1.4. Les étudiants : un groupe plus soudé et plus visible que celui des actifs

Souvent les relations de voisinage se structurent selon l’opposition propriétaires/locataires, anciens/nouveaux habitants.

La première proposition n’a pas de sens au sein de nos contextes résidentiels puisque les habitants sont locataires.

Le pouvoir symbolique des étudiants n’est pas non plus lié à une différence d’ancienneté dans les lieux. L’ensemble des habitants interrogés par entretiens habitent les résidences depuis moins de deux ans. Un peu plus de la moitié d’entre eux sont présents depuis moins d’un an. Si les actifs sont légèrement surreprésentés dans cette catégorie, les écarts ne sont pas significatifs.

Si traditionnellement les modes de coexistence entre habitants se structurent en fonction de la durée d’ancienneté dans les lieux, c’est notamment parce que celle-ci renvoie à des différences en termes de cohésion sociale et d’organisation. Les plus anciens sont aussi souvent les plus soudés. Plus un groupe est soudé, plus il impose ses normes et plus en retour il renforce son pouvoir symbolique. C’est notamment ce que Norbert Elias (Logiques de l’exclusion) a montré afin d’expliquer la hiérarchie des statuts à Winston Parva. Si les étudiants sont en position plus favorable que les actifs dans la configuration des relations et si leurs normes sont imposées c’est effectivement pour une part parce qu’ils sont plus soudés au sein des résidences.

Comme nous avons eu l’occasion de le préciser à plusieurs reprises, rares sont ceux qui déclarent n’entretenir aucune relation avec d’autres étudiants habitant les résidences, ou avoir discuté une ou deux fois avec un voisin (sans pour autant avoir entretenu de liens plus forts). Ils déclarent beaucoup plus souvent que les actifs recevoir d’autres étudiants, avoir des amis au sein de la résidence et effectuer avec eux des activités à l’extérieur de la résidence. Au contraire, les actifs entretiennent entre eux des relations ambivalentes faites de rapprochements ponctuels et surtout d’évitements : rares sont ceux qui entretiennent des relations avec les membres de leur propre catégorie.

Les discours tenus par les étudiants, visant à définir les relations qu’ils entretiennent entre eux, montrent également qu’il existe un assez fort sentiment d’appartenance au même groupe. Nous avons notamment vu que les échanges de services étaient moins souvent que pour les actifs strictement de l’ordre du dépannage. Au contraire, le fait d’être étudiant et de vivre les mêmes choses (la période des examens par exemple) suffit, notamment au sein de la résidence A, à créer un mouvement de solidarité et d’entraide indépendant des relations électives entretenues par ailleurs 217 . Aussi, les étudiants emploient fréquemment le pronom indéfini «on» lorsqu’ils décrivent les activités qu’ils effectuent avec les autres étudiants habitant la résidence : «on va boire un coup», «on a mangé ensemble», etc. Dire «on» c’est d’une certaine façon dire «nous» et par cela exprimer l’appartenance au groupe. En revanche, les termes employés par les actifs afin de définir les autres actifs avec qui ils ont (ou avaient eu) des liens, renvoient plutôt à une distance relationnelle («des gens», «cette personne»).

Les étudiants sont également plus visibles. Ils sont tout d’abord beaucoup plus nombreux que les actifs. Si les espaces communs sont de façon générale assez peu fréquentés, lorsqu’ils le sont c’est par des étudiants. Au contraire, les actifs ayant intériorisé la stigmatisation, s’auto-excluent des espaces de sociabilité de la résidence. En se rendant invisibles, ils cultivent en quelque sorte l’illégitimité de leur présence dans les lieux et renforcent le pouvoir symbolique des étudiants.

Les actifs sont présents de façon minoritaire au sein des résidences, ce qui participe et contribue à imposer l’illégitimité de leur présence dans les lieux.

La cohésion sociale du groupe des étudiants est d’autant plus forte, et produit d’autant plus d’effets, que coexistent au sein des résidences deux catégories d’habitants très distinctes l’une de l’autre. Le fait que la structure de la population se polarise en deux termes opposés (actifs/étudiants) favorise un classement immédiat, et a sans doute pour effet d’aiguiser la perception des différences. En conséquence, elle contribue à étouffer ou diminuer les autres formes de différenciation possible et notamment celles éventuelles entre étudiants. Si les étudiants sont soudés c’est donc également parce qu’ils se retrouvent, sont unis du point de vue de ce qui les oppose aux actifs.

Notes
217.

Rappelons-nous notamment les propos de Caroline, 22 ans, étudiante en 4ème année d’orthophonie : « quand on n’a pas le moral c’est vrai qu’on descend et on est tous dans la même galère au moment des examens et on se retrouve et on en a tous marre ».