Introduction générale

Depuis la mondialisation des économies nationales, le fonctionnement des entreprises occupe souvent le devant de l’actualité, tant il est vrai, que leur sort affecte, directement ou indirectement, tous les agents économiques. De part son caractère multidimensionnel et pluridisciplinaire 1 , le paradigme du gouvernement d’entreprise peut fournir des réponses à de nombreux dysfonctionnements des firmes, d’ou un intérêt croissant pour ce sujet.

Les travaux théoriques sur ce thème prennent naissance aux Etats-Unis à la suite des débats et des polémiques qui ont accompagné les restructurations des sociétés américaines lors des années quatre-vingt. A partir de la précédente décennie, ces préoccupations arrivent en Europe, avec notamment la publication du rapport Cadbury (1992) en Grande Bretagne et le rapport Vienot I (1995) en France. Au-delà de cet éclairage préliminaire, on peut situer la problématique du gouvernement d’entreprise dans le prolongement de la théorie de l’agence. Dans toutes les entreprises non strictement individuelles, il existe une délégation de pouvoir et donc une relation d’agence entre les bailleurs de fonds (actionnaires et créanciers), qui jouent le rôle de principal, et les dirigeants qui ont la qualité d’agent. Les problèmes d’agence n’expliquent pas à eux seuls le recours au gouvernement d’entreprise car certains conflits d’intérêts peuvent être résolus à travers des contrats appropriés et préétablis. Comme le souligne Hart (1995), les questions du gouvernement d’entreprise surviennent dans une organisation chaque fois que deux conditions sont réunies, à savoir :

Selon cette définition, le gouvernement d’entreprise apparaît donc comme une solution aux situations de conflits non prévues par le contrat. Au-delà de la réponse à l’imperfection des contrats, l’inscription du gouvernement d’entreprise dans le cadre précis de la théorie de l’agence, vise implicitement à désigner les membres de l’organisation victimes de ces problèmes d’agence et dont il convient par conséquent de protéger les intérêts. Shleifer et Vishny (1997) sont d’ailleurs explicites à cet égard en précisant que le gouvernement d’entreprise traite des chemins et méthodes qu’empruntent les fournisseurs de capitaux (ou bailleurs de fonds) pour s’assurer un retour sur investissement.

Il s’agit pour ces auteurs, de contrôler efficacement les dirigeants pour qu’ils ne dérobent pas les capitaux mis à leur disposition ou ne les investissent pas dans de mauvais projets. Michel Albert, résume bien cette position de lutte contre l’enracinement des dirigeants en considérant pour sa part que « Le gouvernement d’entreprise consiste à ne plus donner aux dirigeants des firmes qu’un seul et unique but, celui de maximiser les profits et les dividendes » (Albert M., 1994). Ces approches associées à la problématique du principal/agent sont dites restrictives. D’une part, elles s’inscrivent dans la tradition néoclassique de la firme en limitant l’objectif de l’entreprise à la maximisation des fonds propres, d’autre part, elles sont exclusivement centrées sur les intérêts des actionnaires.

Contestant cet ostracisme, d’autres auteurs proposent des approches alternatives du gouvernement d’entreprise basées sur la prise en compte de l’intérêt de l’ensemble des stakeholders de la firme. Leur démarche consiste à expliquer la place et l’importance des stakeholders « Un stakeholder dans une organisation est par définition, tout groupe ou individu, qui peut affecter ou qui peut être affecté par la réalisation des objectifs de l’organisation » (Freeman, 1984) ou encore comme « des groupes envers lesquels l’entreprise est responsable » (Alkhafaji, 1989). Mettre en évidence le risque qu’encourent les autres membres de la firme (en dehors des actionnaires) permet mieux de justifier et de légitimer la prise en compte de leurs intérêts par la firme.

En dehors du cadre strictement théorique, la préoccupation majeure de chaque entreprise aujourd’hui, est de rationaliser son fonctionnement pour espérer gagner des parts de marché et améliorer sa compétitivité en vue de garantir sa pérennité, dans une économie de plus en plus mondialisée et concurrentielle. Dans cette compétition, les conditions d’accès aux financements (coût du capital, confiance des investisseurs) constituent un élément, sinon l’élément vital du développement de toute firme. Celles-ci déterminent, dans une large mesure, les coûts de production, et par conséquent, les prix de vente et la position concurrentielle de toute société. Or, ces coûts de financement sont eux-mêmes fonction (croissante) des coûts d’agence. Des coûts d’agence élevés sont synonymes d’une moindre efficacité, une rentabilité plus faible et in fine un retour sur investissement non optimal. Cela conduit les investisseurs à exiger une prime de risque plus élevée, ce qui grève les résultats de l’entreprise et altère sa position concurrentielle. On aboutit, de ce fait, à un lien étroit entre le financement et la gouvernance.

En réduisant les coûts d’agence des entreprises, cette dernière contribue à améliorer leurs conditions de financement améliorant ainsi leur compétitivité. Depuis la remise en cause de la thèse de Modigliani-Miller (1958, 1963) de la neutralité de la structure financière sur la valeur de la firme par les travaux « récents » 2 de la théorie financière, les modes de financement occupent une place importante dans le développement des entreprises 3 . Même sur le plan macroéconomique, un consensus semble se dessiner pour accréditer l’hypothèse 4 d’une stimulation de la croissance par un système financier développé (Khan A., 2000).

Dans cette optique, notre travail de recherche consiste à analyser l’évolution des modes de financement de l’économie française en vue de déterminer l’impact de cette évolution 5 sur la gouvernance des entreprises. Nous parlons d’économie française car d’une part nos données sont, dans une large mesure 6 , extraites des tableaux d’opérations financières (TOF) qui couvrent un grand nombre de sociétés d’autre part, nous étudions également l’évolution du financement de la dette publique, et plus précisément la dette de l’Etat. L’inclusion de l’Etat, nous a semblé nécessaire pour au moins trois raisons :

Pour mieux saisir la réalité de ces modes de financement, il nous a paru également nécessaire d’étudier l’évolution du comportement des investisseurs institutionnels, principaux animateurs des marchés de capitaux, en matière de placement et d’investissement. Les modes de financement sont en effet déterminés aussi bien par la demande de capitaux (de la part des entreprises) que par les contraintes d’offre de ces capitaux 8 de la part des bailleurs de fonds.

Après avoir fixé l’objet de notre recherche et déterminé les agents à prendre en compte, nous avons établi notre plan de rédaction. Cette thèse comporte deux parties de deux chapitres chacune. La première partie est consacrée à l’analyse théorique du financement et du gouvernement d’entreprise, tandis que la seconde partie est une tentative d’illustration des évolutions parallèles des modes des modes de financement et de la gouvernance au sein de l’économie française.

Le premier chapitre traite de la structure financière et de la répartition des pouvoirs au sein de la firme, entre les managers et les financeurs. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à l’évolution de la théorie de la firme et à ses implications en termes de financement des entreprises. Il s’agit, dans cette section, de procéder à une analyse critique de la théorie néoclassique de la firme en nous appuyant sur les apports de la théorie financière moderne 9 . Outre les coûts de la faillite liés à un endettement excessif, l’introduction des conflits d’intérêts au sein de la firme constituera la première remise en cause sérieuse de la thèse traditionnelle de la neutralité de la structure financière. Dans la mesure où des montages financiers comme la participation des dirigeants au capital peut selon les cas réduire les conflits [thèse la convergence d’intérêts défendue entre autres par Jensen et Meckling (1976) et Jensen et Murphy (1985) et confirmée sur données françaises par Pigé (1994)] ou, au contraire, favoriser l’enracinement des dirigeants à partir d’un certain seuil [thèse défendue par Mork, Shleifer et Vishny (1988) ], la structure financière a des répercussions sur les coûts d’agence et par conséquent sur la valorisation de la firme. Les modes de financement apparaissent ici comme des outils de gestion implicites des conflits d’intérêt entre les différents stakeholders de la firme, en particulier, entre les actionnaires, les créanciers et les managers. Depuis, la avancées théoriques en matière d’asymétrie d’information, de théorie des jeux, ainsi que la théorie du free cash flow de Jensen (1986), les recherches portant sur la structure financière, et notamment les contrats de dette, se sont multipliées.

En dépit de la sophistication atteinte, les contrats ne sont jamais parfaits en ce sens que qu’ils ne peuvent pas prévoir tous les états futurs de nature. Parfois, les coûts de la rédaction de ce type de contrat sont tels que les membres de la firme renoncent à l’établir. Cette indétermination contractuelle peut conduire à l’accroissement de la latitude de certains stakeholders, tels que les dirigeants, au détriment d’autres membres de la firme. C’est alors que les mécanismes de gouvernance apparaissent nécessaire. Le gouvernement d’entreprise apparaît à cet égard comme un mécanisme de gestion explicite des conflits d’intérêt au sein de la firme (Section 2). La présentation des soubassements théoriques de « la » théorie du gouvernement d’entreprise en rapport avec la théorie des contrats et des coûts de transaction, nous servira de prélude à l’analyse des approches de la gouvernance dans le deuxième chapitre.

Ce second chapitre théorique, débutera par l’exposé des principes de la création de valeur, qui semble aujourd’hui gouverner le marché et qui représente l’axe central de la philosophie du capitalisme actionnarial dont s’inspire les approches restrictives du gouvernement d’entreprise (section 1). Nous analyserons la problématique du créancier résiduel, pierre angulaire des modèles de princpal/agent ou du contrôle externe. Celle-ci explique en effet pourquoi l’objectif de la firme doit se limiter à la maximisation de la valeur actionnariale. Il s’agit de montrer qu’en tant que détenteur d’un titre de propriété, l’actionnaire doit bénéficier de l’intégralité des profits (résiduels), qui ne sont que la rémunération du risque, plus élevé, qu’il encoure en l’absence de toute protection contractuelle. Plus récemment, les tenants de ces approches ont renforcé cet argument traditionnel, en invoquant le bien fondé d’une gestion axée sur un objectif unique 10 , en termes d’efficacité.

A partir de ces postulats, diverses solutions sont proposées en vue de minimiser les coûts d’agence. La théorie de Jensen (1986) qui préconise le recours à l’endettement pour créer des contraintes qui empêchent les managers de dilapider les ressources disponibles de l’entreprise dans des projets non productifs en est un exemple. De même, le paradigme des stock options, s’inscrit dans la droite ligne de la thèse de la convergence d’intérêt et de la réduction des coûts d’agence par l’incitation. Le recours à cet outil, n’a cependant pas que des aspects positifs puisqu’il est susceptible d’engendrer d’autres conflits d’intérêt. En outre, ces effets sur les autres stakeholders demeurent nuancés. Cette première critique nous permettra d’analyser les propositions des approches larges du gouvernement d’entreprise basées sur le stakeholder capitalism (section 2).

Comme ces approches sont encore en cours d’élaboration, leur apport est d’abord basé sur la critique des arguments et autres hypothèses des modèles de gouvernance précédents. Les concepts utilisés actuellement pour exprimer la création de la valeur (EVA, MVA, …etc.) sont assimilés à des moyens utilisés pour extraire, une rente, un super profit, dans la mesure où on exige des rendements qui dépassent le coût moyen pondéré du capital qui comprend déjà la rémunération du risque pris par l’actionnaire 11 . Plus fondamentalement, le principe même de ce mécanisme est contesté, puisque produire des rentabilités qui surpassent le coût du capital suppose que les managers soient en mesure de battre la marché, ce qui semble illusoire sur le long terme (Lee et Verbrugge, 1996). La seconde critique concerne le statut de créancier résiduel qui ne serait pas, selon M.Blair (1995), un attribut exclusif de l’actionnaire puisque les configurations du pouvoir au sein de la firme peuvent permettre 12 , dans certaines circonstances, à d’autres stakeholders d’accéder au profit résiduel. Dans ces conditions, la légitimité d’une gouvernance orientée vers la protection des intérêts des seuls actionnaires devient plus problématique. Les objectifs de la firme sont alors redéfinis par une meilleure prise en compte des intérêts de ses autres membres. A partir de certains attributs tels que le pouvoir et la légitimité, les stakeholders sont identifiés. Leur importance est alors déterminée en fonction du nombre d’attributs dont ils peuvent se prévaloir.

A partir de ces contours, des approches basées sur une autre vision de la firme sont proposées. Ces approches partenariales, en cours d’élaboration pour la plupart d’entre-elles, s’appuient essentiellement sur la critique des modèles de la shareholder value. Elles proposent une gouvernance axée sur la préservation du capital humain, première richesse de l’entreprise. Celle-ci passe d’abord par la sécurité de l’emploi (Pfeffer, 1998). Plus largement, les aspects sociaux (la défense de l’emploi, la formation interne, la réduction des barrières statutaires,…) sont au centre des approches larges du gouvernement d’entreprise. On aboutit à un schéma consensuel, où les performances financières ne peuvent être améliorées par le sacrifice des aspects sociaux. Cela s’apparente à la logique de fonctionnement des firmes françaises que nous étudions dans le troisième chapitre qui est coïncide avec le début de la seconde partie.

Cette seconde partie est consacrée à l’analyse de l’économie française du point de vue des modes de financement et de la gouvernance. Il s’agit, essentiellement, d’une tentative d’application des instruments théoriques présentés à l’économie française. Mais, contrairement à l’approche microéconomique de la première partie, notre démarche dans la présente partie est d’ordre macroéconomique. La théorie du gouvernement d’entreprise constitue, d’une certaine manière, un prolongement (et certainement une amélioration) de la théorie de la firme quelle enrichit par une approche multidisciplinaire 13 . Son analyse suppose donc une approche microéconomique. A l’inverse, les T.O.F représentent, d’une certaine façon, une globalisation de cette réalité microéconomique à partir de l’agrégation des comportements des différents agents institutionnels. Le recours aux données du TOF pour analyser l’évolution des modes de financement des entreprises est fait dans un souci de représentativité. Nous estimons en effet plus pertinentes les conclusions tirées des tendances que donnent les TOF plutôt que d’utiliser un échantillon d’entreprises. Et dans la mesure, où nous faisons cette analyse en liaison avec l’étude de la stratégie de placement ou de financement d’autres agents institutionnels, l’usage des données des T.O.F offre une certaine cohérence de ce point de vue.

Dans le premier chapitre de cette seconde partie (chapitre 3) nous tenterons de mieux comprendre les modes de financement ainsi que la logique de fonctionnement des entreprises françaises pendant une longue période qui s’étend de 1946 au milieu des années quatre-vingt. Cette période offre, selon nous, une certaine homogénéité à bien des égards. D’abord il faut signaler que la première vague de privatisations débute en 1986, et signe le coup d’envoi du recul de l’Etat dans le secteur productif. Celle-ci précède de peu le profond mouvement de réformes financières qui aboutira au décloisonnement et à la dérégulation du système financier français, élément important en faveur du développement de l’épargne longue 14 . Enfin, il faut noter également que c’est à partir de ces années, qu’est lancé le mouvement de dérégulation et de libéralisation de l’économie avec notamment la suppression du contrôle de change et de l’encadrement du crédit. Dans un premier temps, nous évoquerons le cadre macroéconomique de la période des pré réformes (section 1). Outre le contexte historique de l’économie française au lendemain de second conflit mondial, nous tenterons de voir les impératifs économiques de la période de reconstruction qui seront déterminants dans l’orientation de la politique économique hexagonale pendant au moins deux décennies. Malgré un début d’ouverture après la signature du contrat de Rome et dans les années soixante-dix, les entreprises françaises évolueront encore dans une économie largement protégée. Le secteur public qui était déjà très fort consolide ses positions à l’occasion des nationalisations décédées en 1981.

Durant toutes ces années, la politique volontariste et dirigiste de l’Etat constituera un élément important de cette économie mixte et la première inflexion n’intervint qu’en 1983 avec le tournant de la rigueur qu’illustre l’option prise en faveur du franc fort. De part l’importance considérable du secteur public, l’Etat réussit à étendre son influence sur l’ensemble de l’économie grâce à son emprise sur le secteur financier. Nous verrons, dans un deuxième temps, que cette configuration aussi bien que les orientations suivies par l’économie française ne seront pas sans incidences sur la gouvernance des firmes pendant cette période (section 2). Eu égard au rôle très marginal des marchés de capitaux dans le financement du secteur productif, et au caractère public du système financier, l’Etat se retrouve directement (par le biais du Trésor) ou indirectement (les banques) le principal bailleur de fonds des entreprises. Cette situation facilite l’identité de vue entre l’Etat industriel et l’Etat banquier. En outre, la convergence d’intérêts est également facilitée par l’homogénéité de l’élite sociale en charge des divers secteurs économiques. De ce fait, l’Etat actionnaire s’éclipse devant l’Etat investisseur. La réalité n’est pas très différente dans les entreprises du secteur privé. De part leur mainmise sur les financements (contrôle du crédit, système d’aides et de subventions), les pouvoirs publics n’ont pas de difficultés à contrôler ces firmes dont ils sont par ailleurs souvent actionnaires. A titre d’exemple, l’Etat commence par promouvoir certains acquis sociaux dans les administrations et au sein des entreprises publiques, et crée ainsi un effet d’entraînement contribuant ainsi à étendre ces acquis au secteur privé. Pour autant, les sociétés privées ne perdent pas toute marge de manœuvre. D’abord, elles profitent largement de l’indulgence de l’Etat actionnaire/créancier qui, contrairement aux actionnaires minoritaires, n’est pas exigeant en matière de performance financière. En contrepartie de son interventionnisme, l’Etat adopte également une attitude indulgente, voire complice envers les comportements et les positions monopolistiques de certains groupes industriels. Cette réalité illustre l’influence des grandes entreprises. Grâces aux réseaux d’influence de leurs managers, celles-ci arrivent souvent à détourner les politiques publiques à leur profit.

Cette situation aboutit à l’instauration d’une gouvernance dominée par deux stakeholders importants, l’Etat et les hauts dirigeants. Conséquence de cette configuration, les objectifs de rentabilité financière sont relégués au second plan, loin derrière les performances industrielles et les revendications sociales. Grâce à la mainmise de l’élite administrative sur la direction des entreprises, ce modèle de governance, gestion consensuelle et équilibre entre les stakeholders, acquière une stabilité et une cohérence dans le cadre d’une économie relativement fermée et obéissant à une régulation keynésienne (Beitone et ali, 1994). On est alors dans une situation typique d’approche partenariale représentative du stakeholder capitalism.

Mais à la vielle de la première vague de privatisations en 1986, ce schéma allait être consolidé pour prévenir la déstabilisation des entreprises par ce changement de leur structure de capital. Les mécanismes de protection tels l’autocontrôle, les holdings, les double droits de vote pour les actionnaires de référence et les participations croisées, sont renforcés par les noyaux durs. Nous verrons que ces mécanismes ont permis aux firmes privatisées de collecter des capitaux tout en permettant à leurs dirigeants de rester à relativement à l’abri du contrôle externe.

Cependant à la faveur de la concurrence imposée par la mondialisation, un mouvement de déconsolidation des participations croisées et de cession des actifs non stratégiques, est lancé. Parallèlement, les part de capital détenues par des investisseurs institutionnels, notamment les investisseurs non-résident ne cessent de croître. Or ces agents se caractérisent d’abord par leur gestion patrimoniale. Cette évolution des modes de financement, induit de profondes recompositions des structures de capital, ce qu’in fine se traduit par une évolution des rapports de pouvoir au sein de la firme.

Pour mieux comprendre le sens de ces transformations, le dernier chapitre de cette thèse (chapitre 4) sera consacré à l’examen de l’évolution des modes de financement des entreprises françaises. Mais au préalable, nous analyserons le comportement financier de certains agents qui ont des répercussions directes ou indirectes sur le financement des entreprises. Il s’agit du financement de l’Etat et de la stratégie d’investissement et de placement des investisseurs institutionnels français et étrangers sur les marchés de capitaux de l’hexagone (Section 1). Le rôle de l’Etat dans l’économie française et le poids de la dette publique dans le PIB, rendent l’analyse du financement de cette dernière incontournable si on veut saisir pleinement le sens de l’évolution des modes de financement des entreprises non-financières. L’examen de la structure du passif de l’Etat montre un changement radical dans les ressources (hors impôts) collectées. La priorité donnée à la lutte contre l’inflation et les mesures prises en faveur de la promotion de l’épargne longue se traduisent par un effondrement du financement monétaire et des ressources liquides en général. Celles-ci sont compensées par progression ininterrompue des émissions sur les marchés monétaire et obligataire. Ce processus de modernisation de la gestion de la dette publique se traduira aussi par d’autres mesures telle la création de l’agence de la dette chargée de mettre en place tous les moyens et outils nécessaires à la réduction du coût de la dette. Les pouvoirs publics initient une nouvelle gouvernance de la dette qui outre sa gestion active et sa marchéisation comprend le respect des critères de Maastricht et donc la réduction des déficits, plus de transparence et une diversification des sources de financement à travers son internationalisation. Dans le processus de la marchéisation de la dette de l’Etat, le sens de l’action des pouvoirs publics ne peut être saisi, en effet, sans prendre en compte la contribution d’un acteur privé important, en l’occurrence les investisseurs institutionnels étrangers 15 .

Avant d’analyser la stratégie de cet agent, nous examinerons d’abord les placements des institutionnels français. Outre les banques, nous nous intéresserons aux Caisses d’Epargne et à la Caisse des Dépôts et Consignations, aux OPCVM et aux sociétés d’assurance. Nous ne focaliserons sur deux aspects. D’une part, nous chercherons à évaluer la part des valeurs mobilières dans le portefeuille des ces différents organismes et, de manière générale, la progression des placements marchands par rapport aux placements traditionnels, d’autre part, nous tenterons de voir la répartition des fonds investis sous forme de valeurs mobilières en terme de sécurité (placement en fonds propres ou en titres obligataires) et en terme de maturité (court, moyen et long terme). Cette répartition nous donnera un aperçu sur le degré d’aversion au risque de ces institutionnels. Nous verrons alors qu’en dépit d’une hausse de la part des valeurs mobilières dans leurs portefeuilles, les institutionnels français se distinguent des investisseurs non-résident par leur plus forte aversion au risque. Systématiquement, tous les institutionnels français, à des degrés divers, investissent plus en titres obligataires qu’en titres de propriété (actions) alors que leurs homologues étrangers se distinguent par une stratégie opposée. Certes, l’écart tend à se réduire entre les deux vecteurs en faveur des placements en fonds propres, néanmoins, la présence des non-résident au capital des firmes françaises demeure plus importante. Cette différence est accentuée du fait même de la surface financière, plus importante, de ces institutionnels étrangers tels que les fonds de pension anglo-saxons.

Au total, ces mutations dans les stratégies de placement des institutionnels et la modernisation de la gestion de la dette publique auront un impact non-négligeable sur l’évolution des modes de financement des entreprises (section 2). D’abord on note une nette amélioration des taux d’autofinancement, qui atteignent voire dépassent parfois les 100 % ce qui témoigne d’un net assainissement des bilans. En dehors des G.E.N (de moins au moins nombreuses) dont l’amélioration de l’autofinancement est obtenue au prix d’une nette baisse de leurs taux d’investissement, les autres entreprises augmentent leurs niveaux de fonds propres grâce aux capitaux levés sur le marché 16 . D’ailleurs, l’analyse des financements externes corrobore cette hypothèse. On observe des évolutions structurelles qui se traduisent par une mobiliérisation croissante et continue des financements et une nette décrue du crédit dans le passif des entreprises. Même le crédit interentreprises, autrefois caractéristique des modes de financement des sociétés françaises, recule sensiblement. Ces traits majeurs mis à part, nous verrons que les émissions obligataires privées demeurent marginales, ce qui tend à confirmer l’aversion au risque, signalée précédemment, des institutionnels français qui détiendraient alors en majorité des titres de la dette publique.

Enfin, l’examen des taux d’intermédiation de l’économie dans son ensemble, puis ceux des seules entreprises, au sens étroit comme au sens large, nous permettra d’apprécier l’ampleur de cette substitution des financements marchands au crédit bancaire traditionnel. Nous verrons dans quelle mesure cela reflète une transformation des structures de capital des firmes françaises. Si cette évolution se confirme, ses implications en matière de gouvernement d’entreprise ne tarderont pas à se manifester. Dans cette perspective, nous terminerons ce chapitre, et cette recherche, par un dernier point consacré à l’analyse des normes françaises en matière de gouvernance (section 3). Nous tenterons de mettre en exergue deux réalités qui semblent ambivalentes. D’un coté, nous verrons que les conseils d’administration continuent, dans une large mesure, à âtre inféodé à l’exécutif. Cela s’explique notamment par la pérennisation des modes de cooptation des administrateurs et des liens étroits entre la population d’administrateurs et celle des managers. D’un autre coté, les différentes opérations de restructurations tendent, au contraire, à montrer une ré appropriation des pouvoirs par l’actionnaire. Les événements récents sont significatifs à cet égard.

Notes
1.

Thurnbull S., (2000) parle de perméabilité des frontières de cette discipline émergeante.

2.

Notamment, les développements récents sur la structure financière qui s’inscrivent dans le sillage des théories de l’agence, de l’asymétrie de l’information et des coûts de transactions avec parfois l’utilisation des outils de la théorie des jeux (surtout sur le plan macroéconomique).

3.

Puisque cela revient à admettre l’existence d’une structure financière optimale, même si celle-ci varie selon, la taille de l’entreprise, son secteur d’activité, le niveau des taux d’intérêt…etc.

4.

Cet auteur américain tire ses conclusions à partir des résultats des recherches menées sur ce point. Bien entendu, cela ne n’implique pas que la cette causalité est exclusivement univoque dans la mesure où, la croissance économique favorise certainement le développement du système financier. Cependant la causalité semble être plus forte dans le sens opposé.

5.

Que nous supposons, a priori, non nul. Comme précédemment, nous admettons également que les améliorations en termes de gouvernance puissent influencer les conditions d’accès ainsi que les modes de financement des sociétés.

6.

Voire exclusivement s’agissant de l’analyse des modes de financement des sociétés non-financières. Pour d’autres aspects, comme l’analyse des conseils d’administration, les normes de gouvernance, nous nous sommes limités aux entreprises représentées dans les indices CAC 40 ou celles des indices, encore plus représentatifs du SBF120 et SBF250.

7.

Du moins les emprunts publics, le marché corporate étant encore marginal, même si ses perspectives d’expansion ne sont pas négligeables depuis l’avènement de l’euro et la disparition du risque de change à l’intérieur de l’euroland.

8.

Théoriquement ce sont, in fine, les comportements des agents à capacité de financement, en l’occurrence les ménages, qui déterminent l’orientation des flux financiers. Mais, du fait de la part relativement faible de l’investissement direct de ces agents, par rapport aux fonds placés auprès des intermédiaires financiers, et donc gérés par ces derniers, nous n’avons pas jugé utile d’analyser les placements des ménages au risque de réduire la visibilité de notre travail.

9.

Dans sa version restrictive, qui est la plus élaborée, l’approche du gouvernement d’entreprise s’inspire largement de ces théories

10.

Qui est la maximisation de la valeur créée, ce qui n’est rien d’autre que l’objectif de la maximisation des fonds propres de la théorie néoclassique traditionnelle.

11.

A travers la prime de risque.

12.

Comme les augmentations salariales non-contractuelles obtenues suite à une mobilisation syndicale.

13.

Même si dans notre recherche, nous nous sommes focalisés sur l’aspect financier, les autres aspects tels que le volet juridique se situant hors de notre compétence.

14.

Ferrandier R., Koen V., (1997), Marchés de capitaux et techniques financières, 4 e édition, Economica, p.58

15.

A la fin 2000, ces institutionnels détiennent 28% de l’encours de cette dette publique française.

16.

Ainsi qu’à l’amélioration de leur performance financière et au partage de la valeur ajoutée devenue plus favorable aux entreprises.