CONCLUSION

Nous avons vu, au début de ce travail, que nos réflexions précédant l’élaboration d’un dictionnaire bilingue portugais / français de la langue de l’économie, se fondaient sur la terminologie et la lexicographie bilingue. Les conclusions auxquelles nous sommes arrivée à l’issue de ce travail nous semblent pouvoir être regroupées d’après ces deux mêmes orientations.

Dans notre premier chapitre, nous nous sommes attachée à souligner l’importance de replacer la terminologie dans un contexte discursif. En effet, le terme, en tant que signe linguistique, doit être actualisé en discours, et ce discours ainsi que le contexte d’énonciation vont influer sur ces termes, mais aussi, de façon plus générale, sur le discours terminologique. Dans la situation et l’époque sur lesquels porte notre recherche, le Brésil du début des années 90, on a pu voir qu’une situation économique instable avait une influence directe sur la terminologie du domaine ; le contexte d’énonciation joue ainsi un rôle primordial. Dans ce cas précis, nous avons vu qu’une dynamique économique engendrait une dynamique linguistique, qui allait donner naissance à une terminologie dont une des caractéristiques est qu’elle pouvait être aussi fugace que les phénomènes qu’elle décrivait, et que ces termes nouveaux pouvaient naître à des niveaux divers, dans la sphère spécialisée mais aussi hors de cette sphère. C’est en cela que ce discours terminologique, dans cet environnement précis, nous semble remarquable.

La situation dans laquelle ce discours terminologique a été produit se traduit par certaines particularités, au niveau linguistique mais également, de façon plus large, au niveau socioculturel. Ainsi, nous avons pu constater, au cours de notre observation des termes de l’économie et du commerce dans la presse brésilienne, termes retirés de textes des années 1991 et 1992, les caractéristiques suivantes :

Les circonstances dans lesquelles a été produit le discours qui nous intéresse va se refléter dans certaines particularités revêtues par la terminologie de l’économie et le discours économique dans son ensemble. Ainsi, le discours économique dans la presse brésilienne présente certains traits qui nous semblent des caractéristiques fondamentales relevant directement de ce milieu :

Ces deux derniers aspects, métaphorisation et interpénétration des discours spécialisé et non-spécialisé nous ont amenée à nous interroger sur le degré de spécialisation de la langue de l’économie au Brésil. En effet, dans le contexte brésilien, et de façon encore plus sensible au début des années 90, la terminologie de l’économie faisait partie des discours quotidiens, que ce soit dans les médias ou dans les conversations privées, les discours des spécialistes et des non-spécialistes. Peut-on encore, dans ce contexte précis, parler de langue de spécialité ? Toutefois, il ne suffit pas qu’une langue de spécialité soit utilisée hors de sa sphère spécialisée pour qu’elle perde sa spécialisation. Il ne nous semble donc pas légitime de nier à la langue de l’économie, au Brésil, le qualificatif “ spécialisée ”. Mais il s’agit, en raison d’un contexte tout à fait particulier, d’une langue de spécialité présentant certaines caractéristiques, dont les principales sont :

La terminologie de l’économie, au Brésil, est donc étroitement liée à l’environnement dans lequel elle est produite. Il s’agit d’une langue dont le degré de spécialisation peut varier suivant les situations et les locuteurs. La terminologie de l’économie, parce qu’elle fait partie du paysage habituel et quotidien des Brésiliens, que ce soit à travers les médias ou les conversations privées, n’est peut-être pas toujours ressentie comme très spécialisée, et le “ sentiment de spécialisation ” (notion évoquée par Pearson 1998 : 27) ferait ici parfois la place à un sentiment de familiarité. Ce sentiment de familiarité ne serait, pourtant, que superficiel, la plupart des locuteurs ne possédant pas la “ culture économique ” qui leur permettrait de s’approprier véritablement cette terminologie. La véritable connaissance spécialisée, enjeu de pouvoir, resterait donc le privilège d’un petit nombre.

L’objectif premier de notre travail étant de proposer un dictionnaire bilingue portugais / français de la langue de l’économie utilisée au Brésil, les principales conclusions auxquelles nous sommes arrivée à l’issue de ce travail découlent de l’élaboration de ce dictionnaire. Rappelons que le public que nous visions est un public de francophones, apprenant la langue portugaise dans un but professionnel. Ce travail a donc été élaboré dans une perspective didactique, en raison de la situation d’apprentissage dans laquelle se trouve le public visé, mais aussi en raison de la relation enseignant / apprenant que nous avions avec ce public.

Tout d’abord, il nous semble primordial, dans le cadre de l’élaboration de produits lexicographiques à visée didactique, de travailler, au moins en partie, à partir d’un corpus. L’étude de corpus permet en effet de travailler sur des faits de langue attestés, et non pas sur des modèles pré-établis. Le corpus permet également une véritable étude des collocations, ce qui est primordial en lexicographie bilingue. Le corpus fournit des informations utiles à l’utilisateur sur le plan du décodage comme de l’encodage, en particulier sur tout ce qui concerne les combinaisons d’unités lexicales. Dans le cadre d’un dictionnaire bilingue spécialisé, l’utilisation d’un corpus peut permettre de pallier les inconvénients du vieillissement des dictionnaires, surtout dans les domaines de connaissance en permanente évolution. Le fait de travailler à partir d’un corpus, dans le cadre de notre projet, a été essentiel. Les textes de presse utilisés pour la collecte des termes nous ont en effet permis de donner au public que nous visions une “ image ” réelle, attestée, de la terminologie utilisée pour décrire une certaine situation économique. Les termes qui figurent dans notre proposition de dictionnaire, sont le reflet des discours effectifs des acteurs économiques, qu’ils soient producteurs ou consommateurs. Le travail sur corpus nous a permis de proposer à nos utilisateurs potentiels un “ instantané ” de la langue de l’économie au Brésil, susceptible d’être un véritable outil de décodage, décodage d’une langue mais aussi, de façon plus large, décodage d’une situation.

Le choix de travailler à partir d’un corpus s’est imposé à nous en raison du public que nous visions. Nous avons vu, au cours de ce travail, que l’approche contrastive a beaucoup à apporter à la didactique des langues étrangères mais aussi, et peut-être surtout, à la lexicographie bilingue. Le premier apport de l’approche contrastive à la lexicographie bilingue est le fait de mettre en évidence la nécessité d’élaborer le produit en fonction du public auquel on s’adresse, public qui doit être préalablement défini, et de ses besoins. Notre proposition de dictionnaire bilingue portugais / français s’inscrit largement dans une perspective contrastive. Nous avons dès le départ défini notre public (francophones en situation d’apprentissage de la langue portugaise et l’utilisant dans un contexte et pour des besoins professionnels), et ce choix a guidé toute l’élaboration du dictionnaire, que ce soit au niveau de la macrostructure (choix du corpus de départ, des termes retenus, dégroupement des entrées polysémiques) ou de la microstructure (définitions données en français, précisions métalinguistiques, choix des contextes).

L’objectif que nous nous étions fixé au début de ce travail est en partie atteint. Notre proposition de dictionnaire bilingue portugais / français de la langue de l’économie utilisée au Brésil a été bien reçue par les utilisateurs qui ont bien voulu le tester. En particulier, l’approche contrastive qui a guidé nos choix semble avoir porté ses fruits. Ainsi, la présence de définitions en français, les précisions métalinguistiques, et surtout la remise en contexte des termes ont été très appréciées. Le type de termes retenus pour constituer la nomenclature semble également répondre à un véritable besoin, celui d’avoir accès au sens, et au sens en contexte, des termes que ces utilisateurs rencontrent effectivement, au quotidien, dans les discours de leurs interlocuteurs brésiliens, qu’ils soient clients, fournisseurs, associés, etc. Nous souhaiterions, à présent, soumettre ce dictionnaire à une évaluation plus large, afin de voir en quoi il correspond aux attentes des utilisateurs, et quels aspects peuvent être améliorés. Surtout, nous pensons qu’il serait particulièrement intéressant de le transformer en dictionnaire évolutif, afin qu’il puisse continuer à “ coller ”, au plus près, à l’évolution de l’économie et donc de sa terminologie, dans le contexte brésilien. Cette notion de terminologie évolutive nous semble en effet primordiale. Nous avons vu, tout au long de ce travail, que la situation économique, au Brésil, est changeante, et que cette dynamique se reflète dans la terminologie, qui s’adapte à ces changements. Ceci pourrait se vérifier pour de nombreux domaines de connaissances, qui sont en permanente évolution. Si l’objectif est de fournir un outil lexicographique aux utilisateurs, il est important que cet outil puisse évoluer en même temps que le domaine et sa terminologie. Le travail sur corpus et l’utilisation du support informatique devraient permettre de fournir un outil évolutif.

Nous rappelons que l’objectif de départ de ce travail était d’élaborer un outil lexicographique dans une perspective didactique. Il convient, à présent, de voir en quoi ce travail a pu être formateur, dans le cadre de notre pratique professionnelle, et en quoi il peut nous fournir de nouvelles pistes pour l’enseignement du portugais langue étrangère.

Pour ce qui est du travail lexicographique, les différentes étapes de l’élaboration de notre proposition de dictionnaire bilingue ont été formatrices par bien des aspects. Tout d’abord, l’étape de collecte et de sélection des termes nous a montré l’importance du travail sur corpus, surtout dans une optique lexicographique bilingue, en ce que le corpus fournit non seulement du texte (faits de langue attestés, collocations, etc.) mais du contexte (l’environnement socioculturel est essentiel dans le cas de la langue de l’économie au Brésil). De plus, certains aspects quantitatifs, en particulier la fréquence des termes, sont révélateurs non seulement du type de sujets abordés dans les textes constituant le corpus, mais également de certaines particularités lexicales, par exemple, le fait qu’un domaine comme l’inflation soit constitué d’un petit nombre de termes différents, mais qui sont chacun fréquemment employés. Tout ceci nous a semblé éclairant quant à la nature des textes économiques au Brésil en particulier, mais aussi, de manière plus générale, quant à la façon d’appréhender, dans une optique didactique, les textes de spécialité dans leur ensemble. Le travail sur corpus rejoint le concept de terminologie évolutive que nous avons évoqué plus haut.

L’analyse du profil morphologique des termes issus de notre corpus nous a permis de mettre en relief certains aspects de la structure du lexique portugais, essentiellement en ce qui concerne le lexique scientifique (modèles de composition, productivité des préfixes et suffixes). Cette analyse nous fournit des éléments nous permettant de mieux maîtriser la structure lexicale de la langue portugaise, et, par là-même, d’élaborer des stratégies d’enseignement du lexique, en particulier du lexique d’orientation scientifique.

L’élaboration de la microstructure a été enrichissante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la recherche de la signification des termes et la rédaction des définitions étaient éclairantes non seulement quant à l’analyse de la signification, et surtout de la signification en contexte, mais également sur la meilleure manière de transmettre cette signification, de donner aux utilisateurs les clés de l’accès au sens de ces termes, ce qui, d’un point de vue didactique, est essentiel. Le choix et la rédaction des précisions métalinguistiques données à propos de certains termes entrent directement dans cet exercice de reformulation et transmission du sens d’un terme à destination d’un public d’apprenants. L’approche contrastive, ici encore, nous a permis de mieux cerner les besoins des apprenants. Ainsi, notre démarche pourrait en partie être résumée par la question : “ de quel type d’informations un apprenant aurait besoin pour comprendre et éventuellement utiliser correctement ce terme? ”. Nous avons suivi le même cheminement dans le choix des contextes ; les contextes retenus présentent en effet une information utile aux utilisateurs, soit au niveau linguistique (constructions syntaxiques, collocations, etc.), soit au niveau culturel. Dans la même orientation, la recherche d’équivalents en français, comme nous l’avons déjà remarqué, a mis en évidence les divergences entre les deux langues, tant au niveau morpho-syntaxique que sémantique, voire même culturel. Ainsi, il nous semble que le travail lexicographique bilingue met en jeu des compétences aussi diverses qu’essentielles, et directement applicables dans l’enseignement d’une langue étrangère. Dans le cadre précis de notre travail, celui d’une langue de spécialité, ces différents aspects linguistiques et culturels sont essentiels afin d’optimiser la communication, ce qui est primordial dans le cas d’échanges spécialisés.

L’étude de la créativité lexicale dans notre corpus, que ce soit dans le domaine de la création néologique ou de la création en discours (création ponctuelle et “ à usage unique ”), nous a donné la possibilité de souligner l’extrême vitalité de la langue portugaise telle qu’on la parle au Brésil. D’un point de vue didactique, il nous semble primordial, pour des apprenants de cette langue, d’avoir accès à cette particularité qui est une réalité tant linguistique que culturelle. En effet, que ce soit dans le discours économique, ou dans les échanges quotidiens, les ressources lexicales de la langue portugaise sont continuellement exploitées afin de toujours servir au mieux l’expressivité. L’utilisation des suffixes augmentatifs et diminutifs est un exemple révélateur de cette créativité permanente, qui permet de personnaliser l’expression, en créant spontanément le mot qui “ collera ” précisément à ce que l’on veut exprimer. Il nous semble très important que les apprenants comprennent et s’approprient cet aspect marquant de la langue portugaise, afin de mieux décoder les discours des locuteurs, et de mieux utiliser les possibilités d’expression qui leur sont offertes.

Ce travail d’élaboration d’un dictionnaire bilingue portugais / français de la langue de l’économie constitue donc, par bien des aspects, un parcours intéressant en ce qui concerne la didactique des langues de spécialité, et il peut être particulièrement éclairant pour notre formation d’enseignant. Mais il nous semble que, en raison de la place particulière qu’occupe le discours économique dans la société brésilienne, l’étude ce type de discours dépasse le cadre des langues de spécialité, et peut revêtir un côté interculturel, directement applicable en didactique.

Nous avons remarqué à plusieurs reprises que l’utilisation de l’humour, de l’ironie, marquait le discours économique, dans l’utilisation, par exemple, de suffixes ayant une valeur affective très marquée (cas de pacotinho et de pacotão, évoqués en 4.3.2.3), tout comme elle marque les discours quotidiens au Brésil, de manière générale. La dérision est souvent la meilleure arme des Brésiliens face à une situation parfois très difficile. Cette dérision va être présente dans les discours des médias, non seulement du point de vue linguistique, mais aussi dans la façon de traiter et de présenter l’information. Cette attitude, qui est souvent reconnue comme une caractéristique du peuple brésilien (par les étrangers mais surtout par les Brésiliens eux-mêmes), est une réalité culturelle, et, de ce fait, est très exploitable didactiquement. Miyaki (1997), dans un article consacré à l’utilisation de l’humour et de l’ironie dans le matériel didactique de portugais langue étrangère, remarque que la présence de l’humour et de l’ironie se vérifie dans tous les types de production ou d’expression, parmi lesquels les textes de presse. L’auteur souligne encore que ‘l’utilisation de telles productions dans une optique didactique se justifie non seulement par son caractère motivant, mais aussi parce qu’il s’agit d’une caractéristique inhérente à la culture brésilienne, et que le décodage de telles productions revêt un aspect transculturel (Miyaki, 1997 : 40)’. Il nous semble que cet aspect interculturel est très marqué dans le décodage du discours économique brésilien, surtout dans les textes de presse, et que le fait de comprendre ce type de textes requiert des connaissances linguistiques mais aussi culturelles. De plus, la présence d’un discours humoristique ou ironique dans des textes économiques peut surprendre, et la compréhension de cette spécificité brésilienne suppose que l’apprenant qui se retrouve face à ce type de discours sache le replacer dans son milieu socioculturel. Fournir à l’apprenant les clés de la compréhension du discours économique dans ce qu’il peut avoir d’ironique, de créatif, peut donc lui permettre, au delà de la langue de spécialité, de mieux appréhender certains aspects linguistiques et culturels propres au portugais du Brésil.

D’une manière plus générale, nous pouvons dire que ce travail a été pour nous, et nous espérons qu’il pourra l’être pour les éventuels utilisateurs de notre proposition de dictionnaire, une porte d’accès à l’extrême richesse linguistique et culturelle du Brésil, à cette faculté qu’ont les Brésiliens de créer un nouveau discours, de s’approprier une situation parfois difficile grâce au langage, pour décrire la réalité d’une façon qui n’appartient qu’à eux.