4.2.6. Supériorité des produits au lait cru

Un grand nombre de Bressans reconnaissent leur préférence pour la crème, le beurre et les fromages blancs de Bresse et les distinguent clairement des produits génériques. A titre d’exemple, du beurre de la coopérative d’Etrez, nombre de Bressans déclarent comme cette personne : « ‘il est très très bon. C’est celui qu’on aime le mieux’ ». L’attachement des consommateurs s’exprime à nouveau par des exigences pointues vis-à-vis des caractéristiques de ces productions : leur supériorité gustative est celle qui revient le plus souvent. Mais ces subtilités ne sont pas perçues et partagées par tous les Bressans : certains ne notent ni spécificité ni supériorité des productions bressanes. Ils se fournissent indifféremment en produits génériques. D’autres, également peu attentifs, qui s’approvisionnent en grandes surfaces ou en épiceries, choisissent toutefois les productions locales, souvent inconsciemment. A plusieurs reprises, alors que nos interlocuteurs étaient incapables de préciser l’origine géographique des produits qu’ils achètent habituellement, il s’est avéré qu’il s’agissait de productions bressanes. D’autres enfin savent qu’ils privilégient ces productions locales mais sans être capables d’argumenter leur acte autrement que par l’habitude : « ‘ma mère prenait toujours du beurre et de la crème d’Etrez, je fais pareil ’».

Si les produits laitiers bressans ne sont pas forcément perçus comme supérieurs, ceux qui sont fabriqués au lait cru font l’objet d’un engouement unanime, ce qui était le cas à Saint-Etienne-du-Bois. Les Stéphanois opposent alors distinctement les productions laitières pasteurisées et celles au lait cru. Les premières sont présentées comme étant « plus neutres » et les secondes comme ayant « plus de saveur ». La crème pasteurisée, assimilée à un produit de grande surface, est accusée d’être « trop liquide » (« elle se tient pas, elle coule »), tandis que l’autre, « plus grasse », « plus épaisse » est préférée. Cette dernière est considérée comme « naturelle », n’ayant « pas le même goût » et se conservant mieux (« ‘on gardait notre crème trois semaines au frigo, sans problème ’»). Alors que la crème pasteurisée, « ‘si elle est ouverte depuis quelques jours, ça fait un petit peu de liquide ’». De plus, cette crème au lait cru s’accorde mieux avec les fromages blancs qui sont, eux aussi, meilleurs à la fromagerie : « ‘quand c’est la période des fromages blancs, mon père va en acheter à la fromagerie, et il va prendre la crème là-bas. C’est vrai qu’on trouve que le fromage blanc est meilleur avec cette crème là qu’avec de la crème quelconque’ ». Quant au beurre produit à la coopérative, il bénéficie de la même supériorité : « ‘ça m’arrive de prendre une plaquette de beurre dans un supermarché, du beurre de Normandie, je trouve qu’il n’a point de goût, il a de la couleur mais il n’a pas ce goût, ce goût là. Il n’a pas le goût de la Bresse’ ».

La crème fait l’objet d’une connaissance et d’une attention pointues : les cuisinières notent son épaisseur, la présence de petit lait, sa fraîcheur, ainsi que sa saveur. Elles adaptent la texture de la crème aux diverses utilisations : ainsi, si elles achètent quelques jours à l’avance les pots nécessaires à l’élaboration du poulet à la crème afin que celle-ci soit suffisamment épaissie, à l’inverse elles rajoutent du lait, voire de l’eau, pour la « dédoubler » et la servir avec les fromages blancs : « ‘ça arrive, quand on veut servir, par exemple, en fin de repas un fromage blanc, quand la crème est trop dure, c’est même pas du lait qu’il faut mettre, c’est un tout petit peu d’eau. Et bien remuer notre crème’ ». La crème est incontestablement une denrée maîtrisée par les consommateurs bressans.