mettre épais, pas qu’une lichette’ », avant d’ajouter « ‘et même une tarte à la crème, quand on la faisait au four, ben, il mettait pas qu’une cuillérée de crème et puis voilà ! Y a DE LA CREME, pour dire que quand tu coupes, y a de la crème quoi !’ ». Et pour complimenter une cuisinière, il est d’usage de déclarer qu’» ‘il y a épais de quemô’ ». Cette opulence, probablement autrefois signe de prospérité et de générosité, est encore une marque de qualité de la préparation.