1.1 LA TERMINOLOGIE. DU CONCEPT EXTRALINGUISTIQUE A LA RÉALITÉ DU DISCOURS

1.1.1 Définitions

Tout le monde s’accorde à voir dans l’extraordinaire développement des sciences et techniques au XX° siècle la raison de l’ “ explosion ” terminologique. La pratique terminologique, dans le sens de la compilation et structuration des concepts et dénominations scientifiques, est ancienne, mais la réflexion sur cette pratique est plus récente, de même que la reconnaissance de la terminologie en tant que discipline scientifique. Tout comme la pratique terminologique, la réflexion théorique a d’abord, et pendant longtemps, été le fait des scientifiques et des techniciens ; les linguistes ne s’y sont intéressés que plus tard. C’est, en effet, la nécessité d’organiser les méthodes de travail terminologiques qui a conduit les spécialistes à réfléchir sur leur pratique.

Les débuts de la terminologie ont ainsi été essentiellement méthodologiques et normatifs ; la terminologie était vue comme un outil de travail devant faciliter la communication technique et scientifique (Cf. les travaux de Wüster). Priorité était donnée à l’aspect systématique de la terminologie (nécessité de classification des notions), et à la démarche onomasiologique (étude des notions). La réflexion théorique est donc née de la pratique. Dans cette optique, nous pouvons citer Cabré :

 La théorie terminologique naît et se développe, encore aujourd’hui, dans le prolongement d’une pratique qui, elle-même, est liée à la résolution de problèmes de communication de nature linguistique. 

(Cabré 1998 : 30)’

Dubuc souligne également ce cheminement :

 Dans son sens premier, le mot terminologie s’est dit d’un ensemble de termes propres à une activité, à une discipline. (...) par une extension de sens, ce mot en est venu à désigner la démarche qui permet de grouper et de structurer un ensemble de termes propres à une technique ou à une discipline. 

(Dubuc 1985: 14)’

Ce va-et-vient entre une pratique et la réflexion méthodologique sur cette pratique se retrouve dans les définitions que l’on peut donner de la terminologie, définitions qui tentent de couvrir les différentes acceptions du terme :

 Dans l’état actuel de son évolution, la terminologie apparaît comme l’art de repérer, d’analyser et, au besoin, de créer le vocabulaire pour une technique donnée, dans une situation concrète de fonctionnement de façon à répondre aux besoins d’expression de l’usager.

(Dubuc 1985: 14)’ ‘ Terminology can refer to:

1. the set of practices and methods used for the collection, description and presentation of terms;

2. a theory, i.e. the set of premises, arguments and conclusions required for explaining the relationship between concepts and terms which are fundamental for a coherent activity under 1;

3. a vocabulary of a special subject field.

(Sager 1990: 3)’

Le fait que la théorie de la terminologie s’attache à étudier les relations entre concept et terme nous semble essentiel. En effet, les débuts de la réflexion théorique en terminologie privilégiaient l’onomasiologie, le concept était donc le point de départ de la démarche. De même, les classifications terminologiques s’attachaient à classer des systèmes de notions, et non pas des systèmes de termes. Or, on ne s’exprime pas par des concepts, on s’exprime par des mots. La relation entre le concept et le terme qui le dénomme est donc primordiale, car elle précède l’actualisation du terme. La réflexion terminologique est née d’une nécessité communicative : pour reprendre la phrase de Cabré citée plus haut, la terminologie est liée ‘“ à la résolution de problèmes de communication de ’ ‘nature linguistique’ ” (c’est nous qui soulignons). Cette nature linguistique de la communication peut remettre en question certains principes des premiers théoriciens de la terminologie. Les présupposés de monosémie, d’univocité et de mono-référentialité, par exemple, ne résistent pas toujours à la pratique, à l’actualisation en discours. Les termes sont des signes linguistiques, et se comportent comme tels. On trouve chez Gaudin (1993) une réflexion critique à propos de la vision “ idéaliste ” selon laquelle une structure notionnelle est reflétée par une structure terminologique ; les termes, en tant que signes linguistiques, “ échappent ” plus facilement à la structuration logique que les notions qu’ils reflètent. Un terme ne peut donc pas être considéré comme une étiquette stable. Pearson (1998) remarque qu’un terme n’existe pas en tant qu’entité abstraite, il doit être actualisé, en langue et en discours. Elle souligne également que ‘“ l’intervention humaine ’” est nécessaire pour actualiser les termes, et ‘“ this is because terms very often look the same as words and frequently not only look the same as words but can also function as words ” (Pearson 1998 : 8)’. Nous reviendrons sur la spécificité du terme un peu plus loin, mais ce que nous voulons souligner ici, c’est le fait que la théorie terminologique a évolué d’une conception essentiellement systématique et normative, privilégiant les concepts, vers une vision plus réaliste et certainement plus pragmatique de la terminologie en tant qu’outil de communication linguistique. Comme le dit Gaudin (1993 : 76), ce qu’une communauté scientifique et professionnelle partage c’est avant tout une intercompréhension linguistique, peut-être plus que des universaux conceptuels. Le concept n’est pas une réalité fixe, indépendante du discours. Il nous paraît donc essentiel d’inscrire la réflexion terminologique dans une perspective linguistique et communicationnelle.

La réflexion en terminologie peut avoir diverses finalités et orientations. Cabré (1998 : 37), se référant à des travaux d’Auger (1988), identifie trois grands courants en terminologie : la terminologie orientée vers la linguistique (courant linguistico-terminologique), la terminologie orientée vers la traduction (courant traductionnel) et la terminologie orientée vers la planification linguistique (courant normalisateur).

La terminologie orientée vers la linguistique considère la terminologie comme un moyen d’expression et de communication, et s’intéresse aux rapports entre concept et terme, à la dénomination. Ce courant va privilégier l’étude et l’éventuelle normalisation des notions afin d’améliorer la communication scientifique et technique.

La terminologie orientée vers la traduction est à l’origine des grandes banques de données terminologiques multilingues (TERMIUM, EURODICAUTOM, entre autres). Ces travaux sont le fait d’organismes internationaux multilingues ; ils visent à établir des équivalences terminologiques susceptibles d’être utilisées par des traducteurs.

Le courant normalisateur, orienté vers la planification linguistique, considère la terminologie comme un élément fondamental d’une langue, élément destiné à véhiculer les connaissances scientifiques et techniques. Ce courant se vérifie en particulier dans des régions où une langue est minoritaire. Le fait d’avoir une terminologie propre et non empruntée à une langue dominante (l’un des objectifs de ce courant est de favoriser la création néologique) est l’un des facteurs essentiels à la promotion et à la survie d’une langue.