Les logements ne comprennent pas d’équipements voués à l’entretien du linge mais chaque résidence possède une laverie. Ces laveries se composent d’une ou plusieurs machines à laver et éventuellement d’un sèche-linge. Ce sont souvent de petites pièces, carrelées, sans fenêtre.
Leur utilisation dépend largement du caractère plus ou moins continu de la présence dans les lieux des habitants. Elle dépend donc de la présence ou non d’un deuxième logement et de la façon dont les gens fréquentent ce logement.
Les habitants qui rentrent chez eux tous les week-ends n’utilisent jamais ou qu’exceptionnellement la buanderie.
C’est donc au sein de l’autre lieu d’habitation que s’effectue l’entretien du linge. Ces habitants perçoivent d’ailleurs ce service comme adapté aux résidents ne rentrant pas chez eux tous les week-ends. L’utilisation d’une buanderie commune aux habitants n’est envisagée que selon le rapport à l’autre logement dont l’existence va de soi.
Une trentaine d’habitants, parmi les 65 interrogés par entretiens, ont déclaré utiliser régulièrement ce service 188 (trois sur cinq sont des actifs). Treize personnes ont déclaré avoir utilisé la laverie dans la semaine précédant l’entretien : sept sont des actifs, six des étudiants.
Les habitants apprécient d’avoir à proximité une buanderie.
La buanderie est proche des habitants en termes de distance et permet une circulation interne à l’immeuble (plutôt que dans la ville, le quartier). Ce cloisonnement avec l’extérieur assure un sentiment de sécurité. Ce service permet également aux habitants de continuer à vaquer à leurs occupations, les habitants retournant dans leur logement pendant que la lessive tourne.
La laverie, en tant qu’espace commun aux habitants, favorise-t-elle les relations ?
Les points de vue sont ici partagés. Elle est considérée comme un lieu de sociabilité uniquement par les actifs de la résidence A (partie «deux-pièces»).
La laverie apparaît d’autant plus comme un lieu de rencontres que celles-ci se présentent comme naturelles. Si les contacts sont perçus comme «bons» c’est parce qu’ils sont facilités par le fait que la dimension utilitaire domine. L’entretien du linge donne l’occasion de discuter entre habitants.
Pour les habitants des autres parties de la résidence A et des autres résidences, la buanderie ne constitue pas un lieu de sociabilité.
Si dans ces résidences la laverie n’est pas un lieu de sociabilité c’est notamment du fait du cadre matériel. La présence d’une seule machine à laver annule les situations de coprésence légitime (qu’impliquerait l’entretien simultané du linge). Elle implique au contraire un va et vient entre le logement et la laverie dont on peut penser qu’il souligne une relation d’évitement : «on s’arrange pour se suivre». Il y a aussi évitement lorsque les habitants, comme Patrice et Nadège, font leur lessive à un moment où ils savent qu’ils ne rencontreront personne.
La laverie est un espace commun aux habitants mais qui vise à l’entretien du linge représentant l’intimité. Ceci n’est pas sans effet sur les relations entre les habitants.
L’utilisation de la buanderie implique un rapport assez intimiste entre les habitants, par le biais de leurs vêtements. Ouvrir une machine à laver, y sortir le linge, apercevoir des sous-vêtements c’est pénétrer dans l’intimité des gens. Intimité impliquant d’autant plus d’enjeux qu’elle ne concerne pas un total inconnu mais un voisin. Ces deux extraits illustrent deux attitudes différentes. Pris sur le vif en train d’enlever du linge, Gérard apparaît finalement soulagé : il connaît la personne et celle-ci brise la glace en faisant référence explicitement et avec humour à ses «petites culottes». L’interaction apparaissait pourtant d’autant plus périlleuse à gérer qu’il est un homme et qu’elle est une femme, qu’il a 40 ans et qu’elle en a 20, qu’il est célibataire, qu’elle a un compagnon. Ce qui est en jeu ici est l’image négative que l’enquêté craint donner de lui compte tenu de l’articulation de ces trois éléments. Au contraire, les propos de Nelly renvoient à une réalité moins légère : «il n’y a pas de langage», comme si ce qui était en jeu était innommable. «On est très discret, très froid», comme si cette attitude permettait de maintenir l’autre à distance de son intimité. Une distance d’autant plus ‘‘salutaire’’ qu’elle est une femme. Celles-ci entretiennent en effet une relation particulière avec le vêtement : «bien que les différences sexuelles tendent à s’atténuer un peu, les habits et sous-vêtements féminins se distinguent des vêtements masculins : plus nombreux, plus diversifiés et plus raffinés. Spécificité vestimentaire intimement liée aux rapports de sexe : le vêtement est un élément central de la séduction féminine» 189 .
60,8% (31/51) des habitants interrogés par questionnaires ont déclaré avoir utilisé au moins une fois la laverie. Parmi eux, deux tiers ont déclaré l’utiliser au moins une fois tous les quinze jours.
KAUFMANN, 1992, p. 173.