5.4.2.2. Sociabilité interne autour du plat-totem bressan

L’un des principaux objectifs de cette manifestation est financier : il s’agit, pour l’Amicale des sapeurs-pompiers, de collecter des fonds pour diverses dépenses tant de l’Amicale (voyages, banquets) que de la Compagnie (matériel professionnel). En venant manger, les commensaux savent qu’ils viennent soutenir une action au profit des sapeurs-pompiers de la commune. Néanmoins, le choix du plat proposé n’est pas anodin : le fait qu’il s’agisse de poulet de Bresse, plat-totem de la région, amplifie grandement l’attraction que représente cette manifestation. La présence de cet aliment que tout le monde apprécie en Bresse, accompagné de frites, prouve la volonté de satisfaire le plus grand nombre. Auparavant, les sapeurs-pompiers organisaient, pour cette même finalité, un méchoui. Lorsque l’un d’entre eux proposa de remplacer le mouton par des poulets de Bresse, le succès fut retentissant : les commensaux passèrent de moins d’une centaine à sept cents dès la première édition.

La promotion du poulet de Bresse est alors devenue une autre finalité de cette manifestation. Les organisateurs ne peuvent plus la concevoir sans cette volaille emblématique. Quelques autocollants, parfois des dépliants sur les tables, à une époque quelques expositions de volailles vivantes, dénotent de la volonté de mettre en avant cette production. Néanmoins, surtout depuis quelques années alors que le nombre de commensaux est moins élevé en raison de la concurrence d’autres manifestations similaires, il est nullement besoin d’insister : ici, tout le monde connaît la volaille de Bresse. En effet, le public est essentiellement composé de personnes originaires de Bény et des environs (Marboz, Saint-Etienne-du-Bois, Villemotier, etc.) ou ayant avec cette commune une grande affinité (amis proches, parents). Les touristes sont surtout des « voisins » (Lyonnais, Bugistes, Dombistes, Mâconnais), souvent originaires de la Bresse ou ayant des liens privilégiés avec cette région ; rares sont les étrangers y participant, bien que cette fête se déroule en août, saison la plus touristique. Les commensaux sont donc un public d’habitués, revenant chaque année ou presque, ce qui explique que l’opération la plus démonstrative, les volailles sur les braises, ne soit nullement mise en avant mais installée à l’écart du public : « ‘avant de manger, y en a beaucoup, avant, qui passaient les voir. Mais maintenant les gens sont habitués, les gens qui viennent ont déjà vu, soit ici, soit ailleurs’ ». Nullement exhibées, les volailles sont essentiellement destinées à être consommées. Ce qui est, d’une certaine façon, mis en avant, est le nom du volailler dont le camion, portant les insignes et les coordonnées, est garé à l’entrée du site : tout le monde prend connaissance du fournisseur, dont le nom est connu de tous, qui approvisionne la manifestation. Si les volailles qui rôtissent n’attirent pas les commensaux, les animations qui retiennent l’attention sont donc celles qui varient chaque année. Ces distractions n’ont de lien ni avec le passé et l’histoire, ni avec l’identité et la spécificité du groupe : concours de bûcherons, troupe de musique et de danse brésilienne, baptêmes de montgolfière, motocross, etc.

La sociabilité est l’une des principales finalités de cette fête. La consommation de poulets de Bresse est le prétexte à une grande manifestation collective au cours de laquelle se retrouvent les membres de la communauté villageoise. De nombreuses discussions portent sur l’identification des uns et des autres, sur la présence ou l’absence de telle personne. C’est l’occasion de révéler à la communauté les unions naissantes, quand ce n’est pas à cette occasion que celles-ci se créent. Cette fête prend la forme d’un grand banquet de village.

Etant donné la similitude de cette manifestation avec d’autres (fêtes du poulet à Saint-Nizier-le-Bouchoux, à Vonnas entre autres), des rivalités naissent entre les communes. Par la fréquentation de telle ou telle manifestation, les commensaux marquent leur appartenance à une communauté. Parfois la jalousie pointe derrière le succès des autres organisations : « ‘on n’y va pas, car on trouve qu’ils ont déjà bien assez de monde !’ » avoue en riant un bénévole de la fête de Bény à propos de celle de Saint-Nizier-le-Bouchoux.

Cette manifestation, et toutes celles qui s’y apparentent comme les autres fêtes du poulet, la soirée bressane du poulet à Saint-Etienne-du-Bois, la fête du boudin à Manziat, la fête de l’andouillette à Curciat-Dongalon etc., sont des moments privilégiés pour la communauté, alors que sont réactualisés les rapports sociaux par les échanges discursifs et la participation aux animations. Et si les organisateurs sont fiers du nombre de commensaux, c’est qu’il révèle la force et la cohésion du groupe ; il signifie que la communauté est soudée et mobilisée. Parmi ces manifestations, les fêtes du poulet sont d’autant plus efficaces qu’elles portent sur la consommation du plat emblématique de la région. Mais il s’agit moins ici de signifier à autrui la présence de cet aliment dans son alimentation que d’imposer à chacun des membres de la communauté d’en consommer et de renforcer par là les liens identitaires qui unissent le groupe.