1.2.3. La monorésidentialité s’inscrit par séquences dans la trajectoire biographique

Un point important caractérise la monorésidentialité : son aspect séquentiel, le fait qu’elle s’inscrit par séquences, par moments, dans le parcours biographique des individus. «‘En fonction des circonstances de sa vie et de celle des individus qui lui sont étroitement associés, une personne peut successivement faire partie des ‘‘personnes seules’’ puis ne plus en faire partie’» 28 .

La probabilité de vivre seul est particulièrement plus forte à certains moments de la trajectoire biographique (séparation, divorce, décès du conjoint ou du compagnon). Les séquences de vie solitaire sont alors de durée très variable selon les individus, et notamment selon la combinaison âge – statut matrimonial – sexe. Elles sont plus longues à mesure que l’on avance dans la pyramide des âges et dans le cycle de vie. Après une séparation, les femmes se remettent moins souvent et moins vite en couple que les hommes : ayant souvent la garde des enfants, elles préfèrent reporter dans le temps une nouvelle union.

Le caractère séquentiel de la monorésidentialité illustre pour une part l’idée selon laquelle «‘le pourcentage de personnes vivant seules à un moment donné ne signifie pas que dans notre société une telle proportion de la population ait choisi la solitude domestique comme mode de vie’» 29 . Cependant, contrairement à Louis Roussel, nous ne pensons pas que ce soit uniquement une «‘conception générale du couple et de la famille [qui] conduit, à un certain moment du cycle de vie, à vivre seul’» 30 . La vie ‘‘solitaire’’ ne représente pas forcément un contre modèle à la conjugalité, mais plus largement «‘un contre modèle de réalisation personnelle’» 31 . Ceci est le cas lorsque le fait d’habiter seul n’est pas directement lié à la dimension conjugale (l’individu vivait auparavant avec des membres de sa famille, des amis ou en institution) et lorsque la monorésidentialité est partielle (des arbitrages entre ‘‘le professionnel’’, ‘‘le conjugal’’ et ‘‘le familial’’ expliquent alors plutôt le choix de la double résidence).

Mais si la monorésidentialité s’inscrit par séquences dans le parcours de vie des individus, il ne faut pas pour autant en conclure que ceci la caractérise de manière propre. Les statuts matrimoniaux et familiaux se multipliant et se succédant durant la vie, la biographie des individus est de plus en plus diversifiée, et c’est donc la trajectoire familiale dans son ensemble qui est de plus en plus séquencée. De ce point de vue là, le concept de ‘‘cycle de vie’’ comprend des limites. Dans sa définition stricte, est pris pour référence un modèle de vie privée adulte linéaire et normatif, plus rarement réalisé de nos jours. En effet, les étapes du cycle de vie traditionnellement retenues, se fondent sur la référence au couple (unique) et à son histoire (entrée dans la vie de couple, naissance, éducation puis départ des enfants notamment). Les individus formant de plus en plus souvent successivement plusieurs couples, et/ou pouvant ‘‘court-circuiter’’ certaines étapes de la vie familiale, il apparaît davantage pertinent de prendre comme référence l’individu, et cela sans préjuger des différentes étapes biographiques qu’il peut traverser. De ce point de vue là, nous préférons le terme de trajectoire biographique 32 à celui de cycle de vie.

Notes
28.

HASKEY, 1990, p. 261.

29.

ROUSSEL, 1989, p. 1002.

30.

Idem.

31.

KAUFMANN, 1994a, p. 951.

32.

TROST, 1987.