2. Le sens du passé composé est lié à son aspect

La valeur aspectuo-temporelle du passé composé, est le plus souvent admise comme la forme accomplie du présent de l’indicatif ; ce point de vue est quelque peu révisé par Leeman-Bouix qui précise que ce fait est vérifiable essentiellement

‘Avec les verbes dont l’aspect lexical est perfectif, c’est-à-dire qui supposent par leur sens même qu’un résultat est atteint ; ainsi on aurait bien : - Alors, tu trouves ? - J’ai trouvé ! (Leeman-Bouix, 1994 : 62) ’

Dupont (1986 : 62) s’attache à faire une description aspectuelle temporelle des valeurs du passé composé, en tant que passé (ses relations avec le passé simple et l’imparfait), et en tant que présent accompli. Les réflexions qui suivent aideront à décrire certaines des occurrences de changer dans notre corpus.

Le passé composé serait en opposition aspectuelle avec un passé simple dit constatif (ou « détaché » du temps de l’énonciation), tandis qu’il décrirait une action passée à l’aspect cursif qui permet d’envisager une équivalence entre le temps de l’énonciation et l’accomplissement du fait énoncé. En d’autres termes, au passé composé cursif il n’existe pas de coupure entre « l’énoncé et la sphère du locuteur » (Dupont, 1986), entre l’énoncé et le déroulement du procès auquel il réfère (Culioli, 1990). L’utilisation du passé composé cursif permet la présence implicite du narrateur au moment du déroulement du procès. Ainsi, l’aspect devient-il accompli cursif quand il s’agit d’un fait révolu (car il s’agit avant tout d’un passé), sans aucun lien avec le présent (Dupont, 1986 : 71) ; cependant il énonce un fait qui implique la présence de l’énonciateur au moment de son déroulement ; comme l’énonciation d’un procès au présent ne faisant que décrire le déroulement au moment où il a lieu.

Le point de vue syntaxique de Le Guern (1986 : 30), inspiré par Benveniste, oppose les valeurs sémantiques des formes composées à celles des formes simples. Le Guern aborde la valeur sémantique d’antériorité décrite par Benveniste, directement déduite de celle de l’aspect accompli, en termes d’aspect temporel : si une action est accomplie, une autre action présente dans le contexte sera obligatoirement postérieure à celle-ci. Cette propriété syntaxique attribuée aux formes composées des verbes français, permet de décrire le procès de la forme composée – en l’occurrence le passé composé – comme une action antérieure et non-durative (Le Guern, 1986 : 34) à une autre action présente ou pas dans le cotexte, explicitée à l’aide d’une forme simple non-accomplie :

‘L’expression de l’antériorité apparaît plutôt comme un supplément d’information fourni par le contraste des deux formes [composée et simple]. (Le Guern, 1986 : 30) ’

Ce qu’approuve Weinrich (le passé composé introduit « Une réalité passée non considérée dans sa passéité » Weinrich, 1989 : 148), même si son approche est davantage argumentative que sémantique.

Ainsi, le passé composé peut-il indiquer une action passée terminée, qui a des conséquences sur le présent sans pour autant la considérer durative (Dupont, 1986 : 83), (Grévisse, 1993 : §853) : Tu as cassé le magnétophone. (Je remarque qu’il ne fonctionne plus).

Creissels reste plus radical en considérant le passé composé comme « un procès envisagé comme antérieur à un repère temporel » (Creissels, 1995 : 173). Cependant, il ajoute une information : le passé composé peut aussi impliquer la localisation d’un événement à venir par rapport à une autre action qui lui sera postérieure. Mais cette intéressante construction n’apparaît pas dans le programme des Verts :

‘Ce qui subsiste nettement dans ce cas, c’est la valeur rétrospective du ‘passé composé’ ; la localisation dans le passé n’est impliquée qu’en l’absence d’indication contraire, ce qui permet de l’expliquer comme une valeur par défaut.
Quand tu as fini, n’oublie pas de me prévenir. (Creissels, 1995 : 174) ’

Une dernière particularité du passé composé apparaît dans le programme des Verts, et Dupont l’explicite comme suit. L’aspect du passé composé – passé et avec des conséquences au présent – serait le non accompli cursif qui peut signifier en plus de la limitation temporelle duratif vs ponctuel (exemples : Hier il a plu plusieurs heures vs Hier il a plu plusieurs fois), une valeur itérative opposée cette fois à l’imparfait assuétif (l’habitude) :

‘Cela signifie que tout complément de répétition entraînera en français l’emploi du passé composé : Cette année Pierre a été malade plusieurs fois. [...] En français c’est l’imparfait qui exprime toujours l’habitude au passé : l’imparfait y prend la valeur d’une Aktionsart assuétive. [...] L’imparfait s’accommode alors d’un complément de durée : Autrefois j’étais malade de longues semaines. (Dupont, 1986 : 75) ’

Tandis que la phrase à l’imparfait envisage un procès habituel, qui s’est prolongé, la phrase au passé composé ne contient pas cet implicite et conduit à considérer un procès répété, non dans une durée continuelle, mais dans des instants privilégiés qui ont été réitérés irrégulièrement dans l’année.

En conclusion, le passé composé strictement passé a pour valeur sémantique aspectuelle les traits /accompli/ /cursif/ /itératif/ ou /limitatif/. Tandis que le passé composé lié au présent (ou « Parfait » d’après Dupont, 1986 : 78) a pour valeur aspectuelle /non accompli/ décrivant une action située dans une période passée dont les conséquences peuvent être mesurées ou appréciées au présent.