5.3.3 Les exemples : place et utilité

Nous avons déjà vu, en 2.2.1, que les exemples n’occupaient pas la même place en lexicographie et en terminographie. Il nous semble d’ailleurs plus juste de parler de contexte plutôt que d’exemple. Nous avons tout d’abord hésité à intégrer des contextes dans la microstructure de notre dictionnaire ; nous pensions par exemple qu’ils alourdiraient la microstructure, pour une utilité discutable. Toutefois, cette première impression n’a pas résisté bien longtemps. Et, après une observation approfondie des contextes dont nous disposions, ils nous sont apparus comme une mine d’informations.

Nous avons vu que dans la lexicographie traditionnelle, les mises en contexte des mots définis consistaient le plus souvent en citations, généralement tirées de textes littéraires. Ces citations, même si elles pouvaient être éloignées de l’utilisation quotidienne de la langue, avaient le mérite d’être des utilisations authentiques. A cet égard, les citations peuvent paraître plus légitimes que des exemples forgés, élaborés spécialement pour illustrer une définition. Notre intention n’est pas ici de passer en revue les divers types d’exemples utilisés en lexicographie, ni d’en discuter la légitimité. Toutefois, la place des exemples en lexicographie bilingue nous intéresse particulièrement. En effet, il semble que pendant longtemps, l’exemple ait occupé, en lexicographie bilingue, une place accessoire. Comme le remarque ‘Duval (2000 : 83), un article de dictionnaire bilingue comprend nécessairement une entrée et une traduction directe, et dans les cas délicats, un exemple ; ainsi “ l’exemple serait donc un luxe confortable, une sorte de cerise sur le gâteau lexical ”’. Et pourtant, le dictionnaire bilingue étant destiné à des locuteurs non natifs, il est essentiel qu’il replace le mot dans un contexte discursif. Notre expérience de l’enseignement en langue étrangère nous a montré que le vocabulaire, “ les mots ”, ne se comprennent et ne s’apprennent qu’en contexte, et combien de fois n’avons-nous pas rencontré de productions d’étudiants soit incompréhensibles, soit parfaitement saugrenues, résultats d’un mauvais choix d’équivalent ; même si des contextes bien choisis et éclairants ne permettraient pas de résoudre totalement ce problème, il nous semble qu’ils l’allègeraient certainement. Il est peu utile d’avoir accès à une traduction directe si l’on n’en possède pas le “ mode d’emploi ”, tout au moins un exemple d’emploi.

Le rôle de l’exemple dans un dictionnaire bilingue est donc loin d’être accessoire. Pourtant, la qualité et donc l’utilité des exemples dans ce type d’ouvrages n’est pas toujours celle que l’usager pourrait espérer. A ce sujet, l’article de Blanco (1996 : 103) est révélateur. Ainsi, si tout le monde s’accorde sur le caractère multifonctionnel de l’exemple (il permettrait “ d’offrir des renseignements précieux sur toutes les facettes du mot-vedette (...) et excellerait à illustrer l’information ”), on peut se demander si cet exemple est conçu “ de façon à pouvoir assurer la lourde tâche qu’il est censé remplir ”. Il nous semble que ce problème trouverait un début de solution par l’utilisation systématique de corpus, ce qui est d’ailleurs la tendance actuelle en lexicographie (voir le chapitre 2).

En ce qui concerne notre travail, c’est un corpus de textes qui a servi de base à l’élaboration d’un dictionnaire. Il nous a semblé juste d’utiliser ce corpus en amont, pour la constitution de la nomenclature du dictionnaire, et en aval, pour fournir des bases d’exemples et de contextes. Il nous paraît d’ailleurs plus exact de parler de contexte plutôt que d’exemple. Nous nous sommes également posé la question du type de contexte à intégrer à la microstructure. En effet, il ne nous paraissait pas utile de proposer systématiquement un contexte, car dans les cas où celui-ci n’apporte aucune information supplémentaire, il serait réduit à un rôle de “ preuve d’existence ” du terme. Si ce rôle de “ témoin ” est incontestable dans le cas de terminologies très spécialisées (si le terme existe, c’est parce qu’on peut le rencontrer dans des textes), il n’en est pas de même dans le cadre de notre travail. Ainsi, on ne peut contester l’existence de termes comme exportação [exportation], protecionismo [protectionnisme], etc. Pour figurer dans l’article, le contexte devait donc apporter une information supplémentaire, qu’elle soit de type linguistique (collocation) ou sémantique (contextes explicatifs ou définitoires).

Pour ce qui est de la typologie des contextes, ‘Rondeau (1984 : 80-81) distingue trois types de contextes :’

Quant à ‘Dubuc (1985 : 62-63), il distingue :’

Nous avons, pour notre travail, établi quatre types de contextes :

Sans nous être livrée à un décompte précis, nous pouvons dire que la grande majorité des contextes sont de type associatif. Si les contextes définitoires sont rares, on remarque par contre un nombre important de contextes explicatifs, ce qui est assez intéressant. Nous essaierons en effet de comprendre quelle est la pertinence de ce type de mise en contexte d’un terme dans un environnement déjà connu (un lecteur de la rubrique “ économie ” d’un magazine s’attend à recevoir un certain type d’information). Nous attacherons une importance particulière au contexte de situation, car il concerne, comme nous l’avons dit plus haut, des termes très “ chargés ”, représentatifs de faits marquants des années 91 et 92.

On peut considérer que tout contexte est associatif, puisqu’il permet de voir le terme dans son environnement, et que tout contexte fournit une information sur le comportement syntaxique de ce terme (place dans la phrase, articles et prépositions utilisés, etc.). mais certains contextes sont particulièrement éclairants quant aux collocations, essentiellement les combinaisons “ verbe + complément ” et “ préposition + nom ”, informations essentielles dans un dictionnaire bilingue, surtout lorsque les verbes utilisés en portugais et en français sont assez différents. Ainsi aplicar dinheiro [placer de l’argent], cortar o bônus [supprimer les avantages], cobrar preços [demander un prix], cavar um déficit [creuser un déficit], pedir um empréstimo [demander un prêt] par opposition à fazer um empréstimo [faire un emprunt], ir à falência [faire faillite], ir a leilão [être mis au enchères], fazer licitação [lancer un appel d’offres]. Le contexte de importado [produit importé] est également éclairant ( os importados invadem as prateleiras  [les produits importés envahissent les rayons des magasins]) puisque le terme apparaît dans son emploi en tant que substantif, ce qui est son emploi le plus fréquent.

Les contextes associatifs de co-occurrences (association de termes) sont, nous l’avons vu, les plus nombreux, ce qui bien sûr n’est pas surprenant. Les termes appartenant au même domaine figurent logiquement dans les mêmes textes. Pour citer Cabré :

Les termes ne constituent nullement des unités isolées pouvant exister en dehors d’un contexte spécifique, mais des éléments (...) qui se manifestent dans un contexte concret, correspondant à un domaine donné de spécialité. Ainsi, un terme est en relation avec tous les autres termes qui font partie du même domaine spécialisé, avec lesquels il constitue un champ conceptuel on un champ notionnel.

(Cabré 1998 : 174)’

Ainsi, on retrouve dans la même phrase congelar et descongelar [bloquer et débloquer les prix] : “ o governo deve acabar com a mania de congelar e descongelar preços ” [le gouvernement doit en finir avec cette manie de bloquer et débloquer les prix]. Congelamento [blocage des prix] côtoie deflação [déflation] : “ o ministro aplicou um congelamento que provocou até uma deflação nos primeiros momentos ” [le ministre a appliqué un blocage des prix qui a provoqué une déflation dans un premier temps]. A vista [au comptant] apparaît avec consórcio [consortium] et crediário [crédit] : “ se não fosse o consórcio, eu não poderia me dar esse luxo, jamais poderia pagar tudo à vista ou por crediário ” [sans le consortium, je ne pourrais pas me le permettre, je ne pourrais jamais tout payer comptant ou à crédit]. Moratória [moratoire] s’emploie surtout dans le contexte de la dette extérieure, et le contexte vient le confirmer : “ apesar dos saldos comerciais e da moratória da dívida externa, as reservas internacionais do banco Central cresceram muito pouco em 1990 ” [malgré les soldes commerciaux et le moratoire de la dette extérieure, les réserves internationales de la banque Centrale ont très peu augmenté en 1990].

Les contextes associatifs font donc clairement apparaître les réseaux de termes, et les liens que ces derniers tissent entre eux.

Certains contextes explicatifs semblent présenter une redondance d’information, surtout lorsqu’il s’agit de termes relativement fréquents, et donc (on le suppose) relativement connus des lecteurs. Toutefois, on peut remarquer, d’une part, que le langage est souvent redondant et, d’autre part, que les articles consacrés à l’économie dans les revues grand public sont lus par des spécialistes et des non-spécialistes, ce qui pourrait expliquer ce besoin d’éclaircir certaines notions. C’est le cas, par exemple, des contextes suivants :

Certains contextes explicatifs sont moins explicites, mais permettent tout de même d’avoir une idée assez précise de la notion véhiculée par le terme :

Nous considérons que ces deux contextes sont plus qu’associatifs, ils permettent en effet de bien cerner les notions de “ marché intérieur ” et “ marché extérieur ”.

Nous avons rencontré dans notre corpus peu de contextes définitoires, et il est intéressant de noter que ces contextes ne concernent pas des termes particulièrement difficiles ou obscurs.

Les années 91 et 92 ont été, comme nous l’avons déjà expliqué, très marquées par l’inflation et la récession économique. Les termes servant à décrire cette situation sont donc très chargés d’information, très représentatifs de cette période. Leurs contextes d’actualisation vont donc très souvent refléter cet état de fait, et les resituer dans une conjoncture particulière. De nombreux termes reliés à la situation inflationniste très particulière au Brésil vont être marqués historiquement et culturellement :

C’est également le cas de termes très “ brésiliens ” comme calote [emprunt non remboursé], confisco [confiscation] ou pacote [train de mesures]:

Des termes comme sonegação [fraude fiscale] ou reserva de mercado [réserve de marché] prennent également tout leur sens en contexte :

Pour ces derniers exemples, l’absence de contexte ne permettrait pas à un lecteur de saisir toute la portée des termes, et ce serait le priver d’une source d’information précise.

Au regard de toutes ces considérations, il nous a donc semblé indispensable d’inclure des contextes dans la microstructure, lorsque le contexte dont nous disposions était en mesure de jouer son rôle informatif. Ce type de dictionnaire doit en effet fournir des informations linguistiques mais aussi culturelles, et les contextes tirés de la presse peuvent ouvrir des portes à l’utilisateur et lui permettre de mieux cerner les notions véhiculées par les termes.

Notes
3.

Allusion, tout comme dans le contexte de confisco, à la confiscation des dépôt bancaires en mars 1990 (les cruzados novos étaient la monnaie de l’époque).