3.3.2 Néologie et emprunts dans le langage scientifique

Il est certes difficile de généraliser, car il n’existe pas “ un ” langage scientifique, mais il nous semble que certaines tendances sont communes à différents domaines de connaissance. Ainsi, pour ce qui est de la création terminologique, on peut remarquer que les types de formations les plus utilisés sont la dérivation par préfixation et suffixation, et la composition syntagmatique. Il nous semble que ceci se vérifie pour la plupart des langues romanes. Nous nous sommes livrée à une observation rapide (dont le but n’était que de fournir une illustration à notre propos) d’articles de diverses disciplines scientifiques. La SBPC – Sociedade Brasileira para o Progresso da Ciência organise chaque année un grand congrès réunissant des chercheurs et étudiants de tous les domaines scientifiques ; les annales de ces congrès fournissent ainsi un matériel compact et facilement observable du langage scientifique actuellement utilisé au Brésil. Nous avons parcouru les articles de la 43° Réunion Annuelle de la SBPC (1991, Universidade Federal do Rio de Janeiro, nous avons choisi l’année 1991 par souci d’homogénéité avec notre corpus), et avons retenu certains termes à titre d’illustration, dans les domaines suivants : agronomie, architecture et urbanisme, soins infirmiers, ingénierie civile, informatique, sociologie. Nous avons relevé des termes qui nous semblaient être des créations terminologiques propres au domaine en question, afin d’observer leur formation. Voici les termes que nous avons relevés :

agroecossistema

não-neutralidade

co-integração

séries integradas não-estacionárias

núcleo populacional

reurbanização

segmento populacional

ambiente arquitectônico

curabilidade

agents multicausais

qualidade cimentante intrínseca

capacidade cimentante

perfil de intemperismo

coeficiente de escoamento superficial

propagação de erro nos dados iniciais

erro de arredondamento

erro de truncamento

conectividade

funcionalidade dos componentes

feminilidade

masculinidade

L’observation de ces quelques exemples permet de constater que la dérivation par préfixation et suffixation est effectivement très productive. On retrouve ainsi les préfixes não-, co-, re- dans plusieurs formations : não-neutralidade [non-neutralité], não-estacionárias [non-stationnaires], co-integração [co-intégration], reurbanização [ré-urbanisation]. Le suffixe –dade se montre très productif dans la formation de substantifs exprimant une certaine capacité : curabilidade [curabilité], conectividade [connectivité], funcionalidade [fonctionnalité], feminilidade [féminité], masculinidade [masculinité].

Pour ce qui est de la formation syntagmatique, on constate que le modèle N + adj. est très représenté (núcleo populacional [noyau de population], segmento populacional [segment de population], capacidade cimentante [capacité à cimenter]), au même titre que le modèle N + prép. + N ( perfil de intemperismo [profil d’intempérisme], erro de arredondamento [erreur d’arrondissement], funcionalidade dos componentes [fonctionnalité des composants]), structures susceptibles d’être étendues (séries co-integradas não-estacionárias [séries co-intégrées non-stationnaires], coeficiente de escoamento superficial [coefficient d’écoulement superficiel]).

Les traductions qui suivent les exemples ne sont que des propositions de notre part, leur fonction étant de permettre la compréhension des termes ; toutefois, comme c’était le cas pour le langage de l’économie, il nous semble que la langue française est moins “ souple ” que la langue portugaise quant à la création lexicale. Par exemple, comment rendre des adjectifs comme populacional ou cimentante ? La langue française aurait donc plus souvent recours à la création syntagmatique que la langue portugaise, en raison d’une moins grande flexibilité dans l’utilisation de la dérivation par préfixation et suffixation. C’est la conclusion à laquelle nous sommes arrivée après observation de notre corpus de termes économiques et commerciaux ; il nous semble prématuré de faire la même remarque pour les autres domaines, notre observation s’étant faite à partir de sondages rapides.

Remarquons également que nous avons observé très peu de termes empruntés à une langue étrangère, et que les exemples que nous avons relevés figurent tous dans le domaine de l’informatique, et proviennent de la langue anglaise (software, driver, display). Notre échantillon ne nous permet évidemment pas de tirer de conclusion, mais ce fait n’en reste pas moins intéressant. La terminologie de l’informatique, tout comme la technologie de ce même domaine, provient essentiellement des Etats-Unis, et si nous reprenons la distinction évoquée plus haut entre emprunts connotatifs et emprunts dénotatifs, nous serions ici face à des emprunts dénotatifs. On remarque d’ailleurs le même phénomène en langue française, dans des proportions peut-être moindres (les Brésiliens sont beaucoup moins “ protectionnistes ” dans le domaine linguistique que ne peuvent l’être les Français). Toutefois, dans le cas de l’informatique comme dans le cas de l’économie, l’utilisation de termes anglais plutôt que de leur équivalent en langue portugaise (lorsque celui-ci existe) contribue à donner un aspect plus “ international ”, pour ne pas dire “ sérieux ” ou “ respectable ” au sujet traité. Il s’agit également, très souvent, de la volonté d’utiliser un langage d’initiés.

Nous pouvons dire, en conclusion, que la flexibilité de la langue portugaise favorise la création, lexicale en général, terminologique en particulier. Ainsi, les seules raisons qui peuvent freiner son utilisation dans le contexte de la divulgation scientifique et technologique sont, nous le verrons, tout d’abord la question du nombre restreint de locuteurs non-natifs capables de la comprendre, mais aussi, le fait que cette langue n’est peut-être pas vue spontanément comme une langue de divulgation scientifique, par les locuteurs non-natifs mais également par les locuteurs natifs. Ecrire dans une autre langue que la sienne reviendrait ainsi, pour un chercheur brésilien par exemple, à acquérir une certaine “ respectabilité ” scientifique.