5.3.3. Les restaurateurs

Rendant publiques des pratiques locales, les restaurants régionaux - c’est-à-dire ceux proposant des plats appartenant au corpus alimentaire local - mettent en scène à destination des consommateurs, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, la nourriture du groupe selon un travail de sélection et d’adaptation. Ces établissements, espaces organisés, participent en effet à un processus de mise en exposition de l’alimentation du groupe. Ce sont à la fois des lieux de publicisation des pratiques familiales et intimes, des lieux de rencontre et d’échange de savoirs et esthétiques gustatifs, des lieux de confrontation entre tradition et innovation, sobriété et ostentation. Les restaurateurs jouent donc, tout comme les artisans, un rôle essentiel dans l’image que la région donne à voir d’elle-même.

L’observation des restaurants régionaux est alors un niveau intéressant d’appréhension de la cuisine régionale495. Il convient d’observer ce que les restaurateurs privilégient, les choix qu’ils effectuent pour représenter leur culture et les spécificités de leur cuisine, la place qu’ils accordent à telle ou telle production locale.

Un premier constat s’impose : en Bresse, le nombre de restaurants, toutes catégories confondues, est relativement élevé. Nous l’évaluons à près de 250 pour toute cette région dont près de 90 pour la seule ville de Bourg-en-Bresse496. Vingt-deux restaurateurs participent à la Route de la Bresse497 alors que seulement dix sont inscrits à la Route du Bugey498 et dix-huit à celle de la Dombes499 (région également à forte concentration de restaurants en raison, entre autres, de sa proximité avec la ville de Lyon). Ces restaurants concernent des catégories fort différentes, de la restauration rapide aux spécialités étrangères, de la cuisine traditionnelle aux « grandes tables », allant d’une à quatre étoiles. Parmi ceux qui nous intéressent - les restaurants présentant une cuisine régionale -, certains sont de véritables institutions locales dont les plus célèbres sont le Restaurant Léa à Montrevel-en-Bresse, la Brasserie du Français à Bourg-en-Bresse et plus encore l’établissement de Georges Blanc à Vonnas. Par ailleurs, certaines maisons s’adressent aux touristes ou à une clientèle locale à la recherche de réjouissances festives, tandis que d’autres, plus modestes, ont une clientèle essentiellement composée de pensionnaires. Enfin, le nombre de couverts est également un critère de différenciation non négligeable puisque, selon la taille des l’établissements, les possibilités culinaires sont fort variables.

Les restaurants régionaux portent souvent des noms faisant référence au territoire, mettant en avant une spécificité locale ou un élément de l’identité ou encore rappelant la simplicité du lieu, reflet de la campagne et de l’intimité. En Bresse, ces restaurants s’appellent L’auberge bressane, Au vieux Meillonnas, Au coq bressan, La poulardière, Le charme de Bresse, La Maison de pays de l’Ain, La Bresse, La table bagésienne, Auberge Le Beaupont, Le rustique, La grenouille bressane, La panouille dorée, Le relais bressan, Le raisin, Hôtellerie La Sarrasine, Le relais des carrons, Au chapon fin, etc. Ainsi, sont utilisées pour dénommer ces établissements, souvent en précision des appellations courantes pour ce genre de restaurants (auberge, relais, clos, table), des localités (Bâgé, Beaupont, etc.), des caractéristiques architecturales (les carrons 500, les cheminées sarrasines501) mais aussi des spécificités alimentaires (la volaille, les grenouilles, les panouilles et les raisins de maïs502).

Notes
495.

Cette observation exclut donc les établissements de spécialités étrangères et dans la plupart des cas la restauration dite rapide, mais inclut les « grandes tables » qui, en Bresse, se revendiquent dans une proximité avec la cuisine locale.

496.

A partir des pages jaunes de l’Annuaire France Télécom.

497.

La Route de la Bresse, couleurs et saveurs, janvier 2001.

498.

La Route du Bugey, vins et fours, décembre 1998.

499.

La Route des étangs de la Dombes, terre de reflets, février 2000.

500.

Il s’agit des briques et des tuiles d’argile cuites qui étaient traditionnellement utilisées en Bresse. Les carronnières, lieux de fabrication, font l’objet de démarches patrimoniales.

501.

Mitres caractéristiques qui coiffent les fermes bressanes, également mises en valeur par des démarches patrimoniales.

502.

Nous rappelons que les panouilles désignent les épis de maïs et qu’un raisin est une grappe de quatre à six panouilles, ainsi solidarisées pour être mises à sécher sous les auvents.