Enfin, les Bressans ne manquent pas de décrire, souvent avec nostalgie, la pratique du don qui suivait l’abattage du porc : « ‘c’était une tradition, quand même parce que chaque ferme tuait le cochon à la fin de l’année. Ces abats, disons, comme le boudin et autre, ça en faisait trop pour manger et il fallait que ça se mange rapidement, on n’avait pas de frigo, on n’avait pas de moyen de conservation. Alors on allait dans la famille, on distribuait aux voisins. [...] Et quand lui, il tuait, il nous en amenait un’ ». Comme dans cet extrait, les interlocuteurs associent cette pratique tout autant à un moyen de conservation qu’à une démarche d’entraide et de convivialité. En effet, comme pour le beurre, les personnes âgées rappellent qu’avant l’introduction massive des réfrigérateurs et plus encore des congélateurs, la question de la conservation des productions était centrale. Cet échange est présenté comme un moyen de gestion du périssable, l’abattage d’un porc représentant une quantité massive de viande. Le sens de cette pratique est clairement explicité : « ‘c’était une façon d’y conserver finalement’ ». Lors de cette distribution, chaque famille est prise en considération en fonction du nombre de ses membres : « ‘si on donnait dans une famille qui était nombreuse, on leur faisait un plat de civier, si c’était la veuve du coin, on lui en faisait une assiettée à elle’ ». Néanmoins si les souvenirs se focalisent sur le contenu de cette « assiette », sa régularité ou la taille des familles, les informateurs passent sous silence de nombre total des bénéficiaires. Tout se passe comme si l’importance de l’acte résidait uniquement dans cet échange avec le reste de la communauté, avec l’extérieur, peu importe l’identité exacte des individus et leur nombre. Par ailleurs, si cet échange est présenté comme un moyen de conservation, les Bressans omettent de préciser l’emploi, pourtant courant, de bocaux pour stériliser et stocker certains morceaux.
Notons que si les Bressans évoquent cette fricassée comme une pratique étant sur le point de disparaître, ce sentiment était déjà ressenti au début du siècle puisque Corcelle en 1904 tenait des propos équivalents : « ‘par les chemins givrés et glissants, la ménagère, portait “le boudin” dans toutes les maisons amies. C’était une “politesse” qui se rendait avec régularité ; pendant plusieurs semaines on faisait bombance avec ce met si bien préparé ; quelques châtaignes et du vin blanc, pétillant dans les verres complétaient la fête. C’est peut-être une de ces joies innocentes qui sont en train de disparaître’ »376.
J. Corcelle, 1993 (1904), p.68-69.