2.4. Conclusion

La configuration relationnelle est du type établis-marginaux car les actifs sont stigmatisés au sein des résidences. Les étudiants (les établis) attribuent des caractéristiques dépréciatrices aux actifs (les marginaux). La présence de ces derniers dans les résidences est jugée illégitime et étrange, au contraire de celle des étudiants qui va de soi. Les caractéristiques qui servent à discréditer les actifs sont principalement leur statut de non-étudiant et leur âge auxquels les étudiants associent d’autres traits renvoyant de façon générale à une plus grande suspicion concernant leur vie personnelle (santé mentale, mœurs sexuels, histoire personnelle douteuse, etc.). Il apparaît que les actifs les moins stigmatisés sont ceux à double résidence : tout se passe comme si leur situation professionnelle, familiale, résidentielle neutralisait la chaîne stigmatique. Même si leur présence est contestée, ils sont davantage tolérés que les actifs à résidence unique dont, a contrario, la situation résidentielle autorise la projection de toute une série de critères très discriminants, renvoyant de façon plus générale aux normes en vigueur dans la société qui discréditent ceux qui s’éloignent du modèle de vie privée dominant.

Cependant, même si la situation résidentielle constitue un trait susceptible de diminuer ou de neutraliser la stigmatisation, invisible lors des contacts quotidiens, elle ne préserve pas les actifs à double résidence du processus de stigmatisation. En définitive, tous les actifs sont donc susceptibles de le subir. Le processus d’attribution de caractéristiques dépréciatrices aboutit à une forme d’étiquetage produisant ce que Erving Goffman nomme l’identité sociale virtuelle. Cette dernière se rapporte aux caractéristiques qui sont imputées aux gens et qui sont des anticipations, des hypothèses par rapport à l’identité sociale réelle, c’est-à-dire les attributs possédés réellement. Ces anticipations entraînent des attentes normatives qui, non satisfaites, produisent le stigmate.

Le processus de stigmatisation ne se révèle pas seulement dans l’analyse de la façon dont les étudiants perçoivent les actifs. L’analyse des pratiques de sociabilité montre que les actifs sont également isolés au sein des résidences. Tout les oppose de ce point de vue là aux étudiants (nature des relations, fréquence, intensité des liens).

Il y a également stigmatisation car le processus d’attribution s’accompagne d’un processus d’incorporation du stigmate par les actifs en tant qu’exclus : «dans cette lutte pour le pouvoir, le dénigrement social par les puissants a généralement pour effet d’inculquer au groupe moins puissant une image dévalorisée, et ainsi de l’affaiblir et de le désarmer» 202 . Les normes en vigueur tendant à imposer l’illégitimité de la présence des actifs dans les résidences, permettent de maîtriser, de contrôler les pratiques des actifs, et de les tenir à distance. Le fait que les actifs s’auto-excluent des espaces communs, qu’ils n’entretiennent pas de relations avec les autres habitants, illustrent qu’ils ont intériorisé les normes établies et qu’ils s’y conforment plutôt (au regard des indicateurs retenus, à ce stade de l’exposé, et qui concernent principalement les pratiques de sociabilité). En restant à la place que leur a assignée les étudiants, ils reconnaissent leur pouvoir comme légitime et participent en quelque sorte à leur propre exclusion symbolique.

Notes
202.

ELIAS, 1997, p. 36.