Conclusion

Plusieurs facteurs favorisent l’imposition de l’illégitimité de la présence dans les lieux des actifs, donc tendent à créditer la hiérarchie des statuts qui prévaut au sein des résidences.

La présence des actifs au sein des résidences marque une rupture avec une approche catégorielle de la monorésidentialité et des âges de la vie. Si les actifs accordent à l’ordre une validité légitime, c’est «‘en vertu de la tradition : validité de ce qui a toujours été’» 240 .

La rupture avec une approche catégorielle des âges de la vie rend plus prégnante les différences entre les âges. Elle autorise tout particulièrement les étudiants à mobiliser le critère de l’âge dans le processus de stigmatisation des actifs. En inscrivant dans l’ordre de la nature, du biologique (donc de l’évidence incontestable) ce qui est le produit de rapports sociaux, ils renforcent la légitimité des normes établies.

Etudiants et actifs se différencient également selon leur origine sociale. Mais si les divisions sociales participent du pouvoir symbolique des étudiants c’est probablement combinées à d’autres facteurs plus structurants car moins dépendants de la spécificité des contextes résidentiels.

Des différences en termes de niveau de cohésion sociale sont aussi à prendre en considération. Les étudiants apparaissent doublement soudés. Ils sont plus soudés au sein des résidences puisque ce sont eux qui entretiennent le plus de relations avec leurs voisins, qui fréquentent davantage les services, qui apparaissent les plus solidaires, et qui ont le plus fort sentiment d’appartenance au même groupe. Ceci constitue un indicateur de leur pouvoir symbolique comme contribue à le faire perdurer. Cette plus forte cohésion sociale au sein des résidences n’est pas indépendante de celle que sous-tend l’appartenance au milieu d’étudiant. Les étudiants valorisent sans doute d’autant mieux les normes favorisant leur propre groupe, qu’ils sont fortement intégrés à ce milieu lorsqu’ils sont à Lyon. Leur statut d’étudiant, reconnu socialement et plutôt prestigieux, favorise également leur autorité.

Au contraire, les actifs apparaissent doublement isolés. Ils le sont au sein des résidence mais aussi plus largement à Lyon. Ils intériorisent sans doute d’autant mieux la légitimité des normes étudiantes, que la chaîne stigmatique visant à les marginaliser (amalgame entre vie ‘‘solitaire’’, isolement, suspicion) fait sens par rapport à la réalité de leur situation relationnelle.

Si les étudiants imposent cette hiérarchie des statuts c’est aussi parce qu’ils y ont intérêt. La décohabitation partielle d’avec le domicile familial ainsi que le début des études supérieures constituent une période de transition délicate pour eux. La plupart craignent l’isolement et la solitude. L’éloignement d’avec la famille et les amis les plus proches rend leur situation relationnelle à Lyon périlleuse et fragile (au moins à leur arrivée). Habiter une résidence avec espaces collectifs leur avait laissé penser que les contacts seraient facilités et que les rencontres avec d’autres étudiants seraient nombreuses. Ils jugent les relations de voisinage insuffisantes et les associent à la présence des actifs. Si les étudiants discréditent et rejettent les actifs c’est finalement parce qu’ils sont perçus comme contraignant la possibilité de construire des liens forts avec les autres étudiants habitant les résidences, et qu’ils menacent leur intégration à Lyon. En excluant les actifs ils extériorisent également leur identité étudiante et renforcent leur pouvoir symbolique.

Notes
240.

WEBER, 1995, p. 72.