1.4.1 Approche contrastive et didactique des langues

Du point de vue de l’apprenant, la mise en relation, la comparaison, entre la langue maternelle et la langue étrangère semble inévitable. Dans le cas de deux langues très éloignées, la comparaison pourra se faire avec une autre langue déjà connue, plus proche de la langue étudiée. Quoi qu’il en soit, cette comparaison semble être un “ mal nécessaire ”, l’esprit étant en grande partie modelé par les structures et la vision du monde de la langue maternelle. Dans le cas de deux langues proches, comme le français et le portugais, ou très proches, comme l’espagnol et le portugais, la comparaison des langues peut avoir des effets plus “ pervers ” que dans le cas de deux langues plus éloignées. Dans ce dernier cas, les structures des deux langues étant totalement différentes, on peut penser que l’apprenant se détachera plus facilement de sa propre langue, celle-ci lui étant de peu d’utilité pour saisir le fonctionnement de la langue étrangère. Mais dans le cas de langues proches, la ressemblance est si “ évidente ” que les apprenants vont projeter une langue sur l’autre, produisant des énoncés en langue étrangère calqués sur la langue maternelle ; du point de vue lexical, ce phénomène de calque se vérifie dans les faux amis et certains barbarismes (il est assez facile de “ transformer ” un mot portugais en mot français, et vice-versa, par exemple). Plus les langues sont proches, plus il semble difficile à l’apprenant de se détacher de sa propre langue. Le fameux “ portugnol ”, mélange de portugais et d’espagnol, en est un exemple flagrant.

Comme le souligne Laroche-Bouvy (1986 : 93), les études contrastives ont longtemps porté essentiellement sur des langues relativement proches (langues européennes), ce qui explique que l’approche sémasiologique a longtemps été privilégiée. Ainsi, les descriptions traditionnelles des langues européennes sont inspirées d’un modèle en partie commun, et la terminologie grammaticale (sujet, verbe, complément, etc.) a habitué les locuteurs de ces langues à des catégories et des parties du discours relativement comparables. D’un point de vue lexical, le fait de privilégier la forme a donné naissance à la catégorie dite des faux-amis (qui ne sont “ amis ” que par la forme, non par le contenu). Cette priorité de la forme sur le contenu est à l’origine des grammaires comparatives. Cette attitude a longtemps dominé l’enseignement des langues. Lorsque l’on décrétait, par exemple, qu’un mot d’une langue était intraduisible, on n’en considérait que la forme ; le fait qu’un mot ne puisse pas être rendu par une forme équivalente dans une autre langue (une forme qui appartienne à la même catégorie grammaticale, par exemple), ne signifie pas que le contenu ne peut pas être exprimé, mais sous une forme différente. De même, d’un point de vue grammatical, lorsque l’on considère qu’une catégorie n’existe pas dans une langue (le partitif en portugais, par exemple), on applique la structure d’une langue sur une autre, qui ne rentre pas forcément dans ces cases pré-établies.

Toutefois, malgré ses limites évidentes, l’approche sémasiologique ne présente pas que des inconvénients. Dans le cas de langues proches, elle permet effectivement à l’apprenant de se raccrocher à des catégories déjà connues, d’appréhender des formes nouvelles par le biais de formes familières, même si le risque de calque est, comme nous l’avons dit, un inconvénient. Dans deux articles consacrés à l’enseignement d’une langue étrangère proche de la langue maternelle des apprenants (l’italien pour des adultes catalans chez Birello 2001, et l’espagnol pour des adultes brésiliens chez Revilla 2001), le recours à la langue maternelle pour faciliter la compréhension n’est pas considéré comme totalement négatif. Ainsi, ‘Birello (2001 : 472), considère que, aujourd’hui, face à l’usage de la langue maternelle et ses calques éventuels, on ne parle plus d’interférence mais d’influence interlinguistique, ce qui semble moins négatif’. Quant à ‘Revilla (2001 : 484-486), elle reconnaît que, dans le cas du portugais et de l’espagnol, la proximité linguistique favorise la compréhension, mais rend l’expression plus difficile (l’auteur cite plusieurs cas d’apprenants ne sachant plus où se trouve la “ frontière ” entre le “ portugnol ” et l’expression espagnole correcte)’. Toutefois, ces deux auteurs s’accordent à voir dans la proximité linguistique et l’approche contrastive sémasiologique une chance et une facilité d’apprentissage.

Mais ce type d’approche montre plus rapidement ses limites dans le cas de langues éloignées. Une étude contrastive de deux langues éloignées impose de se détacher de la forme pour s’attacher au contenu, c’est-à-dire à privilégier une approche onomasiologique. Il s’agit en effet d’essayer d’exprimer un même contenu au moyen d’une forme très différente (les études relatées par Laroche-Bouvy (1986) à propos du chinois et du japonais sont à ce titre très intéressantes). Nous ne parlons nous-même que des langues apparentées, et essentiellement des langues romanes, donc proches parentes. Mais nous avons quotidiennement en face de nous, par notre pratique de l’enseignement du français, des étudiants dont la langue maternelle est très éloignée du français. Ces étudiants ont certainement, même sans en avoir conscience, une approche onomasiologique lors de leur appréhension de la langue française. Combien de fois n’avons-nous pas tenté d’imaginer ce qui pouvait se passer dans leur esprit, tant les mécanismes d’apprentissage peuvent être aussi mystérieux que passionnants.

Quoi qu’il en soit, dans le cas de langues éloignées comme dans le cas de langues proches, il nous semble que c’est le processus onomasiologique qui permet un véritable accès à la connaissance linguistique. Plus on maîtrise une langue étrangère, et plus on se détache de la structure formelle de sa propre langue. On recherche ainsi des formes en langue étrangère pour exprimer un contenu notionnel, et non pas pour traduire des formes de la langue de départ. C’est vers ce processus que tend le conseil des enseignants de “ penser dans la langue étrangère ”.