2.3.1. Fiches emploi du temps et journal de terrain

En fin d’entretien je rédigeais avec l’enquêté une «fiche emploi du temps» : je lui demandais de me décrire les sept journées qui avaient précédé l’entretien. Il s’agissait de préciser les différentes activités effectuées (du lever au coucher) ainsi que le lieu où elles s’étaient déroulées et les personnes éventuellement présentes pendant ces activités. Ces fiches emploi du temps visaient principalement à saisir les pratiques de sociabilité (réceptions, hébergements, sorties, etc.), les loisirs des habitants, et le temps passé dans le logement et dans la résidence. Etait également explicitement demandé de préciser les moments où la personne avait fréquenté un espace collectif de la résidence, ainsi que les différents contacts qu’elles avaient pu avoir avec d’autres habitants et avec le responsable de la résidence. Les activités exercées sur le lieu de travail n’étaient pas développées. Ces fiches ne couvrent pas toute la sociabilité mais uniquement les rencontres face à face. Les habitants n’avaient pas à préciser les contacts strictement professionnels et les relations marchandes ou de service. Néanmoins, certains habitants ont fait référence aux discussions qu’ils avaient pu avoir avec des commerçants. D’autres ont fait spontanément référence à des entretiens téléphoniques avec leurs proches. Ces précisions supplémentaires étaient notées et ont permis d’avoir une vision plus précise du réseau de relations : ce sont souvent les gens les plus isolés qui avaient tendance à préciser ces éléments.

Ces fiches ont permis de recueillir des données ‘‘plus objectives’’, dans la mesure où les pratiques recensées étaient cadrées dans le temps et que le point de vue de la personne n’était pas ici sollicité. Elles impliquent cependant plusieurs limites.

L’une d’entre elles concerne les effets de mémoire. Le fait que cette fiche soit remplie après l’entretien peut avoir également pour conséquence une sous ou une surévaluation de certaines activités ou relations sociales : l’enquêté peut avoir tendance à assurer une forme de cohérence ou d’unité avec ce qu’il a déclaré auparavant.

Il ne s’agit donc pas ici de penser que l’ensemble des pratiques a bien été restitué par les habitants : la possibilité que des pratiques aient été omises (pour quelque raison que ce soit) reste présente.

Ces fiches défavorisent également ceux dont les activités ne sont pas cadrées dans le temps (demandeurs d’emploi), mais pas les plus démunis culturellement (qui sont, nous le verrons, de toute façon rares dans notre échantillon). Les individus n’avaient pas à écrire (je le faisais) mais à raconter leur journée 141 .

La durée d’observation retenue n’est pas sans effet. Elle a l’avantage d’être relativement longue et de permettre ainsi d’apercevoir comment se cumulent ou non les différentes activités et formes de sociabilité. Néanmoins, certaines pratiques sont exclusives les unes des autres. Un week-end passé chez des amis exclu une visite aux parents par exemple 142 . Le caractère exceptionnel de telle ou telle pratique était la plupart du temps spontanément précisé par les habitants.

Compte tenu des informations que nous souhaitions obtenir, cette méthode s’est avérée satisfaisante. En effet, seules les informations suivantes ont été conservées et mobilisées dans l’analyse : le nombre de nuits passées dans le logement ainsi qu’à l’extérieur ; les visites reçues (voisins et autres types de relations) ; les relations diverses avec d’autres habitants ; l’utilisation des services et la fréquentation des espaces communs ; les activités effectuées hors logement et hors travail (nature de l’activité, lieu, personnes présentes) 143 .

A la suite de chaque entretien, je notais sur mon journal de terrain ce que j’avais pu voir et entendre entre le moment où j’étais rentrée dans l’immeuble et le moment où j’en étais sortie : personnes croisées, modalités des contacts, présence ou absence de personnes dans les espaces communs les plus visibles et accessibles, etc. Ces mini-observations, relativement sommaires, seront peu mobilisées dans la présentation des résultats. Néanmoins, elles ne sont pas sans intérêt heuristique. Croisées avec d’autres éléments, elles ont participé à l’objectivation des relations entre les habitants.

Je dessinais également un plan de l’appartement en détaillant la place des meubles, des objets, et finalement tous les éléments du logement dont j’avais souvenir.

Notes
141.

François Héran a montré que la technique du carnet de bord, telle qu’il l’avait employée afin de saisir l’intensité de la sociabilité ne constituait pas une enquête culturelle (alors même que les enquêtés avaient à remplir eux-mêmes le carnet laissé par l’enquêteur). HERAN, 1988, p. 5.

142.

Idem, p. 4.

143.

Voir annexe II, deuxième point.