3.3.3 Les néologismes et les emprunts dans le domaine de l’économie

3.3.3.1 Néologismes

La situation économique du Brésil étant pour le moins instable (bien que, au cours de la dernière décennie, les choses se soient améliorées), le “ foisonnement ” terminologique vérifié dans d’autres domaines va ici être particulièrement sensible. En effet, on va remarquer dans ce domaine de l’économie une terminologie plus ou moins éphémère, des termes naissant puis disparaissant en même temps que les notions qu’ils désignent. Aujourd’hui, plus personne n’utilise les termes URV - Unidade Real de Valor [Unité Réelle de Valeur] ou BTN – Bônus do Tesouro Nacional, pour la simple raison que les notions qu’ils désignent ont disparu. Les différents plans économiques drainent avec eux une terminologie destinée à durer le temps que dureront les mesures. Ainsi, les seules créations terminologiques qui durent sont celles qui désignent des notions elles aussi durables. C’est ce qui explique le fait qu’un grand nombre de termes de notre corpus ou du Glossário de termos neológicos da economia de Alves (1998) ne figurent pas dans les ouvrages économiques de référence en langue portugaise, ouvrages qui répertorient les termes de base de ce domaine. Le vocabulaire de l’économie, au Brésil, présente donc cette particularité : autour d’un noyau dur de termes de base, gravitent un très grand nombre de désignations qui peuvent être définies comme des candidats-termes (“ candidatos a termo ”, Alves (1998 : 11). Ces candidats-termes (terme utilisé ici dans le sens que lui donne Alves, et non pas dans le sens qu’il a en extraction automatique de termes) auront une durée de vie plus ou moins longue, et certaines désignations deviendront effectivement des termes.

La création lexicale dans le domaine de l’économie, comme nous l’avons déjà remarqué lors de l’observation de notre corpus, suit les mêmes modèles de création lexicale que la langue commune, mais en privilégie certains ; ainsi, une grande majorité de termes résultent de formation syntagmatique, et parmi eux, un grand nombre suivent le modèle N + adj.. Alves (1998 : 12) signale la présence, dans son corpus d’observation, d’un certain nombre de termes composés sur le modèle N + N. Les exemples cités sont les suivants : cartão fiança [carte-caution], conta-fantasma [compte-fantôme], conta-laranja [compte-fantôme] littéralement [compte-orange], data-base [date-base], efeito-cascata [effet-cascade], livro-caixa [livre-caisse], moeda-lastro [monnaie- lest], operação-desmonte [opération-démontage], renda-padrão [revenu-standard], salário-educação [salaire-éducation] et seguro-fiança [assurance-caution]. Il nous semble que l’utilisation massive de ce modèle de création lexicale est assez récent en langue portugaise. Si ce type de formation fait partie des modèles de formation reconnus, il reste peu fréquent. L’utilisation massive de ce type de formation nous semble restreint au langage journalistique ; on se trouverait donc face à un effet télégraphique, mais ce fait reste à vérifier ; il pourrait également s’agir d’une influence de la langue anglaise. L’influence américaine se fait beaucoup sentir au Brésil, et la presse économique y est particulièrement sensible ; ce modèle de formation étant relativement récent, il nous semble difficile d’établir une conclusion. Une observation de l’évolution de ce phénomène permettrait sans doute d’y voir plus clair.

Parmi les suffixes, remarquons que le vocabulaire de l’économie présente de nombreux termes formés avec le suffixe –ção, qui indique, à partir d’une base verbale, un processus : globalização [mondialisation], urvização [à partir du sigle URV-Unidade Real de valor, indique l’expression des prix dans cette unité], terceirização [sous-traitance]. De même, les suffixes –dor et –ista, qui désignent un agent, sont très présents : indexador [indexateur], correntista [détenteur d’un compte]. Nous avons déjà observé, dans le présent chapitre, l’utilisation des suffixes diminutifs et augmentatifs. Mais rappelons tout de même que la création de termes par l’ajout de suffixes diminutifs ou augmentatifs revêt très souvent un côté affectif très fort, et que ces suffixes sont beaucoup plus connotatifs que dénotatifs. Mais ceci n’est pas propre au vocabulaire de l’économie, c’est généralement la valeur qu’ils ont en langue. Ce qui est plus surprenant, c’est le fait qu’un vocabulaire spécialisé intègre des “ comportements ” propres à la langue commune, voire familière. Nous y reviendrons.

Quant aux préfixes, les plus fréquents sont ceux qui indiquent un caractère négatif, não-, des- (desterceirização [ action d’arrêter une sous-traitance], bens não-industrializados [biens non-industrialisés], barreira não-tarifária [barrière non-tarifaire]), et ceux indiquant une certaine grandeur : super-, mega-, maxi-, mini- (supersafra [récolte exceptionnelle], maxidesvalorisação [maxi-dévaluation], megainvestimento [méga-investissement]).

La dérivation impropre, ou changement de classe grammaticale, est également productive : importados [produits importés], manufaturados [produits manufacturés], semi-elaborados [produits semi-élaborés]. Comme nous l’avons dit plus haut, ce cas de changement de classe grammaticale est, à notre avis, dû à une ellipse du substantif, l’adjectif assumant toute la charge sémantique du syntagme.

Il est possible d’observer également de nombreux exemples de ce que Alves (1994) nomme “ néologismes sémantiques ”, c’est-à-dire l’ajout de signification au signifié de base d’un item lexical. C’est le cas des termes (extraits de notre corpus) pacote [train de mesures], tombo [chute brutale], baque [chute libre, coup dur], rombo [trou de trésorerie], qui, à partir d’un sens littéral, ont subi une extension de sens ou une utilisation métaphorique. Certains items lexicaux issus de la langue commune peuvent donc devenir des termes par glissement de sens ou métaphorisation. Ce phénomène n’est évidemment pas propre au domaine de l’économie, la métaphore étant un procédé de dénomination fréquent dans le langage scientifique.

La création terminologique dans le domaine de l’économie suit donc les mêmes modèles de création que la langue générale en ce qui concerne l’utilisation des affixes ; pour ce qui est des modèles de formation syntagmatique, la langue de l’économie s’apparente à la langue scientifique, c’est-à-dire qu’elle privilégie le modèle N + adj. Sa spécificité va donc se situer sur un autre plan, qui est, à notre avis, plus socioculturel que purement linguistique. Ainsi, certains termes formés à partir de suffixes, notamment les suffixes augmentatifs et diminutifs, vont avoir une charge connotative très forte. La spécificité de la langue de l’économie, dans ce contexte, va donc consister à utiliser les ressources de la création lexicale pour décrire, d’une façon caractéristique et propre au contexte brésilien, une situation très particulière.

Les possibilités de création lexicale sont ainsi mises au service de la description d’une situation changeante, qui nécessite la création de termes et d’un type de discours capable de s’adapter à ces fluctuations. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1 du présent travail, on se trouve, dans le contexte qui nous intéresse, celui du Brésil du début des années 90, face à une dynamique économique qui engendre une dynamique linguistique. Les possibilités de création lexicale vont ainsi venir alimenter cette dynamique.