Où qu’ils se déroulent, les concours de volaille fine attirent un large public. D’ailleurs, rares sont les Bressans qui n’ont jamais assisté à l’une des Glorieuses (« ‘il faut quand même le voir au moins une fois ’» déclare une jeune Stéphanoise). Au contraire, nombreux sont ceux qui s’y rendent chaque année. Ayant lieu, à Bourg-en-Bresse comme à Montrevel-en-Bresse, en même temps que le marché, ces manifestations renforcent la sociabilité du jour. A Bourg-en-Bresse, certains visiteurs donnent traditionnellement rendez-vous à des collègues, parents ou amis, au concours pour déjeuner ensemble, avec du poulet de Bresse bien sûr ; d’autres ont pour habitude de se rendre dans un café voisin après la remise des prix. Certaines personnes viennent soutenir des amis qui concourent. Quant aux hommes politiques, ils ne manquent pas de se rendre à ces manifestations très fréquentées. La dimension festive de l’événement est renforcée par des animations dont la nature varie selon les Glorieuses. Ainsi, de manière générale, le jour du concours est une journée particulière pour l’ensemble de la commune.
Néanmoins, si ces concours animent incontestablement le village qui les organise, là n’est nullement l’objectif principal de ces manifestations. Les Glorieuses de Bresse ont avant tout une dimension commerciale comme le note une organisatrice du Comité des fêtes de Bourg-en-Bresse : « ‘ce n’est pas qu’une fête puisqu’au départ c’était un marché. On y a adjoint des animations, mais c’est d’abord un marché, un marché de volailles un peu exceptionnel’ ». Etant donné son rythme annuel, cet événement local prend la forme d’une foire au cours de laquelle particuliers et professionnels viennent s’approvisionner pour les fêtes de fin d’année. Et si la plupart des volailles sont déjà destinées à des grossistes, la participation des éleveurs aux Glorieuses légitime les transactions passées ou futures effectuées : c’est un gage de qualité, la confirmation d’avoir contracté avec un éleveur qualifié. En effet, en participant aux Glorieuses, les producteurs s’insèrent dans un réseau de professionnels reconnus puisque cette manifestation, sélective, n’est accessible qu’aux meilleurs. La présence aux Glorieuses met en évidence l’appartenance de l’éleveur à l’élite des producteurs ; elle souligne sa compétence et son savoir-faire.
D’ailleurs, le prix des volailles dépend des résultats du concours puisque, celles ayant été primées, se vendent bien plus cher : d’après certains informateurs, celles ayant reçu un grand prix d’honneur atteindraient quatre fois le prix des autres. La différence ne laisse pas indifférents les producteurs ! A ce prix de vente supérieur s’ajoute le prix décerné par le comité d’organisation du concours (à titre d’exemple, en 2001, le Grand Prix d’honneur d’un lot de quatre chapons s’élevait à 300 F à Montrevel-en-Bresse) et la prime de présentation attribuée pour chaque volaille exposée (la prime s’élevait à 100 F pour un lot de quatre chapons), sans compter les coupes offertes par les divers sponsors. Les enjeux économiques ne sont donc pas négligeables.
D’ailleurs ces expositions ne s’inscrivent que modestement dans une démarche tournée vers le passé : bien sûr il est fait référence à l’histoire locale ou à l’ancienneté de ces manifestations mais il ne s’agit pas seulement d’une mise en exposition de l’histoire du groupe. Ces manifestations sont avant tout des activités économiques d’aujourd’hui, qui reposent sur une utilisation dynamique du passé. La perfection de ces volailles prestigieuses est tout autant importante que la profondeur historique de ce savoir-faire. En somme, les Glorieuses répondent à une vitalité économique et sociale, mobilisent des acteurs professionnels, continuent à être modelées par l’usage, et correspondent à ce titre à ce que Michel Rautenberg appelle un patrimoine en activité, c’est-à-dire un patrimoine à partir duquel « ‘il est surtout possible de construire, ensemble, des projets, de se projeter collectivement dans l’avenir, de se reconnaître entre soi par le partage d’une identité ’»528.
Michel Rautenberg, 1998c, p.22-23.