5. Conclusion

Souligner la spécificité des formes de coexistence entre les habitants selon les résidences est enrichissant à plus d’un titre.

Premièrement, cela introduit la nécessité de distinguer les résidences selon leur statut. Il y a celles qui par leur mode de gestion ou les objectifs des promoteurs valorisent et investissent une approche transversale de la monorésidentialité. C’est le cas des résidences A, B et plus récemment D. Il y a au contraire celle qui favorise résolument un mode d’appréhension catégorielle tout en accueillant différentes types de monohabitants (la résidence C). L’illégitimité de la présence des actifs dans les lieux est particulièrement plus importante dans ce dernier cas. Le statut de la résidence produit d’autant plus d’effets qu’il se combine avec d’autres éléments qui renforcent l’inégalité du rapport de forces. La différence numérique entre étudiants et actifs y est notamment particulièrement importante (les actifs représentent moins de 20% de la population au sein de la résidence C). Les actifs à double résidence sont largement majoritaires et c’est une catégorie qui acceptent davantage l’exclusion symbolique. Surpris et déçus de la présence des actifs, les étudiants sont particulièrement virulents.

Deuxièmement, les relations entre le personnel des résidences (responsables, réceptionnistes, gardiens) et les habitants ne sont pas sans conséquence sur la configuration des relations de voisinage. Le fait que le personnel s’allie plutôt aux actifs peut contribuer à déstabiliser le pouvoir symbolique des étudiants (résidence A). A contrario, en s’alliant plutôt aux étudiants dans un contexte résidentiel où ceux-ci avaient a priori moins autorité, ils contrarient la potentielle légitimité des actifs à habiter la résidence (résidence B). Enfin, en entretenant des relations suivies et amicales avec les actifs et en participant activement à l’instauration de leurs liens, ils peuvent contribuer à favoriser leur cohésion sociale comme limiter leur isolement au sein des résidences (résidence D).

Troisièmement, l’analyse comparative des formes de coexistence entre les habitants nous invite à réfléchir sur les effets éventuels que produit la structuration de la population des actifs (proportion d’actifs à résidence unique et à double résidence au sein de chaque contexte résidentiel).

Les étudiants sont moins virulents envers les actifs lorsqu’ils les pensent en situation de double résidence : la résidence B étant une résidence hôtelière, les actifs sont envisagés comme des habitants présents à Lyon la semaine pour raisons professionnelles. Ils se sentent particulièrement menacés dans le cas inverse : le nom de la résidence A souligne la présence d’actifs à résidence unique, célibataires et à la recherche de l’âme sœur.

Aussi, si les pratiques de sociabilité de voisinage et le rapport aux espaces communs illustrent que les actifs s’alignent plutôt sur les normes des étudiants, nous avons montré dans le chapitre précédent, que les actifs à résidence unique résistaient davantage au processus de stigmatisation. La présence des étudiants constituant un enjeu pour eux compte tenu de leur position et trajectoire résidentielle, professionnelle ou biographique, ils tentent d’imposer l’illégitimité de leur présence dans les lieux. On ne peut ainsi exclure que le rapport qu’ils entretiennent avec le processus de stigmatisation ne produise des effets sur la configuration des relations entre les habitants. Les actifs à résidence unique apparaissent surreprésentés au sein de la résidence A. Les discours qu’ils tiennent à l’encontre des étudiants sont particulièrement virulents. Or, les relations de voisinage sont plus conflictuelles dans cette résidence. Parallèlement, le rapport de forces est particulièrement inégalitaire au sein de la résidence C qui accueillent majoritairement des actifs à double résidence.

Enfin, la mise en perspective des différences entre les résidences tend à imposer l’idée selon laquelle la configuration des relations entre étudiants et actifs est surdéterminée par des oppositions sociales dans le cas où celles-ci se combinent à d’autres éléments structurants.

Le rapport de forces est particulièrement inégalitaire au sein de la résidence C. Si le statut de la résidence comme le fait qu’elle rassemble principalement des actifs à double résidence structurent fortement la configuration des relations, on ne peut exclure les effets induits par les différences en termes d’origine sociale. En effet, l’ensemble des habitants interrogés par entretiens ou par questionnaires qui ont un père appartenant aux cadres et professions intellectuelles supérieures sont des étudiants. Parallèlement, les relations entre étudiants et actifs sont ‘‘ouvertement’’ conflictuelles au sein de la résidence où la partition étudiants/actifs ne renvoie pas à une opposition sociale particulière (résidence A). En même temps, les actifs à résidence unique y sont plus nombreux et le mode de gestion de la résidence, comme les relations que les gardiens entretiennent avec les actifs, tendent à réduire l’autorité des étudiants.