INTRODUCTION

L’enseignement des langues étrangères à des publics dits spécifiques (c’est-à-dire les publics scientifiques, techniques et professionnels) est une question qui se pose chaque jour un peu plus, en raison de l’augmentation incessante des contacts internationaux. L’enseignement des langues dans le secondaire, voire même dans certaines filières de l’enseignement supérieur, est resté très orienté vers la langue littéraire ; c’est donc souvent à la formation continue, ou à des formations spécifiques par filières, que revient l’enseignement des langues sur objectifs spécifiques. Si cela se vérifie pour les langues traditionnellement enseignées dans le secondaire (que ce soit l’anglais, l’allemand ou l’espagnol), cela est encore plus vrai pour les langues qui sont absentes, ou presque, de l’enseignement traditionnel des langues étrangères, mais qui ont pourtant un poids économique et culturel (ce peut être le cas du russe, du chinois, du japonais, etc.).

C’est justement le cas de la langue portugaise. Alors que cette langue est très peu enseignée dans le secondaire, elle fait l’objet d’une véritable demande en formation continue. En effet, les relations commerciales entre la France et des pays comme le Portugal, mais surtout le Brésil, ont fait naître des besoins précis : de nombreuses personnes ne parlant pas le portugais se sont retrouvées, pour des raisons professionnelles, en situation de recherche de nouveaux clients sur place, de participation à des foires et salons, d’installation et de mise en route de processus industriels, etc. La connaissance de la langue portugaise était la clé de toutes ces réalisations. Nous connaissons bien ce public et ses besoins car nous avons enseigné la langue portugaise en entreprise pendant plusieurs années. Si le matériel pédagogique ne manquait pas pour les débuts de l’apprentissage, il n’en était pas de même lorsque l’enseignement devait s’orienter vers une langue plus spécialisée, en particulier dans le domaine de l’économie et du commerce, la plupart des apprenants travaillant dans ce secteur. De même, les apprenants regrettaient souvent de ne pas trouver d’outil lexicographique adapté à leurs besoins. C’est pour essayer de répondre aux besoins de ce public que nous avons défini l’objectif de notre recherche.

L’objectif de départ de ce travail est ainsi de proposer un dictionnaire portugais-français du vocabulaire de l’économie et du commerce, pour un public francophone, utilisant la langue portugaise dans un contexte professionnel, dans ses relations commerciales avec le Brésil. C’est ce public, ses besoins et ses objectifs, qui a orienté nos choix quant au type de textes qui allaient constituer le corpus. En fait, le public ciblé détermine la nature même du dictionnaire, comme le soulign e très justement Mortureux :

Tout dictionnaire de langue repose, entre autres, sur le dépouillement d’un ensemble de textes, dont il représentera de fait le vocabulaire. Le choix de cet ensemble, crucial pour la nomenclature, mais aussi pour les informations retenues dans le détail des articles (microstructure), est lié à la cible assignée au dictionnaire : le public visé, ses besoins supposés, son niveau culturel, aspects qui fixent (programmatiquement) l’usage que ce public va faire de l’ouvrage, et par conséquent déterminant, au fond, la nature du dictionnaire.

(Mortureux 1994 : 65)’

Le public que nous visons a des relations très concrètes avec des acteurs de l’économie brésilienne (processus d’importation et exportation, contact avec les clients, etc.), qui vont être directement influencées par la réalité quotidienne de ce contexte. Ainsi, ce public a besoin d’un outil qui soit le reflet d’une réalité, plus que d’un ouvrage théorique plutôt abstrait. C’est pourquoi le corpus qui a servi de base à notre recherche est constitué de textes de presse du domaine de l’économie et du commerce, et non pas d’ouvrages théoriques. Il nous a en effet semblé que la presse accompagnait de près la “ mouvance ” économique du Brésil, et que les termes figurant dans ce type de texte collaient de près aux besoins du public que nous visions : décoder des termes, certes, mais surtout décoder une situation, qui est à la fois très éloignée de la situation que l’on peut connaître en France, et extrêmement changeante.

Nous avons donc décidé de travailler à partir de textes de presse. Le travail sur corpus impose également une limite temporelle. Nous avons ainsi limité notre étude aux années 1991 et 1992. Ces années constituent en effet une période charnière, une transition entre la fin des années 80 marquées par une forte crise économique, l’installation de Fernando Collor et ses plans économiques audacieux et pour le moins violents, et la mise en place du real en 1994 qui permit une certaine stabilisation. Parce qu’elles constituent une période de réajustements, ces années 1991 et 1992 sont, à notre avis, un bon observatoire de la dynamique linguistique en tant que réponse à une dynamique de situation (dans ce cas précis, de dynamique économique).

Nous avons donc, à partir d’un corpus constitué de textes de la presse brésilienne des années 1991 et 1992, collecté et sélectionné les termes les plus fréquents dans le domaine de l’économie et du commerce. Après avoir observé ces termes, nous les avons utilisés pour constituer la nomenclature d’un dictionnaire bilingue portugais / français.

Notre recherche est fondée essentiellement sur des méthodes de travail terminologiques et lexicographiques. Toutefois, une part importante est consacrée aux aspects sociologiques du vocabulaire étudié.

Le chapitre 1, qui présente les réflexions qui ont sous-tendu l’orientation de notre travail, est organisé suivant deux directions : d’une part, la terminologie (car notre objectif est d’étudier un vocabulaire spécialisé) et, d’autre part, le contact de langues (notre projet étant d’élaborer un dictionnaire bilingue). Dans un premier temps, après avoir fait le point sur les diverses définitions de la terminologie, nous observerons les rapports entre cette discipline et la linguistique, la lexicographie et l’enseignement des langues ; nous nous attarderons également sur la normalisation terminologique. Ces réflexions se feront dans l’optique de souligner les aspects discursifs de la terminologie ; l’actualisation des termes en discours nous semble en effet une étape primordiale du parcours terminologique, même si elle remet en question certains présupposés théoriques de la discipline. Nous privilégierons ensuite un certain type de discours spécialisé, celui de la vulgarisation scientifique, en ce qu’il peut être un outil privilégié d’appropriation du savoir par des non-spécialistes. Dans un second temps, nous orienterons nos réflexions vers le contact de langues. Tout d’abord, nous nous attarderons sur des aspects touchant à la lexicographie bilingue : typologie des oeuvres, problèmes d’équivalence et de microstructure. Ensuite, nous essaierons de voir en quoi la mise en contact de deux langues, essentiellement par la recherche d’équivalences (en situation de traduction, dans le cadre de la lexicographie bilingue, ou dans l’enseignement), peut constituer un révélateur des particularités de l’une et l’autre langue.

Le chapitre 2 sera consacré au corpus qui a servi de base à l’élaboration du dictionnaire proposé. Après avoir étudié les définitions de “ corpus ” proposées par divers auteurs, nous essaierons de voir quelle place occupe le travail sur corpus dans la terminologie et la lexicographie, tout comme les apports et les limites de ce type d’approche. Nous délimiterons ensuite notre corpus (quels textes, sur quelle période) et justifierons notre choix. Nous expliquerons également quel a été notre processus de collecte et de sélection des termes. Nous présenterons ensuite les résultats de notre collecte, essentiellement d’un point de vue quantitatif. La liste des termes collectés, par ordre de fréquence décroissante, figure à la fin de ce chapitre.

Nous nous attacherons, dans le chapitre 3, à dresser le profil linguistique des termes collectés. Nous observerons leur morphologie, dans un premier temps : termes simples, termes complexes, modèles de composition, rôle de la préfixation et de la suffixation, productivité des modèles. Nous essaierons ensuite de cerner le profil sémantique de ces termes ; pour ce faire, nous opérerons une sous-division en quatre domaines (économie, commerce, finances, inflation) et observerons la répartition des termes collectés à l’intérieur de ces domaines. Nous observerons ensuite les processus de néologie et d’emprunt dans la langue de l’économie, après avoir étudié ces mêmes processus dans la langue générale et dans la langue scientifique. Finalement, nous effectuerons une étude comparative des termes portugais et de leurs équivalents en français ; nous essaierons ainsi de voir quelles peuvent être leurs divergences d’un point de vue morphologique, mais aussi en ce qui concerne le processus de dénomination.

Les caractéristiques propres à la langue de l’économie au Brésil (emploi de termes familiers, de nombreuses métaphores) nous amènerons à nous interroger, dans le chapitre 4, sur le degré de spécialisation de ce langage. Nous essaierons tout d’abord de définir la notion de langue de spécialité, en nous appuyant sur les réflexions de divers auteurs. Nous verrons ensuite quel peut être le statut de la langue portugaise en tant que langue scientifique et technique. Nous nous attarderons ensuite sur la langue de l’économie, dans le contexte brésilien, en observant la place particulière qu’elle occupe dans cette société. Puis, nous nous attarderons sur certaines caractéristiques des termes de l’économie dans le contexte brésilien : emploi de termes familiers, métaphores et créativité lexicale. Ces diverses observations nous amèneront finalement à une réflexion sur le caractère plus ou moins spécialisé de la langue de l’économie au Brésil. Nous verrons ainsi qu’il s’agit essentiellement d’une question de degré de spécialisation.

Le chapitre 5 constitue l’aboutissement du projet du présent travail. Nous y proposons en effet un dictionnaire bilingue, portugais / français, de la langue de l’économie. Dans une première partie, nous précisons notre proposition, par rapport aux ouvrages de ce type déjà existants, et par rapport au public auquel s’adresse cette proposition. Nous précisons ensuite notre démarche quant à l’élaboration de ce dictionnaire : problèmes d’accès au sens et de définition, problèmes d’équivalence, délimitation de la macrostructure (structure d’ensemble du dictionnaire) et la microstructure (organisation interne des articles). Dans une seconde partie, nous présentons le dictionnaire portugais / français, suivi d’un index français / portugais.

Ce que nous essaierons de montrer, tout au long de ce travail, c’est comment une situation économique instable et changeante, donc dynamique, se traduit par une dynamique linguistique. Cette dynamique linguistique va se manifester à travers une activité néologique importante, dont la caractéristique tient, à notre avis, au côté fugace de ces créations terminologiques (les termes durent le temps que durent les phénomènes qu’ils décrivent) ; d’autre part, cette dynamique linguistique, conjuguée à la place importante qu’occupe le sujet économique dans la société brésilienne, va favoriser la circulation des termes entre les sphères spécialisées et non-spécialisées. Cette mobilité des termes va faire naître une tension entre deux extrêmes : d’une part, l’utilisation de termes issus du registre familier par les spécialistes, et, d’autre part, une appropriation d’un certain discours spécialisé par les non-spécialistes. Cette particularité de la langue de l’économie, au Brésil, reflet d’une situation tout aussi particulière, va poser des problèmes de décodage au public que nous ciblons, et c’est dans l’intention de lui fournir un outil de décodage que nous avons entrepris ce travail.