1) De l’incomplétude des contrats

Dans la mesure où les contrats concernent les actions ou le comportement futur des agents, il est important de préciser comment ce futur est précisément perçu. Cette perception varie selon la nature de l’environnement informationnel.

On distingue généralement trois cas :

  1. l’avenir certain ;
  2. l’avenir radicalement incertain ;
  3. l’avenir risqué.

Le premier cas correspond à la situation de l’information parfaite. Les agents qui sont dotés d’une rationalité substantielle n’ont aucune difficulté de prévision. Ils peuvent par conséquent établir des contrats qui spécifient ce qu’il faudra faire dans tous les états de la nature 84 .

Dans un second cas de figure, l’incertitude radicale empêche toute projection fiable. Les tenants de ce paradigme, tels que les auteurs de la théorie des conventions soutiennent en effet, qu’à cette incertitude vient s’ajouter la rationalité limitée 85 ou procédurale (Simon, 1947 et 1976) des agents. La juxtaposition de ces deux éléments ne permet même pas d’approcher l’équilibre optimal. Dans cette perspective, les contrats serviront de « béquille » 86 de la rationalité des agents, et offriront à ces derniers des solutions pour les problèmes de coordination auxquels ils seront confrontés. Celles-ci peuvent être satisfaisantes mais pas nécessairement optimales.

Enfin, le troisième cas apparaît comme une situation intermédiaire. Conformément à la distinction entre incertitude et risque établie par Knight (1921), l’avenir risqué signifie qu’il existe plusieurs avenirs possibles dont les agents peuvent déterminer les probabilités d’occurrence. Dans cette configuration, les agents connaissent parfaitement les caractéristiques de tous les scénarios possibles. Ainsi, dans les théories néoclassiques de la décision, l’imperfection de la connaissance ne porte que sur l’information paramétrique, la connaissance structurelle des individus étant parfaite 87 . On distingue alors les situations dites risquées dans lesquelles l’information paramétrique sur l’avenir est une loi de probabilité objective connue de tous (Von Neumann-Morgenstern, 1947) des situations incertaines (au sens faible ) pour lesquelles l’information paramétrique sur l’avenir s’apparente à une loi de probabilité subjective estimée par chaque joueur (modèle de Savage, 1954). Cette incertitude au sens faible ne s’explique que par le différentiel d’information entre les décideurs. Si ces derniers avaient la même perception de l’état du monde, leurs projections convergeraient vers la même loi de probabilité (Harsanyi, 1967et 1980). En dépit de ces divergences, des choix optimaux sont possibles dans les deux approches. Dans ces deux cas on s’inscrit en effet dans un univers où la connaissance structurelle est supposée parfaite. Dans ce cadre, le décideur peut modéliser l’avenir pour déterminer la solution optimale.

Au total, il apparaît que la nature de l’environnement informationnel détermine dans une large mesure celle des contrats. Ainsi, le risque n’empêche pas d’atteindre ou d’approcher des solutions optimales 88 grâce à des contrats contingents. A l’inverse, une situation d’incertitude radicale ne permet même pas de concevoir des contrats contingents. En outre, même dans un univers certain, les contrats doivent surmonter les difficultés liées à l’asymétrie de l’information. Du fait de la sélection adverse ou par opportunisme, les agents peuvent être amenés à dévier du contrat ou du moins à profiter de ces failles 89 .

L’ensemble de ces imperfections peut par conséquent constituer un obstacle majeur à la rédaction de contrats complets. Cette non-contingence des contrats est alors susceptible de provoquer des dysfonctionnements au sein d’entités telles que les firmes 90 . Les recherches engagées dans ce cadre ont conclu à la nécessité de dépasser les simples arrangements contractuels pour aboutir à un meilleur fonctionnement des organisations. Cette incomplétude des contrats ainsi que la mise en évidence de problèmes d’agence qui handicapent le fonctionnement des entreprises managériales, ont favorisé la multiplication de travaux empiriques et théoriques visant à résoudre cette problématique. Le gouvernement d’entreprise participe de ces réflexions

Notes
84.

On parle alors de contrats complets.

85.

Ce qui signifie que les agents peuvent mettre en œuvre des stratégies leur permettant de parvenir à des situations qu’ils considèrent préférables. Pour autant, ils ne réagissent pas systématiquement comme des agents cherchant à maximiser leur fonction d’utilité.

86.

Cette expression reprise par E. Brousseau (1989) appartient aux conventionnalistes.

87.

L’information structurelle décrit toutes les situations possibles auxquelles un agent est en situation d’être confrontée. L’information paramétrique fournit quant à elle, les paramètres des situations auxquelles cet agent est effectivement confronté. Ainsi, dans le cas d’un problème de comportement stratégique, l’information structurelle décrit toutes les manœuvres potentielles des joueurs tandis que l’information paramétrique désigne les solutions effectivement jouées.

88.

En utilisant le critère de maximisation de l’espérance mathématique de l’utilité.

89.

Comme le notent Alchian et Woodward (1988), cet opportunisme n’est pas seulement du à l’inobservabilité de certaines prestations mais peut provenir également de l’indétermination qui existe quant au partage de la quasi- rente organisationnelle. Celle- ci est un surplus, ou d’une certaine façon, le produit d’une synergie, générée par le contrat mais qu’on ne peut attribuer à aucun des co- contractants pris individuellement.

90.

Qui sont avant tout des nœuds de contrats.