Par ailleurs, ce travail a confirmé l’existence de particularismes alimentaires et culinaires importants. L’idée que l’internationalisation de certains mets et comportements alimentaires tend à uniformiser les systèmes alimentaires et effacer les disparités régionales doit être nuancée. Ce discours nostalgique annonçant la disparition de la gastronomie locale n’est d’ailleurs pas nouveau. Julia Csergo note que de nombreux auteurs, dont Lucien Tendret en 1882 et André Theuriet en 1901, tenaient déjà de tels propos540. En fait, si certains aliments font effectivement l’objet d’une uniformisation nationale, voire internationale, d’autres demeurent très localement partagés et bien cantonnés. Même si les systèmes alimentaires locaux évoluent, la diversité reste une réalité alimentaire actuelle et vivante. Elle tend même à se générer, bien qu’il soit difficile d’en faire le constat dans l’actualité. Néanmoins, certaines productions, comme la tarte aux pralines, témoignent des innovations locales en cours.
Ainsi, les productions locales et traditionnelles ne sont pas uniquement, comme le laisse entendre, entre autres, Paul Ariès, une folklorisation de la culture culinaire541, une invention pour contrecarrer la mondialisation. Si elles peuvent apparaître, a priori, comme des productions du passé, stratégiquement revalorisées et reconstruites par les groupes agro-industriels ou les politiques en raison des atouts économiques et identitaires qu’elles représentent, elles sont, le plus souvent, une réalité du corpus alimentaire de la population locale, et sont consommées et vécues dans la proximité. L’attention portée à ces productions par les consommateurs connaisseurs ne correspond pas à l’engouement, surtout citadin, pour les produits de terroir au sens marketing du terme. En somme, les productions locales sont moins appréciées par les consommateurs connaisseurs pour l’image d’authenticité, de sécurité ou de produit du passé qu’elles véhiculeraient que parce qu’elles appartiennent à la culture locale. La typicité existe bien mais elle est vécue au quotidien et n’a pas besoin d’être recherchée.
Julia Csergo, 1995, p.159-160.
« La cuisine du terroir actuellement en vogue constitue également un exotisme de l’intérieur car elle procède aussi par folklorisation des cultures régionales afin de créer une profusion de plats typiques », (Paul Ariès, 1997, p.97).