5.3.1. Rares dispositifs de mise en scène des productions locales

Si la Bresse véhicule l’image d’une région culinaire forte, la mise en exposition des productions ne prend toutefois pas la forme qui peut être observée dans de nombreuses régions. Par exemple, dans les Alpes du Nord, Muriel Faure a constaté des dispositifs très développés de valorisation des productions, destinés aux visiteurs :

‘« les touristes, consommateurs potentiels mais incontestables messagers, peuvent observer la fabrication fromagère derrière une baie vitrée, lire des panneaux sur l’agriculture du Beaufortain et sur les caractéristiques du fromage, et se représenter la vie des agriculteurs de montagne à partir de la reconstitution « authentique » d’un chalet d’alpage, où ne manque aucun objet évocateur du lieu et du métier, tel que la baratte, le chaudron ou le tranche-caillé en bois. Les visiteurs peuvent également assister à la projection d’un film d’une trentaine de minutes, seule prestation payante, présentant les activités agricoles du Beaufortain »482. ’

En Champagne, Aline Brochot a noté des pratiques hautement médiatisées et sophistiquées de « monstration » - pour reprendre son expression - du patrimoine vitivinicole champenois :

‘« à côté des pratiques traditionnelles d’exposition-vente et de visite des caves utilisées par la plupart [des grandes maisons de champagne] ce sont, pour certaines, de véritables spectacles et attractions qui sont proposés, selon des méthodes qui se rapprochent plus de celles du monde du spectacle et des parcs d’attractions à thème que de la visite d’entreprise : ascenseurs scéniques et trains téléguidés chez Mercier ; nacelles téléguidées chez Piper-Heidsieck qui font progresser le visiteur le long d’un circuit où une succession de “tableaux” le plonge dans un univers à part où l’on célèbre Sa Majesté champagne à grand renfort de symboles, de références flatteuses où la part du rêve est soigneusement entretenue ; apparition, par un jeu d’ombres chinoises, de l’effigie de la célèbre Veuve Cliquot ; reconstitution d’une scène du film Casablanca chez Piper-Heidsieck ; spectacle audiovisuel chez Mercier où sont rappelés les hauts faits de son fondateur [...] ; fresques allégoriques et scènes reconstituées où figure l’incontournable Dom Pérignon chez Moët, etc. »483. ’

En Bresse, aucun dispositif d’une telle ampleur n’a été repéré sur les lieux de productions agricoles et alimentaires : ni baie vitrée, ni visites guidées, ni exposition-vente, ni film d’entreprise, etc., et ceci quels que soient les secteurs. Car s’il est précisé dans le dépliant de la Route de la Bresse484 en introduction de la liste des éleveurs de volailles et des volaillers que « ‘sur rendez-vous, les producteurs et les expéditeurs en contact avec la clientèle mettront l’accent sur les conditions d’élevage ou de fabrication des produits proposés à la vente’ », les visites commentées faites par les professionnels sont relativement spontanées, guère médiatisées (une éleveuse présente un album de ses propres photos) et dépendent des initiatives personnelles. Ces visites ne sont d’ailleurs pas très courantes. Ce constat est valable pour les autres productions locales, celles qui ne sont pas exhibées dans les documents destinés aux touristes. Ainsi, si les coopératives laitières bressanes, comme dans le Beaufortain, commercialisent directement une partie de leur production, les points de vente ne font pas l’objet d’une telle mise en scène (cf. Chap.3.1.3.) : aucune vitrine ne donne accès au processus de fabrication en cours, les quelques affiches sont plus décoratives qu’informatives, les rares objets anciens évoquant les productions domestiques ne sont guère mis en valeur, etc. De manière globale, les rares opérations d’exposition et de valorisation des éléments retraçant l’histoire des produits et leur fabrication contemporaine ne sont pas aussi rationnelles, élaborées et généralisées que dans ces régions plus touristiques des Alpes ou de la Champagne.

Seule la volaille de Bresse marque par sa présence le territoire. Non seulement les blanches volailles constellent les bocages bressans, picorant dans les champs, les haies et le long des routes, mais un certain nombre de représentations plastiques les évoquent de manière plus ou moins naïve, réaliste, artistique, aussi bien dans les espaces publics que les lieux plus fermés tels que les salles de restaurants. A titre d’exemple, un majestueux coq trône au centre du village de Mantenay-Montlin, traversé par la très fréquentée départementale D 975 reliant Bourg-en-Bresse à Saint-Trivier-de-Courtes (Cf. Annexe 24). De couleur métallique et mesurant approximativement plus de 4m, cette « sculpture totem »485 s’impose aux automobilistes, touristes ou autochtones, leur rappelant immanquablement qu’ils traversent un pays voué à la volaille. D’ailleurs déjà, aux entrées de la zone de l’appellation volaille de Bresse, ainsi qu’aux points stratégiques de circulation, de grands panneaux les informent qu’ils circulent en Bresse avicole (Cf. Annexe 24). A ces panneaux, à l’initiative du Comité interprofessionnel de la volaille de Bresse, s’ajoutent ceux, de moindre dimension, implantés par les volaillers pour inciter les automobilistes à venir s’approvisionner dans leurs points de vente. Ceux-ci sont également relayés par diverses sculptures, dessins, photographies, décorations florales (Cf. Annexe 24) , etc. à l’effigie des volailles, exhibés, à l’initiative des communes ou des particuliers, sur les devantures des restaurants, dans les commerces, devant chez les éleveurs ou encore à l’entrée des domiciles privés. Suivant la même logique, il n’est pas surprenant que sur l’autoroute l’aire de repos aménagée en Bresse ait été nommée « Aire du poulet de Bresse ». Si elles sont bien présentes, ces représentations plastiques, ne sont pas pour autant surabondantes comme cela est le cas dans certaines régions (nous pensons par exemple aux régions vitivinicoles du Beaujolais ou du Mâconnais dont le paysage est beaucoup plus marqué par les panneaux publicitaires, informatifs et décoratifs). Ce qui est surtout frappant, c’est l’unicité du sujet mis en exposition !486

Hormis ces représentations de la volaille, les rares expositions et informations plus globales sur l’alimentation locale, présentées dans un objectif de communication et d’échange avec les visiteurs, sont réalisées par les structures patrimoniales, en particulier celles de la Conservation départementale des musées des pays de l’Ain. En effet, le Musée du Revermont, qui dépend de cette structure du Conseil général, entretient un potager et un verger conservatoires présentant la diversité variétale (plus de 650 variétés locales ou curieuses) et les usages anciens et contemporains de ces plantes. Celui de la Bresse - le Domaine des Planons - qui traite de l’agriculture et de l’élevage traditionnels, offre une exposition permanente sur l’aviculture bressane comprenant un film développant des aspects culturels et économiques de l’élevage aujourd’hui, ainsi qu’un élevage réel de 300 volailles, conforme aux normes de l’Appellation d’origine contrôlée. Un projet d’agrandissement est actuellement en cours, il porte sur la création d’un musée de l’alimentation. Il faut ajouter des démarches associatives telles que celle de la Maison de pays en Bresse, association patrimoniale, qui présente, entre autres, un four et un poulailler et dont l’une des expositions temporaires porta sur l’alimentation. Enfin, et dans un autre registre, la vocation gastronomique de la Bresse a été rendue publique par la création à Bourg-en-Bresse, en 1992, d’un technopôle orienté autour de l’agro-alimentaire et baptisé Alimentec. A l’instar de cette interlocutrice, nous notons le lien fort entre cette plate-forme technologique et scientifique et la région : « ‘la spécificité en Bresse, c’est la gastronomie, l’environnement et l’agriculture. Par rapport à des villes comme Poitiers qui est une ville à l’architecture romane et très axée sur les études littéraires, artistiques, etc. Alors que Bourg, pas du tout. Qu’est-ce qu’on a créé ? Alimentec ! On n’a pas créé les Beaux-Arts à Bourg-en-Bresse !’ ». Enfin, le Salon de la gastronomie, qui s’établit deux années sur trois au Parc des expositions est un autre indicateur de la place considérable consacrée à l’alimentation en Bresse.

Les productions locales et la gastronomie sont incontestablement valorisées en Bresse. Mais cette valorisation, dont la volaille de Bresse est la principale bénéficiaire, est plus largement portée par les institutions publiques, touristiques et patrimoniales que par les professionnels de l’alimentation. Nous allons voir avec les artisans du secteur de la boulangerie pâtisserie et de la charcuterie que ceux-ci agissent avant tout selon une logique commerciale, rarement assortie d’actions patrimoniales.

Notes
482.

Muriel Faure, 1999, p.90.

483.

Aline Brochot, 2000, p.80-81.

484.

La Route de la Bresse, couleurs et saveurs, janvier 2001.

485.

Un cartel apposé sur le socle précise : « Coq en acier inoxydable. Ce coq emblème de la Bresse et de la Gaule a été offert le 15 mars 1996 par Michel Jacquet à la commune de Mantenay dont il est natif. M. Jacquet est le fondateur du groupe Jacquet industries, leader européen de la fabrication de pièces découpées en acier inoxydable ».

486.

Il est révélateur que l’une des principales coopératives laitières de la Bresse porte le nom de « Coq d’Or », désignation bien surprenante pour une entreprise de ce secteur ! Le logo est par conséquent un majestueux coq.