2.5.2. Analyser les effets de la relation d’enquête

Analyser les effets que la relation d’enquête produit sur les discours constitue une des façons de garantir les conditions de validité des résultats.

Pierre Bourdieu dénonce l’idée d’une connaissance pure et considère la question de la neutralité, de la non-directivité dans le cadre d’un entretien comme une illusion. Toute relation d’enquête en tant qu’elle est aussi une relation sociale implique des distorsions, des déséquilibres qui produisent des effets sur les résultats obtenus. Il s’agit donc d’identifier et de maîtriser, pendant l’entretien comme au moment de l’analyse des discours, les effets que produit la structure sociale qui se dissimule derrière la rencontre entre un enquêteur et un enquêté. Il est donc essentiel d’essayer «‘de porter au jour la représentation que l’enquêté se fait de la situation, de l’enquête en général, de la relation particulière dans laquelle elle s’instaure, des fins qu’elle poursuit, et d’expliciter les raisons qui le poussent à accepter d’entrer dans l’échange. C’est en effet à condition de mesurer l’ampleur et la nature du décalage entre l’objet de l’enquête tel qu’il est perçu et interprété par l’enquêté et l’objet que l’enquêteur lui assigne, que celui-ci peut essayer de réduire les distorsions qui en résultent, ou, du moins, de comprendre ce qui peut-être dit et ce qui ne le peut pas, les censures qui empêchent de dire certaines choses et les incitations qui encouragent à en accentuer d’autres’» 148 .

Lorsque j’interrogeais des actifs, la relation d’enquête représentait la rencontre entre une étudiante et un individu non-étudiant. Dès le début de la recherche, je m’aperçus que les relations entre étudiants et actifs étaient plus ou moins conflictuelles. Actualisant en quelque sorte la configuration relationnelle qui était objet de l’analyse, il apparaissait indispensable de réfléchir sur les effets que pouvaient produire la relation d’enquête sur les discours des actifs. L’exigence était également d’assurer les actifs de la neutralité de ma position, comme de réduire la distance sociale qui existait entre eux et moi. Il s’agissait d’inviter les actifs à parler ‘‘librement’’ sans pour autant nier les enjeux qui se dissimulaient de fait derrière cette rencontre. Il était particulièrement important qu’ils n’aient pas le sentiment d’être jugés. La connaissance progressive de la configuration des relations entre actifs et étudiants, m’a permis de mieux saisir et gérer, au fur et à mesure de l’enquête et dans la conduite même de l’entretien, les effets comme les enjeux de la situation d’interview. L’enjeu était autre en ce qui concerne les étudiants : il s’agissait plutôt de cerner les effets d’une familiarité de position. Il était nécessaire dans les deux cas, d’identifier les informations susceptibles d’être omises ou au contraire mises en avant, ainsi que l’image d’eux-mêmes que les habitants avaient intérêt à m’imposer du fait de la particularité de la relation d’enquête 149 .

Afin de mieux analyser les effets de la situation d’enquête, j’écrivais sur mon journal de terrain ce qui avait été dit par les enquêtés lors du premier contact téléphonique, comme mes premières impressions ou analyses concernant l’entretien. Je précisais notamment la façon dont il s’était déroulé, ce qui avait été dit hors enregistrement, les sentiments et impressions que j’avais pu ressentir, les commentaires ou questions de l’enquêté concernant la recherche, etc.

Notes
148.

BOURDIEU, 1993, p. 905.

149.

Les effets de la situation d’enquête ainsi que ses enjeux seront exposés au fil de la présentation des résultats de la recherche.