3.2 PROFIL SÉMANTIQUE

Afin d’étudier plus précisément quels types de termes figuraient dans notre liste, nous avons établi quatre grandes classes, quatre domaines d’origine : le commerce, l’économie, la finance, et l’inflation. Même si l’inflation n’est pas à proprement parler un “ domaine ”, il nous a semblé important de regrouper sous cette étiquette les termes s’y rapportant, afin de pouvoir les isoler et les observer.

Pour ce qui est de la répartition, on constate que :

Il est intéressant de remarquer que, malgré cette disparité de représentation, si l’on observe les termes les plus fréquents, on peut voir que tous les domaines sont représentés de façon relativement équilibrée. Ainsi, si l’on regarde les 20 termes les plus fréquents, 9 termes appartiennent au domaine de l’économie : faturamento [chiffre d’affaire], lucro [bénéfice], recessão [récession], prejuízo [perte], faturar [facturer/réaliser un chiffre d’affaires], estatal [entreprise publique], montadora [usine de montage], concorrência [concurrence / appel d’offres], concorrente [concurrent] ; 5 termes viennent du commerce : importação [importation], consumidor [consommateur], exportação [exportation], mercadoria [marchandise], estoque [stock] ; 4 sont du domaine financier : investimento [investissement], ação [action], investidor [investisseur], acionista [actionnaire] ; finalement, 2 termes appartiennent au domaine de l’inflation : inflação [inflation], reajuste [réajustement]. Ce qui signifie donc que même un domaine comme celui de l’inflation, qui ne représente que 6,5% de la totalité des termes, occupe tout de même une place prépondérante, en raison de l’utilisation fréquente de ces termes. Cette “ concentration ” des termes des différents domaines nous semble d’ailleurs être le point le plus intéressant de cette observation. Ainsi, pour un thème comme l’inflation, on peut dire qu’on utilise peu de termes différents pour en parler, mais qu’on en parle beaucoup, et que ces termes ont donc un poids important. Nous aimerions à présent observer chaque domaine isolément.

Parmi les termes les plus fréquents de ce domaine, on retrouve beaucoup de termes ayant trait à l’import/export, au commerce extérieur en général. Ainsi, sur les 20 termes les plus fréquents, on rencontre des termes comme importação [importation], exportação [exportation], exportador [exportateur], exportar [exporter], balança comercial [balance commerciale], alíquota [taxe], importar [importer], IPI-Imposto sobre Produtos Importados [impôt sur les produits importés], importado [produit importé], importador [importateur], comércio exterior [commerce extérieur], reserva de mercado [réserve de marché]. Ceci peut se comprendre assez facilement si l’on considère le type de revues qui constituent le corpus. Les revues spécialisées comme Revista Brasileira de Comércio Exterior ou Conjuntura Econômica accordent une grande importance au commerce extérieur, et les revues grand public comme Veja et IstoÉ s’intéressent, tout comme leurs lecteurs, aux possibilités d’acheter des produits importés (la fréquence de IPI est d’ailleurs élevée) à une époque où le Brésil était très fermé aux importations (phénomène de réserve de marché).

Parmi les termes très fréquents (au dessus de 10), outre les termes relatifs au commerce extérieur, on rencontre des termes comme consumidor [consommateur], mercadoria [marchandise], estoque [stock], fornecedor [fournisseur], consumo [consommateur], consumo [consommation], varejo [commerce de détail], concessionária [concessionnaire], demanda [demande], lojista [commerçant], comprador [acheteur], encomenda [commande], marketing, revendedora [revendeur], fatura [facture], vendedor [vendeur], etc. qui se rapportent directement à l’activité commerciale en général. Les autres termes, de fréquence plus basse, jusqu’à la fréquence 1, continuent à être répartis entre le commerce extérieur (avec une présence assez marquée de sigles relatifs aux accords internationaux de commerce : GATT- General Agreement on Tariffs and Trades, ALADI- Associação Latino-Americana De Integração, NAFTA-North American Free Trade Area, ALALC-Associação Latino-Americana de Livre Comércio, EFTA-European Free Trade Association) et le commerce intérieur (avec, cette fois, des sigles désignant divers indices de prix : IGP-M-Indice Geral de preços de Mercado [Indice général de Prix de Marché], INPC-Indice nacional de Preços ao Consumidor [Indice National de Prix au Consommateur], IGP-Indice Geral de Preços [Indice Général de Prix], IPA-Indice de Preços por Atacado [Indice de prix de Gros]). Cette présence marquée nous semble être le fait de l’inflation qui sévissait à cette époque, et qui était périodiquement mesurée grâce aux indices de prix. Comme en tête de liste, on rencontre d’une part des termes assez généraux et relativement peu spécialisés (ou, tout au moins, compréhensibles pour les non-spécialistes) comme : cliente [client], oferta [offre], comerciante [commerçant], liquidação [liquidation], frete [frêt], transporte [transport], estocagem [stockage], desconto [remise], gerente [gérant], etc. Et, d’autre part, des termes spécialisés, descripteurs de l’activité commerciale : pauta de exportação /importação [nomenclature d’exportation /importation], guia de exportação [bordereau d’exportation], desempenho exportador [performance de l’exportation], fluxo de exportação [flux d’exportation], mercado consumidor [marché consommateur], volume de vendas [volume des ventes], estoque regulador [stock régulateur], etc. Dans cette catégorie, on retrouve un nombre important de termes désignant les différents types de biens et produits commercialisés : bens de capitais [biens de capital], bens de consumo, duráveis / semi-duráveis / não-duráveis [biens de consommation, durables / semi-durables / périssables], bens primários [biens primaires], produtos básicos [produits de base], produtos manufaturados, semi-manufaturados [produits manufacturés, semi-manufacturés], etc. Ces termes proviennent essentiellement des revues spécialisées, qui s’attachent à décrire les résultats du commerce intérieur et extérieur. Ce qui explique la présence de termes tels que barreira tarifária [barrière tarifaire], tarifa alfandegária [tarif douanier], restrição voluntária às exportações [auto-régulation des exportations], etc.

On remarque donc que les termes rencontrés sont, tout comme le domaine auquel ils se rapportent, descripteurs de phénomènes qui intéressent à la fois les consommateurs / acheteurs /clients et les producteurs /vendeurs.

Comme nous l’avons dit plus haut, l’inflation n’est pas à proprement parler un domaine. Nous avons néanmoins décidé de regrouper les termes s’y rapportant sous cette étiquette pour plusieurs raisons : tout d’abord, afin d’avoir une idée de la “ place ” qu’occupent les termes se rapportant à l’inflation sur la totalité des termes retenus ; ensuite, le fait de les isoler permet de mieux les étudier. Première observation, qui nous semble la plus importante : alors que les termes se rapportant à l’inflation ne représentent que 6,5% du total des termes, on y retrouve des fréquences très élevées, dont la fréquence la plus élevée (inflation, 90). Ce qui signifie que les termes se rapportant à l’inflation sont peu nombreux, dans notre contexte, mais qu’ils sont très utilisés, et possèdent donc une charge importante, charge qui est leur est donnée par leur fréquence, et pas forcément par l’information qu’ils véhiculent. Il est ainsi intéressant d’observer qu’on utilise peu de termes différents pour parler d’un thème aussi important que l’inflation, et que, par leur nombre restreint conjugué à la place prépondérante occupée par le discours sur l’inflation dans notre corpus, ces termes se retrouvent être très utilisés. Ces termes vont ainsi faire l’objet d’une certaine répétition, peut-être justement parce qu’ils désignent des phénomènes qui se répètent également dans la vie économique brésilienne. C’est cette répétition, cette “ rengaine ” à propos de l’inflation, qui, à notre avis, donne tout leur poids à ces termes.

On retrouve sous cette étiquette “ inflation ” les termes servant à décrire les phénomènes liés à cette situation : ajuste [ajustement], reajuste [réajustement], desajuste [disparité], congelar [congeler/bloquer], congelamento [blocage des prix], descongelar [débloquer], descongelamento [déblocage des prix], desvalorizar [dévaluer], desvalorização [dévaluation], mini /midi/maxi-desvalorização [mini/midi/maxi-dévaluation], correção monetaria [correction monétaire], deflação [déflation/désinflation], indexar [indexer], desindexar [désindexer], etc. Ce sont des termes qui désignent les conséquences directes ou indirectes de l’inflation, ou les mesures prises pour la combattre (y compris le très brésilien confisco [confiscation], qui a eu lieu en 1990 et présente encore la fréquence 20, ce qui pour notre corpus est élevé, en 91-92). On parle donc beaucoup de l’inflation et de ses conséquences en cette période, des fluctuations et vagues qu ‘elle provoque, dans la vie économique du pays en général mais aussi dans la vie quotidienne de chacun.

Les termes appartenant au domaine de l’économie représentent 22% du total des termes collectés. Il est évident que ce domaine pourrait être considéré comme “ l’étiquette principale ” des termes collectés, et que le commerce, les finances et l’inflation pourraient être des sous-domaines. Nous pensons effectivement que les termes de ce domaine “ économie ” sont des termes relativement généraux, qui recouvrent des sous-domaines divers. Il est particulièrement intéressant de remarquer que, en comparaison des autres domaines, celui-ci contient beaucoup plus de termes simples, en particulier parmi les termes les plus fréquents. Ceci nous semble confirmer le fait que les termes figurant sous cette étiquette sont des termes de base, logiquement plus courts. Les plus fréquents sont faturamento [chiffre d’affaires], lucro [bénéfice], recessão [récession], prejuízo [perte], faturar [facturer / réaliser un chiffre d’affaires], estatal [entreprise publique], montadora [usine de montage], concorrência [concurrence / appel d’offres], pacote [train de mesures], PIB [produit Intérieur Brut], déficit [déficit], privatização [privatisation], balanço [bilan]. Il est intéressant de noter que pacote [train de mesures], qui est un terme spécifique au Brésil, figure en tête de liste. Nous pouvons signaler ici qu’il en est de même avec calote [emprunt non remboursé] pour les termes financiers.

On va retrouver dans cette liste un nombre assez important de termes servant à décrire les entreprises, leur organisation : estatal [entreprise publique], montadora [usine de montage], holding, concordata [concordat], subsidiária [filiale], joint venture, empresário [homme d’affaires / chef d’entreprise], construtora [constructeur immobilier], empreiteira [promoteur immobilier], oligopólio [oligopole], multinacional [multinationale], filial [filiale], etc. Cela nous semble refléter les préoccupations de l’époque : les éventuelles privatisations (estatal), l’importance dans la vie économique du pays de la construction automobile (montadora) et du bâtiment (construtora, empreiteira), la vie et la mort des entreprises (concordata, joint venture), leur structure (holding, subsidiária, filial).

Nous avons établi une catégorie “ finances ” car il nous semblait, avant même d’étudier les termes de très près, que de nombreux termes se rattachaient à ce domaine. Après étude, on compte effectivement 22% de termes appartenant au domaine financier. Il est intéressant de constater que les termes de ce groupe se rapportent essentiellement à la Bourse (ação [action], cotação [cotation], bolsa de valores [Bourse], corretor [agent de change]), au change (taxa de câmbio [taux de change], defasagem cambial [disparité du change]), et aux investissements financiers d’une manière générale (investimento [investissement], investidor [investisseur], credor [créancier], juros [intérêts], aplicação [placement], poupança [épargne]). Cet intérêt pour les investissements et placements nous semble compréhensible pour une époque où, compte tenu de l’inflation, l’argent perdait rapidement de sa valeur, obligeant les particuliers à “ jongler ” en permanence avec les placements à court, moyen et long terme, avec le change (le dollar représentant toujours un placement avantageux), d’où la présence de termes tels que dólar paralelo [dollar parallèle], câmbio paralelo [change parallèle], câmbio comercial [change commercial], dólar comercial [dollar commercial], black [marché noir].

Lorsqu’on avance dans la liste, avec des fréquences moins élevées, on retrouve des termes plus généraux comme imposto [impôt], crédito [crédit], empréstimo [emprunt], bancarrota [banqueroute], cobrar [recouvrer]. Mais on trouve toujours un nombre important de termes se rapportant à la Bourse et aux différents types de placement.

Tous ces résultats ne sont guère surprenants. Il nous semblent en effet être le reflet assez prévisible des sujets abordés par le type de revues étudiées. Ce qui nous semble plus remarquable, c’est le fait que les sujets abordés, et donc les termes employés pour en parler, soient très marqués par l’époque, dans les textes de presse en général, mais dans notre corpus d’une façon peut-être encore plus sensible. C’est évidemment une des caractéristiques du langage utilisé par la presse, d’être particulièrement sensible aux phénomènes de mode, mais on peut se demander si, dans ce contexte précis, ce phénomène n’est pas plus marqué. Ainsi, il semble que certains événements sont plus “ traumatisants ” que d’autres, au point d’être évoqués sur une période longue (confisco), et que d’autres aient une fâcheuse tendance à se répéter (pacote, desvalorização,...). La place occupée par les termes décrivant l’inflation et ce qui s’y rapporte est, à notre avis, une des caractéristiques des termes relevés. Non seulement en raison de cette particularité, peu de termes différents mais des termes très utilisés, mais aussi pour l’influence que ce domaine exerce sur les autres secteurs, par exemple le domaine financier, qui contient de nombreux termes se rapportant à la Bourse et aux placements. Cet “ enracinement ” du langage économique dans la réalité quotidienne nous paraît un aspect primordial de cette étude. Le fait que des termes spécialisés côtoient des termes du registre familier en est, selon nous, l’un des aspects les plus intéressants et remarquables. Nous nous y intéresserons plus spécialement dans le chapitre 4.