1.2. Actifs et étudiants : des habitants qui ne se fréquentent pas

Avec qui chacune des deux catégories d’habitants entretient-elle des liens ? Comment les relations se construisent-elles ?

D’une manière générale chacune des deux catégories entretient uniquement des relations avec des personnes appartenant à la même catégorie. Ceci est particulièrement vrai lorsque l’on porte attention aux liens les plus forts. Aucun habitant n’a déclaré entretenir de relation d’amitié ou effectuer des sorties avec des personnes appartenant à l’autre catégorie. Deux habitants ont mentionné avoir reçu (ou avoir été reçus) par un habitant appartenant à l’autre groupe : ce sont des actifs appartenant à la partie «chambres» de la résidence A. Cependant les réceptions auxquelles il est fait référence ne sont pas synonymes de liens forts :

Il est très révélateur d’apercevoir que Fabien mentionne avoir été invité par des étudiants après avoir abordé les problèmes de nuisances sonores. Etre invité semble perçu comme une forme de dédommagement de ne s’être pas plaint du bruit. Il apparaît aussi surpris de cette invitation («‘même’ une fois ils m’ont invité»). Ces éléments, le fait qu’il ne soit pas resté longtemps, comme l’opposition «moi-eux» qui structure la rencontre, révèlent que les relations entre étudiants et actifs ne vont pas de soi. Présenter la relation comme bienveillante et intégrante («pour au moins se connaître») renvoie à atténuer (pour soi et vis-à-vis de l’enquêteur) le caractère éminemment impropre de la rencontre.

Si étudiants et actifs n’entretiennent pas de liens forts, leur arrivent-ils de discuter ensemble ?

Les discussions entre étudiants et actifs sont de manière générale rares et ponctuelles 178 . Elles sont cependant plus fréquentes au sein de deux résidences : les résidences A (partie «chambres») et C.

Les discussions entre étudiants et actifs, mentionnées par certains habitants de la résidence C, se passent souvent lors du «pot d’accueil» organisé une fois par an (en septembre) par le responsable de la résidence. S’ils discutent ensemble c’est autant parce qu’ils se trouvent de fait en situation de coprésence, que parce que la réunion planifiée est un cadre qui permet de réguler les relations.

De façon générale, les contacts entre étudiants et actifs sont plutôt évités (surtout par les étudiants).

Ces deux extraits illustrent bien que les étudiants souhaitent créer des relations uniquement avec d’autres étudiants. Les invitations à domicile leur sont notamment réservées. L’absence de relations avec les actifs est en premier lieu justifiée par la différence d’âge qui se juxtapose à l’opposition étudiants-actifs.

Nous l’avons précisé plus haut, 21 habitants sur les 65 interviewés, entretiennent des relations fortes avec d’autres habitants : ils se reçoivent souvent, se fréquentent à l’extérieur de la résidence notamment. Parmi ces 21 résidents, 16 sont étudiants et 5 actifs. Comment se sont noués ces liens pour chacune des catégories d’habitants ?

Parmi les 16 étudiants concernés, 6 entretiennent des liens forts avec des gens qui effectuent les mêmes études qu’eux.

Cet extrait illustre bien la façon dont se construisent parfois les relations entre les étudiants. Ils ne s’abordent pas toujours spontanément lorsqu’ils sont à l’intérieur de la résidence : l’une d’entre elles avait aperçu l’autre plusieurs fois dans les couloirs de la résidence mais ne lui avait pas adressé la parole. Le premier contact a eu lieu à l’extérieur, sur le chemin qui les conduit à l’I.E.P. La rencontre tient sa légitimité du fait que les deux étudiantes effectuent le même type d’études. Pour Ingrid, cette discussion spontanée fait sens au moment où elle se rend compte que l’autre personne habite la résidence et fréquente le même établissement qu’elle. Auparavant, elle lui parait suspecte et surprenante («mais qu’est-ce qu’elle me veut»). La relation se construit et s’approfondit à partir de là.

Parmi les 16 étudiants qui entretiennent des relations amicales avec d’autres habitants, 5 d’entre eux connaissaient au moins une personne de la résidence avant d’y habiter.

Ici, connaître une première personne est producteur d’autres relations et d’autres rencontres. Tout se passe comme si le fait d’entretenir préalablement un lien fort avec quelqu’un de la résidence autorisait ou permettait par la suite de nouer des relations avec d’autres habitants.

Cinq étudiants sur les 16 qui entretiennent des relations d’amitié avec d’autres habitants ne connaissaient pas auparavant les personnes qu’ils fréquentent, ni n’effectuent les mêmes études qu’eux. Ce sont principalement des étudiants qui habitent la partie «chambres» de la résidence A. Cette partie de l’immeuble est spécifique par rapport aux autres parties et aux autres résidences : les habitants partagent sanitaires et douches ; les espaces communs du fait de leur aménagement et de leur mode de gestion permettent davantage les rencontres entre les habitants.

Mise à part ce contexte particulier, il est donc plutôt rare que les étudiants entretiennent des liens forts avec d’autres habitants, lorsqu’ils ne connaissent personne à leur arrivée dans les lieux, ou lorsqu’ils ne rencontrent pas d’étudiants effectuant les mêmes études qu’eux.

Seul un quart des habitants qui entretiennent des liens forts avec d’autres habitants sont des actifs (5 sur 16) : 3 d’entre eux n’avaient aucun lien a priori avec les gens qu’ils côtoient régulièrement, 2 connaissaient la ou les personnes citées avant d’habiter la résidence. Dans tous les cas, les relations concernent d’autres actifs.

Ces quelques cas étant assez rares (il concerne un actif sur sept), intéressons-nous plutôt à la façon dont se construisent les contacts moins forts que les actifs ont entre eux. L’extrait d’entretien suivant est révélateur à plus d’un titre :

Les relations spontanées que les actifs entretiennent avec d’autres actifs se construisent à partir de ce qui est perçu de l’autre : c’est «l’aspect physique» qui permet de distinguer aisément qui est étudiant de qui ne l’est pas. Deux indicateurs semblent opérer : l’âge présumé et l’activité professionnelle (devinée par le port du costume notamment). Ces différents indices, qui laissent à penser de façon évidente que la personne n’est pas étudiante, crée un rapprochement entre actifs comme il tend à marquer une distance avec les étudiants : «les jeunes sont avec les jeunes, les moins jeunes avec les moins jeunes». Nous apercevons aussi que ce qui rapproche les actifs concerne leur présence même dans les lieux, présence qui ne va pas de soi puisque les premiers contacts visent à la justifier : «on se demande pourquoi... pourquoi on est là». Cette expression soulignant aussi d’une façon plus implicite le sentiment de ne pas être à sa place. Néanmoins, cette complicité de situation ne provoque pas la construction de liens : les discussions restent la plupart du temps ponctuelles, circonstancielles.

En résumé, chacune des catégories d’habitants entretient des liens avec les membres de sa propre catégorie. Les contacts entre étudiants et actifs sont plutôt évités. Ils apparaissent aussi impropres. Les étudiants entretiennent principalement des relations avec d’autres étudiants qui font les mêmes études qu’eux ou qu’ils connaissaient auparavant. Les actifs entretiennent rarement de liens forts avec d’autres actifs habitant la résidence. C’est le sentiment d’appartenir au même groupe (ceux qui ne sont pas étudiants, qui sont plus âgés) qui les rapproche ponctuellement.

Notes
178.

Elles s’actualisent parfois aux sein de certains espaces communs ce que nous préciserons plus loin.