Les documents littéraires, les guides touristiques et les livres de cuisine

Les documents littéraires, les guides touristiques et les livres culinaires, autorisent les auteurs à apporter une plus grande diversité et des nuances plus fines. Les écrits des gastronomes, portant leur regard sur une cuisine publique, conduisent souvent aux mêmes conclusions. En 1825, dans sa célèbre Physiologie du goût, Brillat-Savarin fait référence aux volatiles bressanes : « ‘trois pays de l’ancienne France se disputent l’honneur de fournir les meilleures volailles, savoir : le pays de Caux, le Mans et la Bresse. [...] pour les poulardes, la préférence appartient à celles de Bresse, qu’on appelle poulardes fines, et qui sont rondes comme une pomme’ »444. A la fin du XIXe siècle, dans La table au pays de Brillat-Savarin 445, pourtant consacré au Bugey, Lucien Tendret dédie deux de ses recettes à la préparation de productions bressanes : « poularde de Bresse truffée et cuite à la vapeur » et « gâteau de foies blonds de poulardes de la Bresse baigné dans la sauce aux queues d’écrevisses ». Encore réédité aujourd’hui, cet ouvrage participe à la construction de l’image d’une cuisine traditionnelle bressane. Ces deux recettes sont reprises par divers auteurs et institutions, qui s’en inspirent ou les citent explicitement (Ferraris446, Curnonsky et Rouff447, dépliants du Comité interprofessionnel de la Volaille de Bresse, etc.). A la fin du XIXe siècle, les guides Joannes indiquent par région les curiosités touristiques mais « ‘ne font que tardivement et ponctuellement mention, et au seul titre des “industries et produits particulièrement intéressants”, d’une localité, de quelques productions alimentaires’ »448. Que le volume portant sur la Bresse évoque, dans le chapitre consacré au commerce et à l’industrie, les volailles prouve l’importance déjà accordée à cette production dans la région et le rôle de spécificité locale qu’elle commence à jouer : « ‘Bourg fait un commerce considérable de volailles de Bresse, céréales, chevaux et bestiaux’ »449. Comme dans d’autres documents du même genre450, à cette époque et même au-delà, les rares références à l’alimentation portent sur la volaille de Bresse. Ainsi, le guide édité en 1913 par le Syndicat d’initiative de l’Ain élève littéralement la volaille de Bresse au rang de monument comme l’indique le titre du chapitre portant sur la ville de Bourg-en-Bresse : « ses monuments artistiques. La Poularde ». S’en suit une glorification de cette production locale :

‘« la Bresse est pour l’artiste qui sait bien la voir un pays admirable, avec ses plantureuses cultures, ses horizons d’une harmonie parfaite, et surtout ses fermes opulentes où s’élève comme à Bény, à Saint-Etienne-du-Bois et ailleurs la fameuse poularde de Bresse, de réputation mondiale. Elle constitue, cette poularde divine, la race galline la plus délicate de toutes celles connues, objet de commerce important dans toutes les fermes du pays, plat à réclamer dans tous les hôtels : tous les gastronomes depuis Brillat-Savarin jusqu’à Monselet ont vanté son goût et la délicatesse de sa chair. Cette poularde est un des éléments essentiels de la prospérité des marchés de Bourg. On l’expédie, poudrée, parée, en France, en Angleterre, en Suisse, en Allemagne et ailleurs »451. ’

L’auteur ajoute ultérieurement : « ‘si c’est jour de marché, faire un tour auprès des vendeurs et des vendeuses, qui ont à offrir des volailles blanches ou noires qui sont le produit inimitable de la Bresse’ »452. Ainsi, toutes les incitations touristiques se concentrent autour de ces volatiles. Comme le souligne Julia Csergo, les guides touristiques, qui paraissent en série avec l’extension du réseau ferroviaire, codifient peu à peu de nouvelles modalités d’appréhension du pays, « ‘ce sont eux qui, installant durablement la particularité culinaire dans des représentations stéréotypées, finissent par l’imposer, en liaison avec la notion de site, comme lieu de patrimoine, au même titre que le point de vue, l’édifice architectural ou les personnages qui ponctuent désormais les paysages et les histoires locales’ »453. Dans les années trente, alors que se construisent ces stéréotypes culinaires régionaux, les ouvrages touristiques insistent encore et toujours sur la supériorité de la volaille de Bresse et plus précisément des poulardes. A cette époque, Curnonsky, surnommé le « Prince des gastronomes », vante le département de l’Ain comme l’un des plus réputés : à propos du Bugey, de la Bresse et du Valromey, il déclare, associé à Derys, que ces régions sont « ‘le véritable paradis des gourmets !’ »454 puis avec de Croze que la Bresse, la Dombes et le Bugey sont les provinces « ‘les plus chères au coeur des meilleurs gastronomes’ »455. Pour étayer leurs propos, ces auteurs célèbrent immanquablement la suprématie de la volaille : « ‘les poulardes de Bresse sont sans égales au monde’ »456, « ‘l’élevage de la volaille atteint l’absolue perfection’ »457 et, tout comme le font encore aujourd’hui les brochures et guides touristiques, vantent la qualité des auberges et restaurateurs locaux : « ‘la Bresse et le Bugey sont le pays des grands chefs et des grands cordons bleus ; je mets en fait que vous pouvez descendre dans n’importe quelle auberge de campagne sur le territoire de cette région, et vous serez sûr d’y faire un repas délectable, car il n’est point en Bresse de paysanne qui ne sache faire la cuisine en vraie artiste’ »458. Mais les relevés de ces trois gastronomes sont à la fois plus riches et précis que ceux des matériaux de communication des organismes de valorisation touristiques actuels. Ainsi, parmi les « plats régionaux » concernant le Bugey, la Bresse et le Valromey énumérés par Curnonsky et Derys459, nous avons relevé : « ‘la poularde au coulis de queues d’écrevisses, ce chef-d’oeuvre auquel on ne peut comparer que le divin potage aux nids d’hirondelles de la cuisine chinoise’ », « ‘le gâteau de foies blonds de volailles bressanes, au-dessus duquel il n’y a rien ’», « ‘les gaudes bressanes (potages à la farine de maïs et au lait) », « les oeufs au plat à la Bressane (à la crème et au gruyère)’ » ; « ‘la poularde au gros sel et le poulet à la crème’ », « la daube de Bresse », « la fricassée de poulet à la Bressane », et, parmi les desserts, « la tarte au fromage ». L’énumération que Curnonsky élabore avec de Croze460 est encore plus opulente et structurée. Parmi les « produits naturels » de la Bresse, de la Dombes et du Bugey, certains sont probablement ou indiscutablement de la Bresse : « poulardes de Bresse, Louhans, Montrevel, Pont-de-Vaux », « lait, crème », « melon de Bresse ». « La carte du menu bressan », telle qu’ils la nomment et qui suit cette liste des produits naturels est organisée selon la succession diachronique classique des plats. Parmi les potages et soupes sont citées « les gaudes bressanes (maïs) », « la marmite bressane (poule au pot) ». Les hors-d’oeuvre chauds comprennent des « gaudes au lait », « oeufs au plat à la Bressane ». Parmi les légumes plusieurs sont cuisinés à la crème : cardons, choux-fleurs, épinards, petits pois, raves. Les pommes de terre sont « au fromage à la Bressane ». Les volailles sont représentées par de nombreux plats dont le « chapon à la Bressane (sauté, sauce vin blanc sec, flambé) », la « poularde à la Bressane (à la crème) », la « poularde de Bresse truffée et cuite à la vapeur »461, la « mousse de foie de poularde à la Bressane », le « poulet à la Bressane », le « poulet marmite bressane ou poule au pot à la Bressane », la « fricassée de poulet à la mode de Bresse », ainsi que la « volaille de Bourg-en-Bresse à l’estragon ». Parmi les gibiers est cité le « râble de lièvre rôti à la Bressane », parmi les fromages, le « fromage blanc à la crème », et enfin comme douceurs, « la galette au goumeau462 », les « gaufres », les « gaufres de blé noir grillées », les « matefaims sucrés (crêpe épaisse) », les « rôties au fromage fort » et la « tarte au fromage ». A la même époque, est édité l’ouvrage de Benoît Perrat, Comus en Bresse 463 réunissant à la fois des anecdotes, des souvenirs personnels de ce restaurateur de Vonnas et des recettes traditionnelles ou novatrices dont beaucoup peuvent être attribuées à la Bresse. L’auteur décrit la préparation des « crêpes vonnassiennes » (à base de pommes de terre), la fricassée d’escargot dont il met en évidence la tradition bressane de « ramassage » (« ‘chez nous, en Bresse, l’on voit en ces premiers coups de tonnerre le réveil de l’escargot ’»)464, « le poulet à la crème » pour lequel il vante le savoir-faire bressan (« ‘cette façon de préparer le poulet n’est pas essentiellement l’apanage de notre région, mais reconnaissons-le et proclamons-le bien haut ; le poulet à la crème est un régal en Bresse’ »465), le fromage fort (dont l’auteur souligne l’absence dans les écrits des gastronomes que sont Brillat-Savarin et Lucien Tendret) et de nombreuses recettes à la crème : morilles, poulet, concombre, épinard, bouillie au blé à la crème, pommes râpées à la crème.

L’avènement des célèbres « Mères », au début du XXe siècle, est fortement lié à ce développement du tourisme gastronomique : Curnonsky dira de la plus illustre d’entre elles, Elisa Blanc à Vonnas, qu’elle était la meilleure cuisinière du monde. Ces cuisinières talentueuses, ouvrant leur table au public, ont grandement participé à la renommée gastronomique de la Bresse en proposant une cuisine bourgeoise reposant sur des productions et des recettes locales. En 1923, Paul Carru retrace le souvenir de l’un de ces établissements :

‘« mon oncle ayant la claire vision des grandes qualités de cordon-bleu de sa femme et des ressources qu’il pouvait en tirer, monta un restaurant de luxe, boulevard des Italiens, portant comme enseigne : “A la Poularde de Bresse”. Grâce donc à ma tante, que personne ne pouvait égaler, paraît-il, pour préparer un poulet à la crème, ni pour donner le dernier coup de feu à un chapon ou à une poularde, grâce encore à l’excellence des volailles de notre terroir que lui servait Pierre Louvet, le coquetier de Cras, grâce aussi et surtout à la grand affabilité de mon oncle et à son exquise urbanité, son établissement fut bientôt en grande vogue et devint bientôt le rendez-vous de la haute société parisienne. Il gagnait beaucoup d’argent, à ce que j’entendais dire, du moins »466. ’

La renommée de certaines Mères est encore en mémoire : c’est le cas de la Mère Guillot à Beaupont, la Mère Bourgeois à Priay, la Mère Jacquet à Pont-de-Chazey, la Mère Blanc à Vonnas, etc. Leurs établissements réputés furent repris par des chefs cuisiniers dont certains ont une renommée internationale. Leur influence sur l’image de la cuisine bressane n’est pas négligeable.

Nous n’avons pas retrouvé de guide touristique sur l’Ain datant des années suivantes, c’est-à-dire des années quarante aux années soixante/soixante-dix. Le seul guide que nous ayons pu consulter datant de 1960, le Guide Michelin sur le Jura, fait un crochet dans le département voisin. A la page consacrée à Bourg-en-Bresse, les auteurs font, à nouveau, référence à la fameuse volaille, ainsi qu’au marché forain : « ‘les jours de foire aux bestiaux ou de marché, Bourg, envahi par la foule paysanne acheteuse ou vendeuse, est pittoresque et animée. Si l’on se trouve de passage le 3e samedi de décembre, on ira voir, dans la salle de la Grenette, l’exposition de chapons et poulardes de Bresse. Un bain de lait a nacré les chairs. C’est un étonnant spectacle qui soulève une admiration gourmande’ »467.

Au début des années 1990 est créé en France le Conseil national des arts culinaires, organisme interministériel qui prend en charge l’élaboration d’un inventaire, par grandes régions administratives, du patrimoine culinaire français. L’ouvrage consacré à la région Rhône-Alpes468 recense pour la Bresse : la galette bressane, le gaufre bressan, la tarte aux quemeaux, le vincuit, le boudin et le civier bressans, les quenelles (« ‘répandues et populaires dans toute la région lyonnaise’ »469), le saucisson à cuire et le cervelas truffé et pistaché (également répandus dans toute la région lyonnaise), les gaudes, les écrevisses et friture (pêchées en Saône), le beurre et la crème de Bresse, la volaille de Bresse (poulet, chapon, poularde, dinde). Parmi les recettes traditionnelles sont proposées la soupe bressane au potiron, les oeufs à la bressane (oeufs cuits au four sur des tranches de pain arrosées de crème fraîche et recouverts de comté), les gâteaux de foies blonds et le poulet à la crème. La recette de la poularde demi-deuil est associée à Lyon (« incontestablement lyonnaise »470), son invention étant attribuée à la Mère Filloux exerçant dans cette ville. Elle est néanmoins réalisée à partir d’une poularde de Bresse.

Dans les guides touristiques actuels, si la volaille est escortée d’autres productions locales, elle occupe encore et toujours une place principale. A titre d’exemple, le Guide Gallimard sur l’Ain471, lui consacre quatre pages, présentant tant l’animal vivant - son mode d’alimentation, la race, la castration des chapons, etc. - que sa transformation - le savoir-faire, les Glorieuses - ou encore les modes de préparation - la recette de la fricassée de poulet de Bresse à la crème. Les deux pages titrées « la tradition culinaire » évoquent Brillat-Savarin, Lucien Tendret, les grands chefs et les établissements plus modestes. Elles soulignent l’affluence du marché de Bourg-en-Bresse et des foires aux animaux. Parmi les productions alimentaires citées, celles que l’on peut attribuer à la Bresse sont : la galette bressane à la crème ou au sucre, la tarte au quemeau (au fromage blanc dans la Bresse), le saucisson chaud et le cervelas truffé et pistaché, le civier, le boudin (« ‘autre spécialité locale, se caractérise par sa composition qui combine semoule ou riz et crème ’»472), les quenelles, les gaudes (qui « ‘ont très longtemps constitué la base de l’alimentation bressane’ »), les gaufres cuits « dans des gaufriers de forme plate », le vincuit, « les flans de courgette salés ou sucrés, les gratins, les soupes et même les confitures de courges et de potiron parachèvent les menus »473. La page entièrement réservée aux produits laitiers présente, en ce qui concerne la Bresse, la crème, le beurre, les fromages blancs, et évoque brièvement le Bresse Bleu. Sont également cités la tracle 474 et le pourri475.

Notons que de manière unanime, tous les ouvrages contemporains consacrés à la Bresse évoquent le poulet de Bresse à la crème et donnent, pour la plupart, une recette de ce plat emblématique.

Enfin, les cartes postales sont un bon indicateur de l’image que la région propose aux visiteurs de retenir d’elle-même et de faire circuler. A Bourg-en-Bresse, dans les papeteries et les magasins de souvenirs, hormis les photographies de fermes bressanes, l’église de Brou ou des personnes en costumes locaux, les volailles de Bresse sont très souvent présentes sur les cartes postales (Cf. Annexe 12). A nouveau, elles prennent la forme de volaille au plumage blanc au milieu de la verdure, de bête plumée dont a été conservée la tête ou encore de plat en sauce dont la recette est précisée au verso. Parmi ce dernier type de représentation, une carte propose la recette du « ‘Poulet de Bresse à la crème, spécialité de la ferme du grand Colombier à Vernoux’ », évinçant le savoir-faire collectif et laissant entendre que cette recette est une spécialité de cette ferme auberge du nord de la Bresse de l’Ain tandis qu’une autre carte conseille un « Poulet au vinaigre », recette peu courante dans le corpus culinaire domestique bressan. Il semble d’ailleurs que cette carte ne soit pas destinée à être uniquement commercialisée en Bresse, puisqu’aucune référence à cette région n’est évoquée : c’est un poulet fermier, et non de Bresse, qui est préconisé pour cette recette réalisée par une Lyonnaise « Arlette Hugon, Bouchon chez Hugon à Lyon ». Les compositions de ces deux cartes postales sont d’ailleurs éloquentes. Alors que, dans la première, la casserole de poulet à la crème est encadrée d’épis de maïs, d’une volaille plumée - de toute évidence de Bresse -, d’un bol de crème épaisse, d’un moule à beurre et d’une assiette comprenant des mets non identifiables (peut-être des quenelles), le tout déposé sur de la paille, dans la seconde carte la casserole est entourée de gousses d’ail, d’oignon et d’estragon (plante aromatique peu utilisée en Bresse), d’un pot de vin blanc et d’une miche de pain, disposés sur une nappe à carreaux rouges. Ce second tableau est incontestablement moins champêtre que le précédent et les ingrédients moins représentatifs de l’alimentation bressane. En somme, ce qui est véhiculé par ces cartes postales, c’est le poids de la volaille dans la nourriture locale. Parmi les autres cartes postales évoquant la cuisine locale, sont parfois présentes des photographies de grenouilles, elles aussi accompagnées au verso de la recette.

Alors que la cuisine bressane est mise en avant par les politiques et les agents du développement touristique, il est surprenant de constater que peu d’ouvrages conséquents lui sont entièrement consacrés. Seuls ceux dédiés à la cuisine lyonnaise font souvent référence à la Bresse, région à laquelle la première doit une partie de sa réputation. Quant à l’ouvrage Saveurs du pays de Brillat-Savarin 476, plus qu’un livre de cuisine, abordant l’histoire du pays, les savoir-faire des principales productions locales, il concerne l’ensemble du département ; les principales recettes qui y sont proposées sont celles des grands chefs de l’Ain et non celles de la cuisine familiale477. Seules les deux brochures Coups de fourchette en Bresse 478 recensent des recettes locales. Publiées par la Maison de Pays en Bresse, elles ont été réalisées à partir des propositions culinaires faites par les membres de cette association si bien qu’elles sont à la fois assez proches des réalités domestiques mais présentent un caractère empirique : certaines recettes, ayant pour principale différence leur titre, sont quasiment répétées ; beaucoup sont assorties d’un qualificatif peu explicite pour des personnes extérieures à la région (gratin de courge de Chaffoux, sauce chasseur de Pommier479, pommes de terre Julie, etc.) ; des recettes tombées en désuétude (la paria par exemple) se mêlent à des recettes récentes (sablés aux gaudes). Nous pouvons relever dans ces brochures l’importance des sauces à base de lait et de crème, en particulier avec les légumes, la diversité des tartes et le nombre de gratins. Cependant, ces brochures sont peu diffusées en dehors des quelques sites touristiques locaux. Enfin, les Editions JPM à Mâcon ont décidé de rééditer en 2002 l’ouvrage de Perrat, qualifié dans le prospectus de souscription de « chef d’oeuvre de la littérature bressane ». Il ne s’agit néanmoins pas d’un livre de cuisine classique mais d’un ouvrage plus large au sein duquel est inséré un certain nombre de recettes.

Dans ce prospectus de souscription, les éditions s’interrogent : « la cuisine bressane ?... Elle est. Elle existe » laissant supposer une incertitude sur la spécificité culinaire de cette région. Il faut en effet noter que, contrairement aux représentations d’une cuisine provençale ou de recette « à la bourguignonne » assez consensuelles, les recettes bressanes sont moins clairement repérables. Si parmi les énumérations des gastronomes précédemment cités, l’expression « à la bressane » est récurrente, elle ne représente pas une spécificité culinaire unique.

Le Dictionnaire de cuisine et de gastronomie, en 1986, précise qu’à la bressane « ‘se dit de plusieurs préparations où la volaille de Bresse tient une place prépondérante : poularde farcie de foie gras et de champignons (avec, éventuellement, des lames de truffe glissées sous la peau), braisée ou poêlée ; flan ou gâteau de “foies blonds de volaille” ; feuilletés de salades composées’ »480. Marie-Claude Bisson481 retient a priori le même critère puisque les trois recettes de son ouvrage La bonne cuisine française désignée comme étant « à la bressane » sont une salade composée, des friands et des oeufs brouillés, trois plats qui, selon ses propositions, comprennent des blancs ou des foies de volaille. Il semble que si les termes de « à la bressane » ou « de Bresse » ont tout d’abord été utilisés pour désigner diverses recettes locales, ils désignent désormais essentiellement les plats à base de poulet, éventuellement ceux assaisonnés à la crème fraîche comme le souligne ce restaurateur : « ‘à la bressane, on pense crème et poulet, oui, je crois que c’est surtout ça’ ». Une réduction des représentations de la cuisine bressane s’est alors opérée.

La prédominance de la volaille sur les autres productions locales n’est pas récente. Glorifiée par le célèbre gastronome, Brillat-Savarin, sa réputation a été confirmée avec le tourisme gastronomique. Emblème de la Bresse, valorisée par la recette à la crème, elle masque les autres productions qui n’occupent souvent qu’une place secondaire au sein des représentations de la cuisine locale. Aujourd’hui encore, cette production est portée par des personnalités comme le fleuron de la région. Tel est le cas de Georges Blanc, célèbre étoilé, qui participe activement à entretenir le statut prestigieux de cet aliment. Président du Comité interprofessionnel de la volaille de Bresse, il apparaît comme le porte-parole absolu de cette production.

En somme, la Bresse se donne à voir essentiellement au travers de cette production polymorphe à la fois animal et aliment. Celle-ci véhicule l’image valorisante d’une production de luxe, de qualité ; elle n’évoque que très rarement le temps où elle n’apparaissait que très occasionnellement sur la table des éleveurs qui la commercialisaient prioritairement. Ainsi, les représentations et les discours des consommateurs locaux présentant la volaille de Bresse comme plat-totem se voient confirmés et renforcés.

Notes
444.

Brillat-Savarin, 1982 (1825), p.83.

445.

Lucien Tendret, 1986 (1892).

446.

Robert Ferraris, 1991.

447.

Curnonsky, Rouff, 1921.

448.

Julia Csergo, 1996, p.834.

449.

Paul Joannes, 1890.

450.

A titre d’exemple, l’Indicateur de Bourg-en-Bresse de Milliet (1859) qui recense les différents établissements, maisons et monuments de Bourg-en-Bresse, évoque la volaille dans le chapitre sur l’industrie locale.

451.

J. Corcelle, 1913, p.37.

452.

Ibid. p.37.

453.

Julia Csergo, 1996, p.834.

454.

Curnonsky, Derys, 1933-1934, p.13.

455.

Curnonsky, de Croze, 1933, p.289.

456.

Curnonsky, Derys, 1933-1934, p.13.

457.

Curnonsky, de Croze, 1933, p.289.

458.

Curnonsky, Derys, 1933-1934, p. 13.

459.

Ibid. p. 14.

460.

Curnonsky, de Croze, 1933, p.290-294.

461.

A nouveau, la recette de Brillat-Savarin est citée.

462.

Dans la mesure où les plats des trois régions - de la Bresse, du Bugey et de la Dombes - sont énumérés dans ce repas, bien qu’il soit précisé « bressan », nous ne savons pas si cette galette au goumeau a été repérée en Bresse ou dans le Bugey où est actuellement commercialisée une galette à la gomme.

463.

Benoît Perrat, 1933.

464.

Ibid. p.27.

465.

Ibid. p.43.

466.

Paul Carru, 1923, p.38.

467.

Guide du pneu Michelin, Jura avec atlas touristique, 1960, p.60.

468.

L’inventaire du patrimoine culinaire de la France, Rhône-Alpes, 1995.

469.

Ibid. p.207.

470.

Ibid. p.532.

471.

Ain - France, 1999.

472.

Ibid. p.51.

473.

Ibid. p.51.

474.

Terme employé dans le Bugey pour désigner le fromage fort.

475.

Soulignons que la participation à la rédaction de ces pages de deux chercheurs spécialisés sur la question des productions locales (Laurence Bérard et Philippe Marchenay) explique la diversité des produits présentés et la volonté de s’éloigner des stéréotypes pour se rapprocher des pratiques culturelles.

476.

Marie-Agnès Devos, Gérald Gambier, 1995.

477.

Notons que parmi les trente trois recettes salées, quatre s’appliquent aux carpes et brochets de la Dombes, deux aux féras ou lavarets du lac Léman, cinq aux grenouilles et neuf à la volaille de Bresse. Beaucoup comprennent des sauces aux écrevisses, quelques-unes au Bresse bleu.

478.

Coups de fourchette en Bresse, [s.d.].

479.

Chaffoux et Pommier sont deux hameaux de Saint-Etienne-du-Bois.

480.

Dictionnaire de cuisine et de gastronomie, 1986, p.104.

481.

Marie-Claude Bisson, 1979.