1.4.3. Une présence sous conditions pour les responsables des résidences

Nous avons précédemment montré que la présence des actifs était contestée par les étudiants. Celle-ci ne correspond pas à l’idée qu’ils se faisaient a priori des habitants de l’immeuble. Les actifs eux-mêmes se sentent atypiques. Comment les responsables considèrent-ils la présence des actifs ?

Seuls les gestionnaires de la résidence A souhaitaient, dès l’ouverture, accueillir des ménages d’une personne quel que soit leur âge ou leur activité professionnelle. Les trois autres résidences étaient plutôt destinées, au départ, à loger des étudiants. Le mélange des deux catégories d’habitants s’est finalement imposé compte tenu des logements qui restaient vacants. La présence des actifs est à présent plutôt valorisée par les responsables des résidences B et D car ils sont perçus comme des locataires solvables. Elle est par contre plutôt dévalorisée au sein de la résidence C dont l’objectif reste d’accueillir uniquement des étudiants.

Si la présence des actifs est à présent admise, voire sollicitée, elle ne semble pas perçue pour autant comme totalement légitime par les responsables des résidences.

Les propos tenus en situation d’interview (au début de l’enquête) nous l’indiquent notamment 181 . Les responsables des résidences ont plutôt eu tendance à dissimuler ou dévaloriser la présence des actifs. Ils n’ont pas toujours fait spontanément référence à eux (certains responsables ont parlé des actifs à partir du moment où je les ai explicitement questionnés à leurs sujets). Leur nombre a plutôt été sous-évalué. Les responsables ont parlé beaucoup plus longuement des étudiants.

La façon dont ils les nomment rend compte également que seule la présence d’un certain type d’actifs est valorisée : «cadres», «personnels de l’administration», «professionnels» sont les termes spontanément employés. Le premier critère visant à les définir se rapporte donc à l’activité professionnelle à l’exclusion de tout autre situation sociale. Et ce n’est pas n’importe quel type d’activité professionnelle qui est mis en avant, puisqu’il est fait référence, plus ou moins explicitement, aux cadres supérieurs de la fonction publique ou des entreprises. Le deuxième attribut associé aux actifs se rapporte à leur mobilité résidentielle : est précisé que leur famille habite ailleurs et qu’ils la rejoignent le week-end. Leur présence dans la résidence est présentée comme provisoire, transitoire.

D’autres attributs semblent en revanche dissimulés, dénoncés ou dévalorisés ; ils renvoient à la situation personnelle des individus. Rappelons tout d’abord que j’ai sollicité les responsables des résidences afin qu’ils me précisent si tel ou tel habitant était étudiant ou non (j’avais besoin de cette information pour construire l’échantillon des personnes à interroger). Les commentaires qu’ils ont alors formulés m’ont permis d’apercevoir que les actifs dont la présence était liée à des raisons personnelles ou familiales étaient plutôt jugés négativement. Au contraire, ceux présents pour raisons professionnelles étaient plutôt valorisés. Un responsable me conseilla même de ne pas contacter certains d’entre eux m’assurant qu’ils n’accepteraient pas d’être interviewés. La façon dont il tenta de contrôler l’enquête visait donc plutôt à exclure de l’échantillon les actifs présents pour raisons personnelles et à imposer au contraire les actifs à double résidence. Ceci nous indique que les seconds sont davantage perçus comme des habitants légitimes que les premiers.

Les discours que les responsables ont tenus dans le cadre d’entretiens plus formalisés sont tout autant révélateurs (même s’ils sont parfois moins explicites). Seul un responsable a évoqué précisément la situation personnelle de certains actifs. A été fait alors référence aux «gens en situation délicate», aux «gens qui divorcent», à ceux «qui veulent se faire oublier», à des gens «bizarres». Leur présence n’est pas souhaitée dans la résidence car «ce sont des gens qui dépriment», qui «sont mal dans leur tête», qui «ont des frais au niveau des avocats et qui ont donc des problèmes financiers». «Ils sont difficiles à gérer» car «ils confient leurs problèmes», «demandent à ce qu’on s’occupe d’eux». Ces habitants sont aussi perçus comme isolés socialement. Leur présence est également suspecte car de longue durée. Un responsable déclara refuser à présent les gens divorcés ou en instance de divorce : «je n’ai pas le temps de m’occuper de ces gens-là».

En conclusion, la présence des actifs dans les lieux pose question. Elle est souvent perçue comme étrange et suspecte. Les étudiants contestent la légitimité de la présence dans les lieux des actifs. Ces derniers se sentent eux-mêmes atypiques au sein des résidences. Les responsables jugent légitime la présence des actifs lorsqu’elle est justifiée par une raison professionnelle. En revanche, ceux présents suite à des événements personnels (un divorce par exemple) ne sont pas les bienvenus.

Notes
181.

La transcription de l’entretien réalisé avec la responsable de la résidence A ne permet pas de connaître les attributs associés aux actifs : à cette époque, la recherche en était à ses prémisses et je n’avais pas encore identifié l’enjeu que pouvait représenter la façon dont les responsables définissaient la population. En revanche, ces informations sont possédées en ce qui concerne les responsables des trois autres résidences.