5.3 DÉLIMITATION DE LA MACROSTRUCTURE ET DE LA MICROSTRUCTURE

5.3.1 La macrostructure

La macrostructure (le nombre des entrées, leur disposition, leur nature, etc.) dépend à la fois du type du dictionnaire (monolingue, bilingue, général, spécialisé) et des choix du ou des lexicographes. Pour ce qui est du nombre et de la nature des entrées, les dictionnaires spécialisés vont se démarquer des dictionnaires généraux ; le vocabulaire spécialisé constituant un sous-ensemble du lexique, le nombre des entrées va logiquement être plus réduit.

En ce qui concerne notre travail, nous avons sélectionné les termes constituant la nomenclature du dictionnaire à partir des listes présentées à la fin du chapitre 2 (listes constituées par les termes extraits du corpus de travail). Le critère de sélection à adopter nous semblait devoir être celui de la fréquence ; en effet, il nous paraissait légitime de choisir les termes les plus utilisés dans le corpus de textes, donc les plus utiles aux futurs utilisateurs du dictionnaire. Néanmoins, malgré la “ légitimité ” de ce critère, nous nous sommes demandé à partir de quelle nombre d’occurrences un terme pouvait être considéré comme fréquent. Ainsi, si un terme présentant 80 occurrences est évidemment fréquent, compte tenu de la taille du corpus, qu’en est-il d’un terme apparaissant 2 ou 3 fois ? Pour éviter ce côté arbitraire, nous aurions pu décider d’inclure tous les termes collectés dans la nomenclature ; mais notre objectif de départ était plutôt de présenter un ensemble de termes représentatifs du langage utilisé dans la presse économique. En incluant dans la nomenclature tous les termes collectés, nous risquions d’y faire figurer des termes excessivement marqués par l’actualité (ce qui est déjà un des points faibles du travail sur corpus) et présents dans le corpus un peu “ par hasard ”. La répétition des termes nous semble “ aplanir ” cet aspect.

Nous avons donc, dans un premier temps, exclu de notre nomenclature les termes de fréquence 1. Toutefois, certains termes de fréquence 1 ont par la suite intégré la nomenclature du dictionnaire, pour des raisons de cohésion interne. Ainsi, si leilão [vente aux enchères] et leiloar [vendre aux enchères] figurent “ de plein droit ” dans la nomenclature (fréquences 22 et 2, respectivement), le terme leiloeiro [commissaire priseur], bien que de fréquence 1, mérite d’y figurer également. En effet, les trois termes portugais forment un bloc construit sur la même racine, ce qui n’est pas le cas de leurs équivalents français. Il en est de même avec la série tabela [liste des prix à la consommation] (f 11), tabelamento [mesure tarifaire] (f 3) et le verbe correspondant tabelar [établir un tarif] (f 1). Dans la série des syntagmes formés à partir de comércio [commerce], le syntagme comércio atacadista [commerce de gros] a la fréquence 2, et comércio varejista [commerce de détail] la fréquence 1, mais ce dernier figure également dans la nomenclature, pour des raisons de cohésion sémantique et de collocation. Nous pourrions citer encore les exemples de empresário [homme d’affaires, chef d’entreprise] (f 18) et empresariado [patronat] (f 1) ; estatizar [nationaliser] (f 2) et estatização [nationalisation] (f 1) ; estivador [arrimeur, docker] (f 4) et estiva [arrimage] (f 1) ; câmbio comercial [change commercial] (f 4), câmbio paralelo [change parallèle] (f 2) et câmbio flutuante [change flottant] (f 1), etc. Nous pourrions qualifier ce critère de systémique ; nous avons, en effet, tenté de rendre la totalité d’un système lexical.

D’autres termes de fréquence 1 ont été inclus parce qu’ils nous semblaient “ intéressants ” (nous sommes consciente du caractère quelque peu arbitraire de ce qualificatif), ainsi estar em falta [être en rupture de stock] pour son aspect collocatif, ou encore nicho de mercado [créneau de marché]. Ce critère serait collocatif.

Il convient de signaler que certains termes, de type syntagmatique, et qui ne figuraient pas au départ dans notre corpus, ont été intégrés à la nomenclature, car ils nous semblaient rendre compte aussi bien des collocations que d’aspects sémantiques importants. C’est le cas de syntagmes formés à partir de inflação [inflation] et qui, bien que ne faisant pas partie du corpus de textes, nous semblent indispensables, que ce soit pour l’aspect collocatif (quels qualificatifs peuvent “ accompagner ” le substantif inflação, et comment les rendre en français) ou pour la compréhension globale du “ phénomène inflation ”. Figurent ainsi dans la nomenclature inflação de custos [inflation de coûts], inflação de demanda [inflation de demande], inflação de papel moeda [ inflation de papier monnaie], inflação galopante [inflation galopante], inflação inercial [inflation auto-entretenue], inflação repimida [inflation contenue]. Une fois de plus, c’est la volonté de présenter un système cohérent, sans lacunes, qui a guidé nos choix.

Nous sommes ainsi arrivée à une nomenclature d’environ 500 termes. Comme nous l’avons déjà signalé dans le chapitre 3, un nombre important de ces termes sont de nature syntagmatique. Ce fait implique un certain nombre de choix quant à l’organisation générale de la macrostructure. Le premier choix à faire concerne la classification des entrées : on peut s’orienter vers un traitement sémasiologique de l’information et donc une classification plutôt alphabétique, soit vers un traitement plutôt onomasiologique, et regrouper les termes par champs sémantiques. Le dictionnaire que nous proposons étant plutôt destiné au décodage, l’orientation sémasiologique semble s’imposer. Le processus du décodage consiste à aller de l’inconnu (le terme de la langue étrangère) vers le connu (sa signification et son équivalent dans la langue de l’usager) ; or la “ porte d’entrée ” de ce processus est justement le terme de la langue étrangère. C’est donc cette “ porte ” que l’usager recherche, sous une forme et dans une structure où il soit facilement repérable et identifiable. C’est également cette facilité de repérage qui nous a fait opter pour une classification strictement alphabétique.

Il nous a également fallu choisir entre le “ regroupement ” (sous chaque entrée-vedette figurent ses dérivés et les compositions syntagmatiques) et le “ dégroupement ” (chaque syntagme est une vedette). Cette dernière possibilité nous est apparue comme la plus appropriée pour notre travail, et ceci pour diverses raisons. Tout d’abord, la terminologie considère les syntagmes comme des unités de sens à part entière, et c’est d’ailleurs la démarche qui a été la nôtre dès le départ. Lors de l’étape du repérage, de la collecte et de la mise en fiches des termes, nous considérions les syntagmes comme des unités. Nous avons donc maintenu cette décision. Ensuite, le traitement des syntagmes par dégroupement offre une plus grande lisibilité. En effet, un syntagme est plus facilement repérable lorsqu’il constitue une entrée, que lorsqu’on doit le chercher à l’intérieur d’un article, sous une adresse-vedette. Un dictionnaire bilingue doit être un outil facile à consulter, et plus la recherche d’information est rapide, moins elle risque de “ décourager ” l’utilisateur. De plus, le traitement de chaque syntagme comme une vedette évite l’inconvénient des articles trop longs, où le terme recherché est parfois dilué dans une masse d’informations. Comme le remarque Marello (1996 : 43) : “ plus les articles qui ont comme adresse un syntagme lexicalisé sont nombreux, plus maigres deviennent les articles concernant les mots très productifs de syntagmes. La lexicographie bilingue a toujours eu beaucoup plus d’intérêt encore que la lexicographie monolingue à réduire les articles longs, pour les rendre moins complexes et plus lisibles ” (c’est nous qui soulignons). Les articles de type encyclopédique peuvent être assez “ rebutants ” pour un utilisateur de dictionnaire bilingue. Il convient d’ailleurs de remarquer que la lexicographie bilingue partage cet “ intérêt ” pour les articles courts avec la lexicographie spécialisée. A ce propos, remarquons que les dictionnaires bilingues spécialisés contiennent souvent des articles réduits à leur plus simple expression (le terme de la langue source et son équivalent en langue cible). Ils y gagnent certainement en lisibilité, mais y perdent peut-être en qualité d’information.

Ainsi, lisibilité et facilité de repérage nous semblent être les atouts du dégroupement. Nous avons donc opté pour ce type de classification. C’est pourquoi chaque syntagme fait l’objet d’une entrée indépendante. Ce parti pris de dégroupement s’est appliqué également dans le cas des homonymes (ce qui nous semble être la seule option valable dans ce cas) mais aussi dans le cas des termes polysémiques. Nous pouvons illustrer notre démarche avec les exemples suivants :

  • le terme taxa est un cas d’homonymie ; en effet, il peut avoir le sens de “ impôt ou contribution prélevé sur certaines fournitures en fonction de leur importance ”, avec pour équivalent en français [taxe], et le sens de “ quotient, pourcentage, proportion, qui exprime de façon arithmétique la variation dans le temps d’un élément déterminé ”, équivalent du français [taux]. Ces deux homonymes constituent deux entrées distinctes, et elles ont été numérotées (ce qui est souvent le cas dans les dictionnaires pour les termes homonymes, bien que, après observation, nous ayons pu constater que certains ouvrages ne sont pas très cohérents dans le traitement des homonymes : on retrouve bien la numérotation, mais certains homonymes constituent des entrées différentes, alors que dans certains cas, ils sont regroupés dans le même article).

  • le terme concorrência a subi un glissement de sens ; s’il a toujours le sens du français [concurrence], il est très souvent utilisé dans le sens de “ processus destiné à sélectionner un fournisseur par la comparaison des prix proposés par chaque concurrent ”, dont l’équivalent en français est [appel d’offres]. Nous avons donné le même traitement aux deux sens de concorrência qu’à deux homonymes. Ils constituent chacun une adresse, numérotée. Il nous semble en effet primordial que l’usager puisse rencontrer facilement le sens qu’il recherche. De plus, si l’on considère la fréquence d’emploi du deuxième sens (équivalent d’appel d’offres), il ne nous semblerait pas juste de le considérer comme un “ sous-sens ” du sens plus général.

  • le terme nacionalização a également deux sens assez différents, qui sont rendus en français par des termes distincts. Le sens correspondant au français [nationalisation] est relativement peu employé, le sens le plus fréquent de ce terme est le “ pourcentage de pièces et composants d’un bien déterminé produits dans le pays ”, qui se dit en français [taux d’intégration nationale]. C’est donc ce dernier sens qui apparaît en premier, et comme pour les exemples précédents, chaque sens fait l’objet d’une adresse.

Nous pourrions citer d’autres exemples d’homonymes et de termes polysémiques, mais il nous semble clair que le dégroupement permet un accès plus rapide et plus sûr à l’information recherchée. On sait que l’utilisateur de dictionnaire, et peut-être encore plus l’utilisateur de dictionnaire bilingue, stoppe la lecture lorsqu’il a trouvé, ou pense avoir trouvé, ce qu’il cherchait. C’est une observation que l’on retrouve chez Marello : ‘“ Les études expérimentales sur l’emploi des dictionnaires bilingues ont montré que l’utilisateur moyen arrête de lire l’article dès qu’il/elle trouve un équivalent à peu près convenable et ne poursuit pas sa recherche pour trouver un meilleur équivalent ” (Marello 1996 : 43)’. Ainsi, si l’information recherchée se trouve diluée dans un article long, l’utilisateur risque de se contenter de l’information la plus accessible. Le fait de présenter les homonymes et les termes polysémiques sous des adresses séparées et numérotées attire l’attention de l’utilisateur sur l’existence de sens distincts, qui sont “ visuellement ” repérables.

Pour ce qui est des syntagmes formés à partir d’un terme simple, là encore, le terme simple et les syntagmes constituent des entrées séparées. Les exemples sont nombreux. Si nous reprenons l’exemple de inflação [inflation], cité plus haut, nous verrons que ce terme constitue une adresse, et que les syntagmes inflação de custos [inflation de coûts], inflação de demanda [inflation de demande], inflação de papel moeda [inflation de papier monnaie], inflação galopante [inflation galopante], inflação inercial [inflation auto-entretenue], inflação repimida [inflation contenue] constituent également des adresses, de façon graphiquement indépendante (toujours la question de la lisibilité et du repérage). Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, les “ séries ” de syntagmes formés à partir d’un terme sont nombreuses dans notre corpus. Nous leur avons toujours appliqué le même traitement, celui du dégroupement (il en est ainsi avec câmbio [change], comércio [commerce], mercado [marché], etc.).