Chez les boulangers pâtissiers

Concernant les productions commercialisées dans les boulangeries et les pâtisseries, la sélection opérée par les professionnels au sein du corpus alimentaire bressan est plus marquée. Seules certaines des tartes, parmi la diversité des fabrications domestiques actuelles et anciennes, sont vendues dans les commerces bressans, avec cependant des différences selon les communes de la Bresse.

Une enquête488 menée auprès des boulangers et des pâtissiers de l’Ain fait ressortir la spécificité des productions commercialisées en Bresse par rapport aux autres régions du département. Bien entendu, les zones de commercialisation de telle ou telle variante sont intimement liées aux préférences des consommateurs locaux pour ces productions.

Ainsi il est apparu que les tartes à la crème et les tartes au sucre, sur pâte briochée, sont courantes dans tous le département de l’Ain et même au-delà. Rares sont les artisans qui ne confectionnent pas au moins l’une de ces deux versions. Cependant, il se dégage des zones de préférence marquée pour l’une ou l’autre des deux tartes, la seconde n’étant fabriquée que sur commande ou dans des proportions moindres (Cf. Carte 1). Ainsi, si ces deux variantes coexistent dans le Revermont et le Val-de-Saône (deux régions qui sont parfois rattachées à la Bresse), la tarte au sucre, celle préparé avec du beurre et du sucre, prédomine dans presque tout le Bugey, le Valromey et le pays de Gex : les artisans de ces régions élaborent des pâtes assez levées se rapprochant de la brioche, ce qui correspond - et dévoile - l’attachement des consommateurs locaux pour ce genre de tarte. En Bresse, à l’inverse, la variante dominante est la tarte à la crème. A titre d’exemple, un boulanger d’une petite commune du centre de cette région déclare vendre neuf fois plus de tartes à la crème que de tartes au sucre. Certains, même, ne confectionnent pas du tout la variante sucre et beurre.

Contrairement à la tarte au sucre ou à la crème, la tarte au fromage (Cf. Carte 2) est bien délimitée : elle est essentiellement commercialisée dans les magasins de la Bresse centrale et dans le nord et l’est de la Dombes ; elle est totalement inconnue dans certaines régions, comme le sud de la Dombes, le Pays de Gex et tout une partie du Bugey. Vendue en quantité élevée dans la zone centrale de production, elle n’est fabriquée que sur commande et uniquement par certains boulangers dans les zones limitrophes de la Bresse, dans le Val-de-Saône par exemple. Cependant dans ces zones limitrophes, si elle n’est pas commercialisée par les artisans, elle est encore élaborée dans les maisonnées. Alors qu’autrefois les particuliers confectionnaient couramment ces tartes à partir de fromage de chèvre, la grande majorité des professionnels emploient du fromage de vache, comme cela se fait plus souvent dans les fabrications domestiques actuelles.

Quant à la tarte à la frangipane, elle est circonscrite aux commerces de la Bresse (Cf. Carte 3). Néanmoins, dans les autres régions du département, sont vendues de proches parentes de cette tarte, toutes également élaborées à partir de crème pâtissière : elles portent les appellations locales de « tarte à la papette » dans le pays de Gex et « tarte à la gomme » dans le Bugey, une partie du Revermont et le Valromey. En périphérie, dans les régions où cette tarte à la crème pâtissière tient une place moindre dans les traditions culinaires, comme dans le Val-de-Saône, elle est appelée de façon plus générique « tarte au flan » ou « tarte à la crème (cuite)489 », ce qui montre une spécificité moins marquée de cette famille de tarte. Plus loin encore, elle disparaît des commerces, sauf sous la forme très commune de tarte au flan industriel commercialisée essentiellement en parts individuelles.

Les tartes à la lyonshe, ainsi que les tartes à la courge, n’ont pas reçu d’écho dans la sphère artisanale : hormis quelques rares cas, les boulangers et les pâtissiers rencontrés n’en confectionnent pas pour leurs magasins. Seul le boulanger d’une petite commune du centre de la Bresse confectionne une tarte à l’oignon qu’il désigne « tarte à la lyonshe » et considère comme sa spécialité. Par ailleurs, cette tarte était vendue par la grand-mère de l’une des boulangères actuelles de Montrevel-en-Bresse : cette dernière reconnaît en faire occasionnellement pour sa consommation personnelle mais jamais pour le commerce. Quant à la seconde tarte, elle est exceptionnellement réalisée lors de la « fête de la courge » qui se déroule en octobre dans la commune de Boissey. En dehors de cette occasion, elle n’entre jamais dans la sphère marchande. Les professionnels déclarent qu’elle n’aurait pas de succès. Il en est de même de la tarte à la paria, fabriquée par certains particuliers, mais totalement absente des commerces. Pour cette tarte, la raison est différente : elle provient tout simplement du fait, qu’hormis les quelques fabrications festives, la paria n’est plus réalisée et qu’il est difficile pour les professionnels de s’en procurer. Cependant aucun n’a exprimé le désir d’en confectionner. Les tartes au fromage fort n’ont été retenues que par un seul boulanger, d’une autre petite commune de la Bresse.

Enfin, un nombre croissant d’artisans fabrique et commercialise des tartes aux pralines, variantes des tartes à la crème et des tartes au sucre. Nous reviendrons dans le courant de ce chapitre sur cette innovation.

Bien entendu, les artisans confectionnent et commercialisent également des tartes aux fruits, qui ne présentent néanmoins pas de typicité.

Enfin les brioches, avec une prédominance pour celles en forme de couronne, sont présentes dans tous les commerces de la région. Cependant beaucoup de boulangers et de pâtissiers ont noté la baisse constante de cette production.

En somme parmi les fabrications domestiques de la Bresse centrale de l’Ain, sont essentiellement entrées dans la sphère commerciale, et sont donc rendues publiques, les tartes au sucre, les tartes à la crème, les tartes au fromage et les tartes à la frangipane, avec leurs variantes reposant sur de fines nuances (Cf. Chap.4.3.), auxquelles il faut ajouter les brioches.

Notes
488.

Cette enquête a été réalisée, en 1999, dans le cadre de l’antenne du CNRS « Recherche et information sur les ressources des terroirs » (Bourg-en-Bresse) de l’URA 882-APSONAT.

Elle a été menée auprès de plus de 150 boulangers pâtissiers des communes du départements, sur les quelques 350 existants. Compte tenu du nombre élevé de ces commerces dans les villes de Bourg-en-Bresse, Ambérieu-en-Bugey, Bellegarde-sur-Valserine et Oyonnax, il n’est pas exagéré de considérer que la majorité du territoire a été couverte par les enquêtes, d’autant plus que dans certaines zones, les données obtenues auprès des artisans portent sur plusieurs communes voisines lorsque celles-ci ne possèdent pas de boulangerie, situation assez fréquente. Les artisans des régions de la Dombes, du Bugey et du Pays de Gex ont été majoritairement contactés par téléphone, quelques-uns ont été visités personnellement. Des rencontres plus approfondies ont été menées avec la plupart des artisans de la Bresse, du Revermont et du Val-de-Saône.

Les professionnels ont été interrogés sur les tartes qu’ils fabriquent habituellement, la définition qu’ils en donnent et les termes généralement utilisés pour les désigner.

Ce travail a permis, par extrapolation, l’élaboration de cartes, insérées ci-après, présentant les zones significatives de commercialisation des différentes variantes.

489.

Ce terme est surtout employé dans les boulangeries où ne sont pas confectionnées de tartes à la crème et où, selon les logiques taxinomiques déjà évoquées, il n’y a donc pas de risque de confusion avec cette autre variante.