2.3.3. Les relations entre actifs sont ambivalentes

Les relations que les actifs entretiennent entre eux sont aussi révélatrices de la stigmatisation qu’ils subissent. Lorsqu’ils se croisent dans les couloirs ou dans l’ascenseur ils se saluent et discutent parfois. Ces discussions traitent spontanément des raisons de leur présence au sein des résidences : elles visent à la justifier. Les actifs se reconnaissent donc en tant qu’exclus : ils savent qu’ils appartiennent à la même catégorie ce qui tend à les rapprocher. Ces contacts sont importants car ils constituent pour eux une façon de s’apercevoir qu’il existe d’autres individus dans la même situation qu’eux. Cependant, ces brèves rencontres ne donnent pas lieu à la constitution de liens plus forts et cela même lorsqu’elles prennent place dans un cadre susceptible de favoriser les relations interpersonnelles (le logement, les espaces communs, des sorties à l’extérieur de la résidence par exemple). Les actifs ne nouent que très rarement de liens entre eux, alors même qu’ils en expriment le souhait. Mais entretenir des relations avec d’autres actifs reviendrait à s’allier à d’autres stigmatisés. Le risque serait alors de percevoir sa situation (et de la donner à percevoir) comme encore plus stigmatique : «la proximité des expériences appelle les affinités affectives, les émotions partagées, en même temps qu’elle renvoie au discrédit subi, à la réprobation commune» 200 . Le processus de stigmatisation tend donc à produire une forme de mise à distance et d’évitement entre actifs. Tout se passe comme si le partage de la même disqualification les empêchait d’être soudés.

Si les relations entre actifs sont ambivalentes 201 c’est parce qu’elles se fondent à la fois sur une forme de complicité par le stigmate (rapprochements ponctuels) et sur une tendance à l’évitement (l’alliance avec d’autres stigmatisés étant douloureuse et risquée).

Notes
200.

GRUEL, 1985, p. 438.

201.

Simonetta Tabboni (2000, p. 97) définit l’ambivalence comme « la présence simultanée, dans la motivation de l’acteur, de deux besoins ou tendances opposés mais qui sont liés aussi de manière indépassable ».