5.1.1.4. Histoires autour des tartes

Dans tous les esprits, les tartes sont intimement liées au pain, celles-ci évoquant inéluctablement la fabrication du second produit : « ‘j’ai des souvenirs de galettes parce que j’ai fait du pain pendant... x temps ’» déclare, à titre d’exemple, une Stéphanoise. Les Bressans ne manquent pas de signaler comme dans l’extrait suivant qu’il était d’usage de préparer des tartes avec de la pâte à pain : « ‘jadis dans toutes les fermes, chaque fois qu’ils faisaient le pain, ils faisaient des tartes, bon alors c’était assez simple parce qu’ils prenaient de la pâte à pain, ils remettaient un oeuf ou deux là dedans et puis ils y mettaient un peu de beurre, ou j’en sais rien, un peu de beurre et ça faisait de la pâte qui était quand même meilleure’ ». Les hommes, comme dans l’exemple précédent, moins avertis à la pâtisserie, hésitent plus que les femmes sur les ingrédients. Ils ont surtout retenu que les tartes étaient issues de cette pâte à pain, comme par filiation, presque par miracle, tout au moins grâce à une opération qu’ils considèrent comme aisée : « ‘on faisait une tarte, moi, ma mère, on faisait une tarte mais c’était de la pâte à pain... vite fait, tu prenais une boulette de pain, tu y étendais sur la pelle à enfourner.... On y touillait un coup’ ». En devenant briochée, par l’apport de ces ingrédients valorisés, cette pâte levée devenait « meilleure » pour reprendre le terme de l’un des informateurs déjà cités.

La consommation des tartes suscite des souvenirs de réjouissance qu’elle ait eu lieu durant les repas (« ça prolongeait le dîner ») ou à n’importe quelle heure de la journée, puisqu’elles étaient couramment consommées à la sortie du four : « ‘quand ils faisaient du pain dans les fermes, la tarte est défournée la première bien sûr parce que c’est vite cuit, puis ils la mangeaient tout de suite, tout de suite, chaude, comme ça. Quand dans les fermes où il y avait les commis, des bonnes des fois, et ben le patron ou la patronne allaient défourner la tarte “ben tiens, on va manger la tarte !”, c’était un moment où ils mangeaient de la tarte, mais tout de suite ’». Cette consommation est synonyme de partage, de fusion entre les différents membres de l’exploitation quelle que soit leur situation. Elle apparaît comme une pause, accordée par les exploitants, durant le travail quotidien. Les patrons prenaient soin de n’oublier personne : « ‘Chez T., j’ai été deux ans là-bas domestique. Chaque fois qu’ils faisaient une fournée de pains, ils faisaient une tarte. On avait toujours un bout de tarte au milieu de la matinée, à neuf heures, neuf heures et demie. On allait au bois. En partant le lundi matin, c’était encore souvent le lundi qu’ils faisaient le pain, ils partaient le lundi matin au marché, ils nous portaient un morceau de tarte en partant au marché. C’était comme ça. On était content, y avait toujours un morceau’ ». Les tartes étaient un plaisir tout à la fois extraordinaire - qui sort de l’ordinaire - et courant puisque les personnes âgées soulignent la fréquence de cette consommation : « ‘on en mangeait tous les huit, dix jours’ ».

Enfin, les informateurs se souviennent que, comme aujourd’hui, la vogue était l’occasion de préparations exclusives. La pâte était alors mieux soignée (elle était spécialement faite pour la préparation de la tarte et non travaillée à partir d’une pâte à pain), l’appareil spécifique (certaines tartes, dont la garniture demandait plus de préparation ou l’emploi d’ingrédients habituellement réservés à la vente, étaient exceptionnellement élaborées), le nombre et la diversité des tartes plus élevés. Alors que cette fête tend à être moins célébrée, les Bressans, pour souligner l’importance qu’elle représentait autrefois, rappellent l’abondance alimentaire qui la caractérisait, évoquant la nécessité d’un ordre de consommation : « ‘on faisait trois tartes pour la fête, on faisait la tarte pour manger tout de suite, qui est celle au quemô parce qu’elle se conserve pas bien, on en faisait une au vincuit et on en faisait de la sèche, qu’on mangeait en fin de semaine ’». Par la présence de nombreuses tartes, la vogue est présentée comme étant, autrefois, un moment d’exception.