3.1.1.3 Productivité des préfixes et suffixes

La dérivation par préfixation et suffixation est très productive en langue portugaise. Cette productivité a été étudiée par Fangianello Calçada (1997) pour ce qui concerne les préfixes semi-, sobre-, super-, et supra- dans la langue portugaise (Brésil) contemporaine, et par Alves (1994 et 1998) en ce qui concerne l’utilisation des affixes dans la création néologique. Notre corpus fournit de très nombreux exemples de cette vitalité. On retrouve ainsi, à partir d’un terme-base, toute une série de modifications. Nous pouvons citer les cas les plus intéressants :

valorização [valorisation]

sobrevalorização [surévaluation]

revalorização [réévaluation]

valorizado [valorisé]

subvalorizado [sous-évalué]

supervalorizado [surévalué]

desvalorizar [dévaluer]

desvalorização [dévaluation]

mini/midi/maxi/desvalorização [mini/midi/maxi/dévaluation]

desvalorizado [dévalué]

Même si on ne rencontre ni le verbe valorizar ni l’adjectif valorizado, on remarque qu’autour d’une même base, à la fois morphologique et sémantique (la notion de valeur d’une monnaie), tournent de nombreux autres termes et notions, formés à partir de préfixes et suffixes. On peut ainsi ajouter à la base des idées de répétition/retour (re-), de baisse (des-), des idées de grandeur (super-, sub-, mini-, midi-, maxi-), etc.

inflação [inflation]

inflacionário [inflationniste]

hiperinflação [hyper-inflation]

deflação [déflation / désinflation]

deflator [déflateur]

deflacionar [déflationner]

Nous avons ici deux “noyaux ”, celui de l’inflation, et celui de son contraire, déflation. Il est intéressant de noter que, si l’on se réfère au Dicionario Aurélio da Lingua Portuguesa, si inflação vient du latin inflatione, deflação vient de l’anglais deflation. En effet, il n’y a pas de racine –flação, qui permettrait de former deflação. On peut penser que deflação a été formé par analogie, à cause du suffixe in- (on aurait pu former le mot *desinflação, sur le modèle de desvalorização, deságio, etc.). Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’en français, on trouve deux termes, “ déflation ” et “ désinflation ”, qui désignent deux notions différentes. Ainsi, “ déflation ” désigne “ un ensemble de mesures visant, dans un cadre libéral, à restreindre la demande pour réduire les tensions sur les prix (politique déflationniste) ”, alors que la “ désinflation ” est “un ralentissement durable et auto-entretenu du rythme de hausse du niveau général des prix ” (Brémont et Gélédan, 1990). Il n’y a pas, en portugais, d’équivalent de “ désinflation ”. Le terme deflação est utilisé pour désigner les deux notions. On trouve autour du noyau inflação l’adjectif inflacionário, et l’augmentatif hiperinflação . On peut remarquer que le verbe inflacionar n’est pas présent (alors qu’on trouve deflacionar).

ajuste [ajustement]

reajuste [réajustement]

reajustar [réajuster]

desajuste [désajustement /disparité]

Tout comme valorização, on retrouve ici les variantes re- et des-, pour désigner les “ ajustements ” successifs dus à la fluctuation des prix en période d’inflation.

congelar [bloquer les prix, littéralement “ congeler ”]

congelamento [blocage des prix]

descongelar [débloquer]

descongelamento [déblocage]

Cette série est relativement comparable à la précédente. On “ bloque ” et “ débloque ” les prix et salaires au rythme des situations économiques. Chaque verbe fait ici l’objet d’une nominalisation en –mento. Sur le plan morphologique, on peut rapprocher cette série de celle de abastecer [approvisionner] / abastecimento [approvisionnement] / desabastecer [désapprovisionner] / desabastecimento [désapprovisionnement].

armazém [entrepôt]

armazenagem [emmagasinage]

armazenamento [emmagasinage]

Le verbe armazenar n’est pas présent dans le corpus. Ici, à partir d’un substantif, on retrouve deux termes qui sont souvent considérés comme synonymes. Les suffixes –agem et –mento servent tous deux à désigner une action ou son résultat. Toutefois, armazenagem désigne plutôt le processus, et armazenamento plutôt le résultat de ce processus. A noter que armazenagem est plus utilisé que armazenamento.

investir [investir]

investidor [investisseur]

investimento [investissement]

A partir du verbe investir, on retrouve celui qui investit (investidor) et le résultat de l’action (investimento).

leilão [vente aux enchères]

leiloar [vendre aux enchères]

leiloeiro [commissaire priseur]

A partir de l’action, du processus (à noter que le terme leilão vient de l’arabe, il n’est pas formé avec l’augmentatif –ão), on a formé le verbe et l’acteur.

varejo [commerce de détail]

varejão [grande surface de vente au détail / magasin d’usine]

varejista [commerçant de détail, détaillant]

Alors que le terme-base varejo désigne une activité (le commerce de détail), une fois augmenté du suffixe –ão, il désigne un lieu (au départ, un grand magasin de détail) ; on peut remarquer qu’il y a eu un certain changement de sens, car aujourd’hui varejão désigne le plus souvent une grande surface de vente à prix d’usine.

subsídio [subvention]

subsidiar [subventionner]

subsidiária [filiale]

subsidiariedade [fait d’allouer une subvention]

lucro [bénéfice]

lucrar [réaliser un bénéfice]

lucrativo [lucratif]

lucratividade [rentabilité]

Ces deux séries sont particulièrement intéressantes car, à partir d’une base, on augmente progressivement le terme par l’ajout d’un suffixe au terme précédent. A noter que subsidiária (qui est un féminin substantivé de l’adjectif subsidiário) désigne une entreprise contrôlée par une autre.

Ces exemples ne sont que quelques “ images ” de l’extrême vitalité de la dérivation par préfixation et suffixation en langue portugaise. Les possibilités d’extension d’une base sont ainsi très nombreuses. Cette “ flexibilité ” de la langue se vérifie également au quotidien, dans la langue parlée, où certaines “ dérivations ” ne respectant pas les règles grammaticales ou les règles d’usage (utilisation délibérée d’un suffixe à la place d’un autre, par exemple1) servent à rajouter un sens, subjectif, personnel, au mot de base. Il existe d’ailleurs un processus, très répandu, de suffixation de sigles. Ainsi, les étudiants et professeurs de l’Université de São Paulo (USP) sont appelés uspianos. Dans notre contexte, nous pourrions citer deux cas : celui de l’adjectif sunabesco, formé à partir du sigle SUNAB (Superintendência Nacional de Abastecimento), organisme qui fixe et contrôle les prix au Brésil. Le contexte de sunabesco est intéressant : ‘“ é muito melhor (investigar abuso de preços) do que congelar preços ou ditar tabelamentos sunabescos’ ” (Veja, 12/2/92) [il vaut bien mieux (faire des enquêtes sur les abus de prix) plutôt que de geler les prix ou de dicter des mesures tarifaires de chez la Sunab]. Le suffixe –esco est ici utilisé d’une façon un peu péjorative, ou du moins ironique, nous semble-t-il, d’où notre proposition de traduction “ de chez la Sunab ”. De même, en 1993, le Brésil était dans une phase de transition entre deux monnaies ; la transition était assurée par une unité de valeur, appelée URV (Unidade Real de Valor) qui allait ensuite devenir le real en juillet 94. Le passage des prix et de l’économie en général en URV était appelée urvização [*urvisation]. Nous ne sommes pas aussi inventifs pour le passage à l’euro.

Notes
1.

Exemple entendu : “ lavação de roupa ” [*lavation de linge] au lieu de “ lavagem de roupa ” afin de souligner la grande quantité de linge à laver.