1.6.2. La salle commune

Chaque résidence possède une salle commune. Celles des résidences A et C sont similaires. Il s’agit d’une salle aménagée à la façon d’une salle de cinéma : la télé située au fond de la pièce fait face à plusieurs rangées de fauteuils. La salle commune de la résidence C est différente. Elle comprend un espace de restauration (tables, chaises, comptoir) où sont servis, aux personnes présentes pour une ou plusieurs nuits, les petits déjeuners. Dans un angle se trouve la télévision ainsi que quelques sièges. La résidence D ne possède pas de salle avec télévision.

Les salles de télévision apparaissent peu fréquentées. Trois ménages sur quatre ont déclaré n’être jamais allés ou être allés une seule fois (par curiosité) dans la salle commune. Ce sont plus souvent des actifs que des étudiants. Les fiches emploi du temps créditent cette faible fréquentation puisque seuls deux résidents (des étudiants) ont fréquenté la salle commune lors de la semaine précédant l’entretien.

Trois éléments justifient, selon les habitants, leur absence de fréquentation.

Le premier concerne le fait de posséder ou non une télévision dans son logement. Trois ménages sur cinq possèdent la télévision et ce sont pour les deux tiers des actifs.

La salle de télévision implique deux dimensions : la dimension ‘‘utilitaire’’ (regarder la télé) et la dimension relationnelle (elle met en situation de coprésence les habitants). Même si pour les enquêtés ces deux dimensions sont souvent présentes, la dimension utilitaire apparaît comme le passeport d’entrée dans la salle. Il faut «une bonne raison» pour y pénétrer et celle-ci ne peut être liée qu’à l’absence de télé dans le logement ou d’un équipement annexe (le magnétoscope). Ceci induit en filigrane une forme d’illégitimité à fréquenter cette salle afin de nouer des liens avec d’autres habitants.

Si les habitants ne fréquentent pas la salle de télévision c’est aussi parce qu’ils la jugent non conviviale. Les actifs sont ceux qui expriment le plus souvent cette idée.

Pour certains habitants la salle de télévision était associée à convivialité et rencontres entre habitants. Les quelques fois où ils s’y sont rendus leur ont permis de constater que la salle était peu fréquentée et non chaleureuse. Déçus, investir cet espace commun perdit de son intérêt (d’autant plus que certains d’entre eux possédaient une télévision dans leur logement).

Le troisième élément avancé afin de justifier la non-fréquentation de la salle de télévision met en jeu les relations entre étudiants et actifs : si les actifs déclarent ne pas la fréquenter, c’est aussi parce qu’ils la perçoivent comme adaptée voire réservée aux étudiants.

Si la salle de télévision est souvent considérée comme pouvant a priori permettre aux habitants de se rencontrer, d’entrer en contact, elle est aussi perçue comme principalement fréquentée par les étudiants. Leur fréquentation va de soi car elle est spontanément associée à l’absence de poste de télévision dans le logement. Cependant, elle contraint la sociabilité de voisinage des actifs qui ne se sentent pas, par conséquent, légitimés à la fréquenter et qui redoutent les contacts avec les étudiants.

Un ménage sur quatre fréquente régulièrement la salle de télévision. Ce sont principalement des étudiants et pour moitié des étudiants habitant la partie «chambres» de la résidence A. Seulement cinq actifs sur les 27 interrogés au sein des trois résidences concernées ont déclaré aller parfois dans la salle de télévision ; quatre d’entre eux habitent la résidence A (partie «chambres»).

Les habitants de cette dernière insistent souvent sur le fait que la fréquentation de la salle crée des contacts entre les habitants.

Nous retrouvons ici l’idée selon laquelle il est légitime de fréquenter la salle de télévision lorsque l’on ne possède pas de poste dans son logement. Ceci est d’autant plus vrai lorsque l’habitant n’est pas étudiant. Ainsi, Fabien associe de suite sa présence qu’il perçoit bien comme exceptionnelle («je dois être un des plus âgés») à ce qui l’autorise à fréquenter la salle (l’absence de poste) : «par obligation aussi j’y vais». Comme le précise explicitement Alain, ceux qui fréquentent la salle de télévision alors qu’ils possèdent un poste, sont considérés comme recherchant des relations, ce qui n’est pas valorisant ni valorisé. Ainsi, insister sur le caractère obligatoire de sa fréquentation permet à Fabien de se prémunir du regard éventuellement suspicieux qu’il attribue à l’enquêteur et qui n’est sans doute pas indépendant des normes en vigueur dans la résidence.

Se sentant légitimés à fréquenter la salle du fait qu’ils n’ont pas de poste, ces habitants avouent plus facilement l’importance qu’ils accordent à l’aspect relationnel. La dimension utilitaire apparaît alors plutôt dévalorisée : «souvent on parle plus qu’on ne regarde la télé donc ça me va très bien». La salle télé devient un lieu d’informations sur la résidence.

L’aspect convivial de la salle télé n’apparaît pas dans les discours des habitants des parties «studios» et «deux-pièces» de la résidence A et de ceux des deux autres résidences concernées. L’extrait suivant en rend bien compte.

Cet étudiant se donne beaucoup de mal afin de justifier sa fréquentation de la salle de télévision. Il la présente tout d’abord comme liée à certains «événements» télévisuels. C’est la particularité du programme qui la provoque, la justifie et la rend admissible : «des matchs de foot ‘normal’». Ceci est aussi une façon d’insister sur le caractère utilitaire de la salle télé. La dimension relationnelle est d’ailleurs plutôt dévalorisée. La fréquentation de la salle de télévision semble aussi d’autant plus autorisée pour les étudiants, qu’elle constitue et renvoie à un temps de pause dans leur travail personnel.

La résidence D est la seule résidence ne comportant pas de salle avec télévision. La salle commune est réservée à la restauration (petit déjeuner uniquement) et comprend un billard 190 . Elle est fermée à clé et ne peut donc être investie qu’au moment du petit déjeuner ou lorsque les résidents en possèdent la clé (à demander à la responsable de la résidence).

Un petit déjeuner est offert une fois par mois à chaque résident. Il est servi entre 7h30 et 8h30. Très rares sont les habitants qui prennent leur petit déjeuner dans cette salle. Les habitants le justifient souvent par le fait que les horaires ne leur conviennent pas. Il semble également que la faible fréquentation de cette salle constitue un véritable frein à tout investissement.

Les propos de ces deux habitants rendent bien compte de la difficulté de fréquenter seul un espace commun qui n’est pas du tout investi par les autres habitants. Sylvie ne conçoit pas de prendre son petit déjeuner dans cette salle sans être accompagnée. Sébastien semble presque s’amuser du caractère saugrenu de sa situation, même si la non-fréquentation du lieu par les autres habitants l’a surpris, et à participer de sa déception concernant l’absence de liens entre résidents.

Notes
190.

Nous préciserons la façon dont les habitants investissent le billard ultérieurement.