1.1.1. Les échanges de salutations

Les relations du type «bonjour-bonsoir» lorsqu’elles sont exclusives de toute autre relation sont considérées comme un indicateur d’absence de lien. Cependant, il n’est pas toujours aisé pour l’habitant (comme pour le chercheur) de distinguer un échange de politesse d’une conversation moins superficielle. La frontière qui sépare les deux peut être appréciée différemment selon les caractéristiques sociales des habitants, selon ce que chacun entend par ‘‘discuter’’, selon l’intérêt accordé aux relations de voisinage, selon les enjeux propres au fait de définir ces liens, etc. On peut penser que cette distinction est d’autant plus floue et difficile à opérer que les rapports sont plus brefs, ponctuels, circonstanciels.

Une vingtaine de ménages sur les soixante-cinq interviewés n’entretient pas de relations avec les autres habitants. Ils les présentent comme de simples échanges de salutations, de politesse. Ce sont deux fois plus souvent des actifs que des étudiants.

  • «- quel type de relations avez-vous avec les autres habitants ?
    - aucune... les habitants ? Aucune...»
    Jacques, 32 ans, rédacteur en assurances.
  • «- et quelles relations en fait avez-vous avec les autres habitants ?
    - zéro... bonjour dans l’ascenseur et puis c’est tout»
    Olivier, 32 ans, cadre supérieur d’entreprise privée.
  • «- et donc les autres habitants...
    - ben je les croise... je leur dis bonjour...»
    Victor, 52 ans, directeur de région dans une administration publique.

Si ces habitants ont notamment en commun de ne pas entretenir de relations avec les autres habitants, ils se distinguent du point de vue de la façon dont ils l’expriment. Le premier extrait rend compte d’une réponse explicitant nettement l’absence de lien («aucune»). La réponse d’Olivier est tout aussi lapidaire et souligne l’idée selon laquelle le simple échange de salutations ne constitue pas un lien («zéro»). Au contraire Victor, en employant le verbe «se croiser», met en avant une forme de coprésence minimale (passer l’un à côté de l’autre).

Il n’est pas toujours aisé d’exprimer cette absence de relation. La peur d’être jugé négativement transparaît parfois.

L’absence de relations de voisinage peut être difficile à exprimer par crainte du déshonneur. Avoir honte c’est penser qu’on a commis une faute, ici la faute d’être asocial c’est-à-dire incapable de s’adapter à la vie de la résidence. Cette peur du ridicule se construit aussi dans et par la relation d’enquête : l’enquêté se sent de plus en plus marginal à mesure que l’entretien se déroule et qu’il est mis en position d’expliciter la nature de ces relations. Aussi, Quentin expose ces liens avec les autres habitants à une enquêtrice dont il sait qu’elle est étudiante. Les étudiants sont perçus généralement comme ayant une sociabilité développée. Au sein des résidences ce sont effectivement ceux qui ont les relations de voisinage les plus intenses. La relation d’enquête produit donc des effets d’autant plus inquisiteurs qu’elle renvoie à ce qui se joue au sein des résidences.