Une enquête principale par entretiens semi-directifs ; de la nécessité de garantir la crédibilité des informations recueillies

Notre recherche visant à expliquer et comprendre les modes de coexistence entre habitants comme la façon dont ils se construisent, nous avions besoin de recueillir trois types d’informations. Le premier concernait l’appréhension des relations de voisinage effectives. Le deuxième se rapportait à l’approche des représentations, du sens subjectif des habitants : il s’agissait de savoir de quelle façon était envisagées, vécues, interprétées, reçues les relations avec les autres habitants. Le troisième visait à recueillir les informations nécessaires (compte tenu du cadre d’interprétation retenu) afin d’expliquer et de comprendre les modes de coprésence comme leurs enjeux.

Permettant le développement des idées, le dévoilement des schèmes mentaux, l’approche des pratiques, comme l’accès aux caractéristiques sociales des personnes, l’enquête par entretiens semi-directifs s’est imposée.

Néanmoins, il ne s’agissait pas de prétendre saisir la réalité objective des pratiques de voisinage puisque l’information n’est pas recueillie en direct mais est restituée par l’enquêté : «‘les questions les plus objectives ne recueillent jamais que le résultat d’une observation effectuée par le sujet sur ses propres conduites’» 131 . Les réponses formulées sont dépendantes d’effets de mémoires et d’interprétations rétrospectives, qui sont eux-mêmes à articuler aux effets de la relation d’enquête, aux stratégies de présentation de soi, comme à «‘la conjoncture biographique’» 132 dans laquelle se trouve l’enquêté. En même temps, les discours sur les pratiques n’en sont pas moins riches d’informations : la façon de se représenter ses propres pratiques fait partie de la réalité de ces pratiques.

Afin d’appréhender de façon plus objective les relations de voisinage, j’avais envisagé de compléter l’enquête par entretiens d’une observation directe, notamment au sein des espaces collectifs. Celle-ci aurait permis de saisir les pratiques trop peu légitimes ou trop évidentes et banales pour être formulées dans le cadre d’un entretien. Elle aurait permis d’appréhender les modalités de contacts entre les habitants, ainsi que la façon dont ils se comportaient lorsqu’ils investissaient les espaces collectifs. L’observation directe et à découvert des pratiques s’est avérée impossible à réaliser et cela pour plusieurs raisons.

Premièrement, elle impliquait l’accord des responsables des résidences. Compte tenu de leurs résistances à fournir des informations concernant les habitants et de leur méfiance générale vis à vis de la recherche 133 , il n’était pas envisageable de leur demander l’autorisation d’accéder librement aux espaces collectifs. Et, même avec leur accord, il aurait été préjudiciable pour la recherche d’avoir à gérer une forme de collaboration avec eux. En effet, nous avons montré précédemment qu’ils n’entretenaient pas le même rapport avec les deux principales catégories d’habitants. Ils ont notamment plutôt tendance à dissimuler la présence des non-étudiants. Or, je devais préserver l’enquête par entretiens et assurer les habitants de ma neutralité. Quelle aurait été ma crédibilité de ce point de vue là, en fondant l’accès au terrain sur une collaboration avec des responsables dont les relations avec les différentes catégories d’habitants n’étaient pas neutres ?

Deuxièmement, ma présence au sein des espaces collectifs aurait été incongrue. En effet, nous le verrons plus loin, les espaces collectifs sont trop peu fréquentés et de trop petite taille pour permettre une observation satisfaisante. Ma présence, de ce fait imposante et éminemment visible, aurait sans doute impliqué des tensions ou des sentiments de malaise entre habitants et entre les habitants et moi-même.

Enfin, le rôle social qui m’aurait été attribué pendant l’observation aurait contrarié les objectifs de la recherche. Compte tenu de mon âge et de mon statut d’étudiante, j’aurais été sans doute associée par l’ensemble des habitants, aux étudiants. Les premiers contacts informels avec des étudiants m’ont laissée penser qu’ils auraient sans doute trouvé en moi une alliée ou une complice. Les relations entre étudiants et actifs étant plutôt conflictuelles, une distance entre les actifs et moi risquait alors de s’installer. Associée aux étudiants, il aurait été difficile de les assurer de la neutralité de ma position.

Compte tenu des contraintes liées à l’observation directe des relations de voisinage, je décidai d’effectuer principalement une enquête par entretiens semi-directifs. Fondant l’analyse sur des discours, il s’agissait de contrôler la validité des données : être attentif aux «‘variations entre les actes et les discours, les faits et les mots’» 134 et aux facteurs dont dépendait la verbalisation autobiographique. L’enquête devait être conçue afin d’approcher au mieux les pratiques de voisinage, les représentations associées à ces pratiques et aux autre habitants, comme de permettre l’objectivation des discours.

Les points développés ci-dessous visent à informer le lecteur de la façon dont l’enquête a été construite comme des procédures mises en place afin de garantir la crédibilité et la validité des informations recueillies à partir des entretiens.

Notes
131.

BOURDIEU, CHAMBOREDON, 1983, p. 65.

132.

PENEFF, 1990, p. 122. La conjoncture biographique concerne « le moment d’une vie où le sentiment biographique est exprimé » (passé récent et perspectives d’avenir).

133.

Aucun responsable des résidences ne m’a autorisée à consulter les baux d’habitation. L’un d’entre eux a même déclaré m’interdire d’interroger les habitants de la résidence (résidence C).

134.

PENEFF, 1990, p. 106.