5.4.1.2. Mise en exposition de la biodiversité

Le marché aux fruits d’automne de Cuisiat, à l’initiative des associations « Fruits et Nature en Revermont » et les « Amis de Treffort-Cuisiat » et bénéficiant du soutien du Musée du Revermont, est une manifestation d’un grand professionnalisme : elle repose sur une démarche scientifique de valorisation de la biodiversité et mobilise les compétences de personnalités reconnues (pomologues, chercheurs au CNRS, techniciens agricoles, présentateurs de télévision et de radio, etc.). Elle engage également un grand nombre de personnes tant les bénévoles de l’organisation, que les forains, les visiteurs ou encore les particuliers qui sont sollicités pour fournir des variétés de fruits pour l’exposition. Nous qualifions volontiers cette manifestation de foire en raison de sa périodicité annuelle et des fonctions économiques, sociales et symboliques qu’elle occupe.

Au sein de cette manifestation locale, les productions agricoles et alimentaires bressanes n’occupent pas de place significative. Si elles sont bien présentes (civier, boudin, gaudes, tartes à la crème, courges à cochon, etc.), c’est au même titre que les productions non locales c’est-à-dire des productions agricoles et artisanales génériques ou spécifiques : produits biologiques, fermiers, produits de terroir d’autres régions, spécialités d’un producteur, etc. Les expositions, même si elles portent souvent sur des aliments auxquels les habitants de la région sont attachés puisque tel est le cas des pommes, des poires, des champignons ou encore des courges, ont pour objectif de présenter la diversité variétale : selon une logique scientifique, elles présentent le maximum de variétés connues, si possible à travers le monde. Quant au fruit ou au légume choisi comme thème de l’année, il n’est pas intimement lié à la région. Cette manifestation s’inscrit dans le mouvement des expositions-ventes qui se sont développées en France dès le milieu des années quatre-vingts et qui visent à la redécouverte et la sauvegarde des espèces végétales en voie de disparition, avec un objectif de vulgarisation auprès d’un large public510.

Les trois principaux volets de cette manifestation sont annoncés dans le prospectus : « ‘un marché pour faire vos provisions d’hiver, un bouquet d’animations et d’expositions, un lieu de rencontre où poser vos problèmes de jardin et de verger ’». Cette manifestation, à l’image de toute foire511, a à la fois une fonction commerciale, une fonction informative et une fonction distractive.

Cet événement répond tout d’abord à des préoccupations économiques. Selon une logique de provision pour l’hiver, les visiteurs achètent des fruits et légumes en quantité importante mais ils se fournissent également en produits non proposés par les commerces classiques. Dans ce contexte, l’échange commercial s’effectue directement auprès des producteurs ce qui facilite l’échange d’informations au sujet du produit. Ainsi, les aliments achetés sont plus facilement identifiés par les consommateurs qui leur accordent alors une plus grande estime.

A propos des foires et marchés de bestiaux, Rolande Bonnain souligne qu’» une des principales fonctions de la place est sans contredit l’information »512. Au marché de Cuisiat, cette fonction est centrale : au-delà de l’échange d’informations entre producteurs et consommateurs, l’un des objectifs clairement notifiés de la manifestation est de fournir des renseignements au public concernant les pratiques culturales : détermination des fruits et réponses aux questions portant sur le jardinage. L’information passe également par les expositions : les spectateurs viennent à la fois découvrir des espèces inconnues et confirmer leurs connaissances, les perfectionnant d’année en année. Bien que extrêmement pointues, les précisions portées sur les fiches signalétiques de chaque variété de poires et de pommes sont largement lues par les visiteurs. La fréquentation très élevée de l’exposition des variétés de pommes et poires témoigne de l’intérêt du public pour ces catégories de fruits. Dans ce cadre s’opère la rencontre entre les savoirs vernaculaires, locaux et les savoirs scientifiques détenus par les techniciens agricoles et pomologues sollicités.

Cette manifestation est également un lieu de sociabilité : la présence sur le marché, et tout particulièrement le samedi au moment de son inauguration, est ponctuée d’échanges discursifs, de brèves rencontres, de rendez-vous pris, de salutations, etc. D’ailleurs les hommes politiques ne manquent pas de participer à cette manifestation. Cette sociabilité est renforcée par la fonction distractive de la foire : les visiteurs viennent flâner, en famille ou entre amis, admirent les bancs des producteurs autant que les expositions, s’offrent des extras, etc. En effet, la proximité entre foire et fête, tant historique qu’étymologique, est connue (Rolande Bonnain rappelle que la fête et la foire ne se sont séparées que vers les années cinquante513). Notons que le public est plus jeune que celui des autres manifestations que nous allons présenter, en particulier celles à vocation patrimoniale plus marquée telles que la fête de la paria.

Bien que reposant sur une activité commerciale, le marché aux fruits d’automne de Cuisiat mobilise largement la population locale à la question de la biodiversité, selon une logique pédagogique et militante de la part des organisateurs. Les productions locales, loin d’être centrales, sont resituées par rapport à un corpus plus large, qui inhibe toute tentative de revendication identitaire.

Notes
510.

Cf. à ce sujet, Dubost, 1994.

511.

Voir à ce sujet l’article de Rolande Bonnain, 1984.

512.

Ibid. p.58.

513.

Ibid. p.60.