2.3.2. Les actifs sont sensibles aux contacts qu’ils ont avec les habitants

Souvent, les actifs racontent des anecdotes très précises concernant les contacts qu’ils ont pu avoir avec d’autres habitants. Ils se souviennent des lieux, des personnes présentes, des circonstances de la rencontre. Ils sont particulièrement sensibles au regard que les étudiants portent sur eux. Ils se sentent d’ailleurs jugés et rejetés. Or, le fait d’être stigmatisé implique souvent des conséquences du point de vue de la manière d’aborder et de présenter les relations sociales. Ainsi, Erving Goffman précise que les stigmatisés sont plus souvent «critiques de la scène sociale» que les non-stigmatisés, qu’ils ont tendance à beaucoup plus observer ce qui se joue dans les relations sociales. L’individu stigmatisé «devient ‘‘conscient de la situation’’, dans le temps où les normaux s’engagent spontanément dans cette situation qui, par elle-même, n’est pour eux qu’un arrière-plan négligeable. Une telle extension de la conscience chez le stigmatisé est encore renforcée par sa vigilance particulière, bien supérieure à celle des normaux, pour les aléas de son acceptation et de son éventuelle mise à nu» 196 . Plus les individus sont stigmatisés et plus ils perçoivent la pression du regard des autres 197 .

Aussi, ils ressentent parfois des sentiments de honte concernant le fait qu’ils n’entretiennent pas de relation avec les autres habitants 198 . Or, les normes intériorisées sont autant d’instruments qui rendent l’individu stigmatisé «intimement sensible à ce que les autres voient comme sa déficience, et qui inévitablement l’amènent, ne serait-ce que par instants, à admettre qu’en effet il n’est pas à la hauteur de ce qu’il devrait être. La honte surgit dès lors au centre des possibilités chez cet individu qui perçoit l’un de ses propres attributs comme une chose avilissante à posséder, une chose qu’il se verrait bien ne pas posséder» 199 .

Notes
196.

GOFFMAN, 1975, p. 133.

197.

Dans le même sens, Jean-Claude Kaufmann (1999) montre, lors de son enquête sur les femmes célibataires et vivant seules, que plus les femmes sont exclues du modèle de vie privée dominant, plus elles imaginent ou perçoivent la pression du regard des autres.

198.

Voir ‘supra’, deuxièmepartie, chapitre I (1.1.1.).

199.

GOFFMAN, 1975, p. 18.