1.6.1. La laverie

Les logements ne comprennent pas d’équipements voués à l’entretien du linge mais chaque résidence possède une laverie. Ces laveries se composent d’une ou plusieurs machines à laver et éventuellement d’un sèche-linge. Ce sont souvent de petites pièces, carrelées, sans fenêtre.

Leur utilisation dépend largement du caractère plus ou moins continu de la présence dans les lieux des habitants. Elle dépend donc de la présence ou non d’un deuxième logement et de la façon dont les gens fréquentent ce logement.

Les habitants qui rentrent chez eux tous les week-ends n’utilisent jamais ou qu’exceptionnellement la buanderie.

  • «- la laverie est-ce que vous l’avez déjà utilisée ?
    - non... non étant donné que je pars le week-end, j’emporte mes affaires»
  • Liliane, 45 ans, agent France Telecom.
  • «il y a une salle où on peut laver ses affaires, il y a un sèche-linge, un lave-linge... j’y suis jamais allé parce que j’en ai pas l’utilité : je rentre tous les vendredis soirs»
    Roland, 44 ans, responsable de travaux.
  • «il y a aussi les machines à laver, j’en passe pas par là... c’est surtout pour les personnes qui ne rentrent pas de la semaine ou il y en a quand même beaucoup qui restent là le week-end parce qu’elles habitent loin»
    Fabien, 31 ans, attaché commercial pharmaceutique.

C’est donc au sein de l’autre lieu d’habitation que s’effectue l’entretien du linge. Ces habitants perçoivent d’ailleurs ce service comme adapté aux résidents ne rentrant pas chez eux tous les week-ends. L’utilisation d’une buanderie commune aux habitants n’est envisagée que selon le rapport à l’autre logement dont l’existence va de soi.

Une trentaine d’habitants, parmi les 65 interrogés par entretiens, ont déclaré utiliser régulièrement ce service 188 (trois sur cinq sont des actifs). Treize personnes ont déclaré avoir utilisé la laverie dans la semaine précédant l’entretien : sept sont des actifs, six des étudiants.

Les habitants apprécient d’avoir à proximité une buanderie.

  • «ce qui est appréciable aussi c’est que tu n’as pas besoin de trimbaler ton linge, tu as les machines à laver en bas»
    Amélie, 23 ans, étudiante en licence d’ethnologie et en maîtrise de psychologie.
  • «ça permet de ne pas avoir à sortir pour aller laver son linge»
    Pierre, 21 ans, étudiant en 1
    ère année d’école d’ingénieur.

La buanderie est proche des habitants en termes de distance et permet une circulation interne à l’immeuble (plutôt que dans la ville, le quartier). Ce cloisonnement avec l’extérieur assure un sentiment de sécurité. Ce service permet également aux habitants de continuer à vaquer à leurs occupations, les habitants retournant dans leur logement pendant que la lessive tourne.

La laverie, en tant qu’espace commun aux habitants, favorise-t-elle les relations ?

Les points de vue sont ici partagés. Elle est considérée comme un lieu de sociabilité uniquement par les actifs de la résidence A (partie «deux-pièces»).

  • «en général on a un bon contact avec les gens puisqu’on se retrouve à aller laver notre linge en même temps... des fois on se retrouve avec des gens et il y a un bon contact»
    Dan et Danièle, 24 ans, mariés, technicien informatique et infirmière.
  • «le lieu de rencontre sociologiquement parlant ça reste la buanderie et puis le hall quoi... la buanderie on va croiser la personne qui est en train de faire son linge en même temps que nous et là on va discuter de la pluie et du beau temps»
    Etienne, 27 ans, chef d’équipe - responsable de secteur de grande surface.

La laverie apparaît d’autant plus comme un lieu de rencontres que celles-ci se présentent comme naturelles. Si les contacts sont perçus comme «bons» c’est parce qu’ils sont facilités par le fait que la dimension utilitaire domine. L’entretien du linge donne l’occasion de discuter entre habitants.

Pour les habitants des autres parties de la résidence A et des autres résidences, la buanderie ne constitue pas un lieu de sociabilité.

  • «tout le monde s’arrange pour ne pas se rencontrer finalement... il n’y a qu’une machine à laver… si je veux rencontrer du monde je vais à la laverie automatique qui est à côté (rires)
    - il n’y a qu’une machine...
    - il n’y a qu’une machine... oh en général les gens s’arrangent pour se suivre pour faire leur lessive... attendent qu’elle soit finie... vous remontez, vous savez que ça dure dix minutes, un quart d’heure... tout le monde se croise un peu»
    Henri, 44 ans, serrurier (ouvrier).
  • «- vous y allez plutôt à un moment particulier ? [à la laverie]
    - plutôt le samedi... il y a moins de monde donc je suis à peu près sûr d’y aller et d’y mettre directement... des fois le soir en semaine il y a plus de monde... comme je suis souvent là le week-end, j’essaye le plus souvent le week-end...
    - est-ce qu’il vous arrive d’y rencontrer des gens ?
    - rarement... très très rarement... quand on se rencontre on se dit juste bonjour donc non c’est relativement rare... surtout le week-end il y a quand même beaucoup moins de monde le week-end donc en plus j’y vais relativement tôt... je pense qu’à 7h30 il n’y a pas grand monde de levé dans la résidence donc je pense pas que j’aurais une chance de rencontrer beaucoup de monde»
    Patrice, 32 ans, ingénieur - consultant.
  • «- est-ce qu’il vous arrive d’y rencontrer des gens ?
    - rarement... on se croise rarement parce que moi je fais ma lessive le soir très tard donc rarement quoi...»
    Nadège, 20 ans, étudiante en 1
    ère année de D.E.U.G. de langues.

Si dans ces résidences la laverie n’est pas un lieu de sociabilité c’est notamment du fait du cadre matériel. La présence d’une seule machine à laver annule les situations de coprésence légitime (qu’impliquerait l’entretien simultané du linge). Elle implique au contraire un va et vient entre le logement et la laverie dont on peut penser qu’il souligne une relation d’évitement : «on s’arrange pour se suivre». Il y a aussi évitement lorsque les habitants, comme Patrice et Nadège, font leur lessive à un moment où ils savent qu’ils ne rencontreront personne.

La laverie est un espace commun aux habitants mais qui vise à l’entretien du linge représentant l’intimité. Ceci n’est pas sans effet sur les relations entre les habitants.

  • «il y a deux machines et deux essoreuses, si pour une raison ou une autre vous avez été retardé, votre machine étant terminée, on peut supposer que quelqu’un vient parce qu’il a besoin de faire une machine alors ce qui est marrant, moi ça m’est jamais arrivé... si ça m’est arrivé une fois mais c’était Valérie je crois qui avait travaillé à l’agence, que je connaissais... ça, ce n’est pas forcément évident... il y avait deux machines qui étaient prises dont une qui était finie : c’était la sienne… alors vous vous retrouvez à enlever du linge qui ne vous appartient pas d’une machine à laver pour poser dessus... ce n’est pas évident, c’est une atteinte à... bon c’était elle, ça allait très bien elle est arrivée à ce moment là... elle a 20 ans... 20 ans, 22 ans, elle a un petit copain, elle me dit (rires) oh c’était mignon ‘‘ben comme ça vous aurez vu mes petites culottes’’ (rires) bon ben oui... on est confronté à ça quand même»
    Gérard, 44 ans, travailleur social.
  • «ce n’est pas un lieu de rencontre on est là, on attend, on plie ses affaires... surtout que parfois c’est vrai, voir les sous-vêtements d’autres personnes... a priori ils voient les nôtres c’est pas génial... c’est vraiment quelque chose… on est très discret et très froid... il n’y a pas de langage»
    Nelly, 22 ans, étudiante en 1
    ère année d’école d’ingénieur.

L’utilisation de la buanderie implique un rapport assez intimiste entre les habitants, par le biais de leurs vêtements. Ouvrir une machine à laver, y sortir le linge, apercevoir des sous-vêtements c’est pénétrer dans l’intimité des gens. Intimité impliquant d’autant plus d’enjeux qu’elle ne concerne pas un total inconnu mais un voisin. Ces deux extraits illustrent deux attitudes différentes. Pris sur le vif en train d’enlever du linge, Gérard apparaît finalement soulagé : il connaît la personne et celle-ci brise la glace en faisant référence explicitement et avec humour à ses «petites culottes». L’interaction apparaissait pourtant d’autant plus périlleuse à gérer qu’il est un homme et qu’elle est une femme, qu’il a 40 ans et qu’elle en a 20, qu’il est célibataire, qu’elle a un compagnon. Ce qui est en jeu ici est l’image négative que l’enquêté craint donner de lui compte tenu de l’articulation de ces trois éléments. Au contraire, les propos de Nelly renvoient à une réalité moins légère : «il n’y a pas de langage», comme si ce qui était en jeu était innommable. «On est très discret, très froid», comme si cette attitude permettait de maintenir l’autre à distance de son intimité. Une distance d’autant plus ‘‘salutaire’’ qu’elle est une femme. Celles-ci entretiennent en effet une relation particulière avec le vêtement : «bien que les différences sexuelles tendent à s’atténuer un peu, les habits et sous-vêtements féminins se distinguent des vêtements masculins : plus nombreux, plus diversifiés et plus raffinés. Spécificité vestimentaire intimement liée aux rapports de sexe : le vêtement est un élément central de la séduction féminine» 189 .

Notes
188.

60,8% (31/51) des habitants interrogés par questionnaires ont déclaré avoir utilisé au moins une fois la laverie. Parmi eux, deux tiers ont déclaré l’utiliser au moins une fois tous les quinze jours.

189.

KAUFMANN, 1992, p. 173.