5. Mises en exposition des productions locales

Considérant, à l’instar de Jean Davallon, qu’il « ‘est question d’exposition [quand] : un espace est organisé, aménagé ; des objets sont désignés comme remarquables ; quelque chose est présenté, montré, mis en scène à l’attention d’un spectateur’ »360, il apparaît que l’alimentation locale peut faire l’objet de mises en exposition. En effet, ce domaine présente à la fois un aspect privé, comprenant des actes réalisés dans l’intimité du foyer, et un aspect public, observable au travers de présentations accessibles à autrui. Par la « publicisation » de certains aliments, de certaines pratiques, puisés dans le corpus alimentaire local ou élaborés pour l’occasion, le groupe se révèle et marque son altérité. Car l’alimentation étant vecteur de l’identité collective, rendre public ses pratiques alimentaires consiste à exhiber sa spécificité.

Etant donné que « ‘la notion de patrimoine, au sens où l’emploient les ethnologues, est liée à l’identité des sociétés, à leur manière de se percevoir comme de se différencier des autres groupes humains’ »361, il ressort que certaines mises en exposition des productions locales prennent la forme de patrimonialisation, c’est-à-dire d’actions qui attribuent à des pratiques ou des produits le statut d’objets patrimoniaux, d’objets « ‘par lesquels un groupe donne à voir à un moment donné son identité dans un temps donné ’»362. Dans un tel contexte, la mise en exposition, qui désigne des objets qui ont du sens pour le groupe, s’adresse non seulement à ses membres mais également aux groupes extérieurs. « ‘Désignation, authentification et appropriation sont les phases obligées de ces processus de patrimonialisation que les campagnes contemporaines nous donnent aujourd’hui l’occasion d’observer et constituent autant de manières de recomposer le passé à partir du présent et finalement de donner de nouvelles définitions des territoires ’»363. Notons que la notion de patrimoine culturel s’est considérablement élargie, intégrant, entre autres, l’architecture rurale, les paysages, les produits de terroir, les techniques, les outils et savoir-faire364.

Si ces processus patrimoniaux sont souvent à l’initiative des pouvoirs publics et des spécialistes, et produisent de ce que Michel Rautenberg365 qualifie de « patrimoine par désignation », les particuliers sont également à l’initiative d’actions patrimoniales. C’est ce « patrimoine par appropriation », comme le désigne cet auteur, qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de ce travail, c’est-à-dire celui « ‘qui acquiert sa qualité patrimoniale non par l’injonction de la puissance publique ou de la compétence scientifique, mais par la démarche de ceux qui se le transmettent et le reconnaissent’ »366. Nous chercherons à savoir comment les consommateurs - les particuliers - mettent en exposition leur alimentation. Quelles sont les productions exhibées pour représenter le groupe ? Quelles sont celles qui sont passées de la sphère privée à la sphère publique et selon quelles modifications ? Il s’agit également de voir quelles sont les productions qui accèdent, dans ce processus de mises en exposition, au statut d’objet patrimonial.

Nous verrons que les pratiques de mise en exposition de l’alimentation bressane, et plus précisément des productions traditionnelles et locales, prennent différentes formes. Elles s’expriment tout d’abord de manière orale au travers de discours que les consommateurs divulguent et entretiennent sur la spécificité de leur alimentation et l’histoire des productions locales. La mise en exposition prend également la forme de documents publics, destinés pour la plupart aux touristes mais qui influencent fortement les consommateurs locaux, et qui participent à la construction d’une image culinaire de la région. Enfin, un certain nombre de lieux, accessibles à tous, rendent publiques les productions alimentaires, en fonction des exigences de la population locale. Celles-ci sont alors repérables et observables de manière permanente - dans les commerces, les restaurants, les espaces publics - ou à l’occasion de manifestations collectives festives.

Notes
360.

Jean Davallon, 1986, p.14.

361.

Isac Chiva, 1997, p.228.

362.

André Micoud, cité par Denis Chevallier, Isac Chiva, Françoise Dubost, 2000, p.30.

363.

Denis Chevallier, Isac Chiva, Françoise Dubost, 2000, p.30.

364.

Cf. au sujet de la construction de la notion de patrimoine en ethnologie Isac Chiva (1990, 1997), Yvon Lamy (1992), Daniel Fabre (1997), Jean Davallon, André Micoud, Cécile Tardy (1997), Denis Chevallier, Isac Chiva, Françoise Dubost (2000).

365.

Michel Rautenberg, 1998b, p.288.

366.

Ibid. p.288.