1.1.3 Terminologie et lexicographie

Nous avons vu que la terminologie se distingue de l’étude linguistique du lexique, la lexicologie, par plusieurs aspects. Il convient à présent d’observer en quoi la terminologie pratique (ou terminographie) peut se démarquer de la lexicographie, et en particulier de la lexicographie spécialisée. Ces deux disciplines ont en effet un objectif en partie commun, celui de l’élaboration de dictionnaires.

Plusieurs auteurs se sont penchés sur la question de la différenciation entre terminographie et lexicographie spécialisée. Nous en citerons trois. Pour Cabré (1998 : 78-80), terminographie et lexicographie se distinguent essentiellement par trois aspects : les aspects linguistiques des répertoires produits, les fonctions des travaux terminographiques et lexicographiques, et le déroulement de ces mêmes travaux. Si l’on considère l’aspect linguistique des travaux terminographiques et lexicographiques, une première remarque s’impose : alors qu’un dictionnaire de langue générale peut présenter des unités lexicales très diverses (il existe de nombreux types de dictionnaires, résultats des choix opérés par les auteurs), la terminographie ne s’intéresse qu’à des termes, unités lexicales appartenant à un domaine spécialisé. Ensuite, les sources servant à l’élaboration d’un dictionnaire peuvent être aussi diverses que les types d’ouvrage, alors que la terminographie a comme unique source la documentation spécialisée.

La fonction du travail terminographique est essentiellement liée à la normalisation des termes d’un domaine spécialisé (élimination de la synonymie, définition précise des concepts désignés par les termes). Cette normalisation se fait dans le but d’améliorer la communication entre spécialistes du domaine. Les dictionnaires de langue peuvent aussi avoir un rôle normatif, mais ce n’est pas forcément leur fonction première. De plus, le côté normatif des dictionnaires de langue (inclusion de mots nouveaux, par exemple) est souvent assez éloigné de la réalité de la langue parlée par les locuteurs. La normalisation terminologique, quant à elle, est le fait des spécialistes, donc des locuteurs du domaine en question, et fait généralement l’objet d’un consensus dans cette communauté.

Pour ce qui est du déroulement du travail, la terminographie et la lexicographie adoptent des démarches opposées. Le travail lexicographique part d’une liste d’unités lexicales, qui constitue la nomenclature du dictionnaire, pour les décrire ensuite au moyen d’une définition : démarche sémasiologique. Le travail terminographique s’effectue souvent à partir d’une liste de concepts, constitués en ensemble structuré et reliés par des liens logiques, puis attribue ensuite à chaque concept une désignation, un terme : démarche onomasiologique.

Rondeau (1983 : 63) souligne lui aussi le côté normatif des travaux terminographiques. Il existe, en lexicographie, des traditions que répètent les auteurs de dictionnaires, mais pas de véritable norme pour l’élaboration des oeuvres. Cette liberté quant à la conception, l’élaboration et la présentation des dictionnaires conduit à une grande diversité d’ouvrages. La terminographie, en revanche, est soumise à la normalisation dans tous les aspects du travail (présentation des données, définitions, documentation, etc.).

Rey (1979 : 80-82) est moins catégorique quant à la différenciation entre terminographie et lexicographie. Tout d’abord, il souligne que l’approche onomasiologique, “ la plus orthodoxe ”, n’est pas la seule adoptée dans les travaux terminographiques. La démarche sémasiologique est adoptée lorsqu’on part d’unités lexicales observées en discours (documentation spécialisée, orale ou écrite). Il remarque que cette dernière démarche est fréquemment interlinguistique : on repère dans des textes écrits en plusieurs langues les termes devant correspondre à une même notion. De plus, il remarque que ‘“ alors que l’objet visé est une structure terminologique, et non pas une structure lexicale, c’est dans le lexique des langues naturelles que les formes manipulables (observables, classables, descriptibles) vont se présenter ” (Rey 1979 : 81)’. La terminologie est donc tributaire de la langue et du lexique. Le travail sur corpus, par exemple, ramène nécessairement la terminologie à la sémasiologie. 

Enfin, ce même auteur remarque que certaines productions terminographiques, unilingues ou plurilingues, suivent un modèle essentiellement lexicographique, en ce qui concerne les informations données à propos des termes. Il en est ainsi pour une terminologie réalisée dans une langue X et décrite dans cette même langue (modèle lexicographique unilingue). De même, certaines terminologies plurilingues orientées (terminologie d’une langue X pour des locuteurs d’une langue Y), où les termes de la langue X sont glosés en langue Y, suivent le modèle du dictionnaire bilingue général.

Une fois de plus, il nous semble nécessaire, au vu des remarques que vous venons de faire, d’affirmer la liaison entre terminologie et langue. Si les frontières entre terminographie et lexicographie spécialisée sont parfois difficiles à établir, c’est que ces deux disciplines peuvent avoir des objectifs et des méthodes de travail en commun, essentiellement parce qu’elles partagent un même objet d’étude : le matériau linguistique.