4.2.5. Un regard aiguisé sur les volailles

Enfin, en raison de leur grande proximité avec les volailles, les Bressans sont très exigeants vis-à-vis de cet aliment. L’oeil des consommateurs est averti pour juger la qualité des gallines tant vivantes que mortes. L’évaluation des volailles de Bresse repose sur un ensemble de critères spécifiques à cette race, reconnus et partagés par la population locale. Ces critères sont d’autant plus consensuels qu’ils sont clairement définis et rapportés dans le cahier des charges de l’appellation d’origine. En raison de la présence de ce document écrit, ils présentent une grande stabilité. En effet, contrairement à l’oralité, l’écrit impose la conformité et la fidélité à la norme et entraîne une certaine fixité321. Le jugement du 22 décembre 1936 précise, entre autres caractéristiques morphologiques, : « ‘plumage blanc gris ou noir, jambes et pattes fines bleu acier vif ou décolorées et entièrement lisses’ », « ‘chez le coq, crête droite à grandes dentelures ; chez la femelle, crête à grandes dentelures tombant sur le côté de la tête, barbillons rouges, oreillons blancs légèrement sablés de rouge’ » pour les volailles vivantes et « graisse blanche » pour les volailles mortes (Cf. Annexe 3).

Les Bressans sont très attentifs à l’aspect esthétique de ces volailles, surtout lorsqu’il s’agit des volailles grasses. Pour ces dernières, si les principaux critères sont identiques (pattes bleues, peau blanche, etc.), d’autres sont bien spécifiques. Le corps doit être dense, surtout pour le chapon, le moulage parfait, le chaponnage réussi (ce qui se traduit par l’absence de crête), la saignée propre, la peau lisse, sans éraflure, etc. La blancheur de la peau étant l’une des principales qualités recherchées et observées par les connaisseurs, les éleveurs, surtout lorsqu’ils concourent aux Glorieuses, s’efforcent par tous les moyens de l’obtenir : ils nourrissent, en fin de cycle, les gallines avec du maïs blanc et du lait de vache, réputés favoriser la blancheur des volailles ; ils les saignent le plus soigneusement possible afin qu’aucun caillot de sang ne marque la peau. Puis les volailles sont baignées afin « de les blanchir ». Quant au tissu, s’il est précisé dans l’arrêté de décembre 1989, qu’il s’agit d’une toile végétale, c’est sa couleur - blanche - qui est le plus souvent précisée par les éleveurs : « ‘les volailles sont roulées dans un tissu blanc’ » entend-on le plus souvent, sous-entend que ce qualificatif est important. Le lait dans lequel ce tissu a pu être trempé participe également à blanchir les volailles. Rappelons que parmi les trois races préalablement retenues pour bénéficier de l’appellation d’origine, seule celle au plumage blanc est maintenant tolérée. Ainsi, l’esthétique privilégiée par les amateurs est celle d’une bête la plus exsangue possible, celle d’une bête qui s’oppose sur le plan symbolique à un animal sauvage caractérisé par la noirceur de sa viande. D’ailleurs, la préparation la plus valorisée, celle à la crème, vise à nouveau à blanchir le mets. La volaille de Bresse est l’animal domestiqué par excellence.

C’est donc par rapport à cette esthétique spécifique, qui tend vers la perfection, que les consommateurs connaisseurs se réfèrent pour évaluer les volailles grasses.

Notes
321.

Laurence Bérard, 1996, p. 139.