Section 1 : La maximisation de la valeur des fonds propres ou la philosophie du capitalisme actionnarial

La théorie néoclassique de la valeur est fondée sur les besoins des individus pris en compte dans leur fonction d’utilité. Cette conception est fondée sur un certain nombre d’hypothèses telle qu’une information parfaite des différents agents ainsi que leur rationalité. L’action de chaque agent est guidée avant tout par son désir de maximiser son utilité personnelle.

Paradoxalement, en dépit de ce postulat, la théorie microéconomique traditionnelle de la firme n’a pas relevé que les dirigeants des entreprises puissent, au nom de ce principe, gérer d’abord dans le sens de leurs propres intérêts au détriment des intérêts d’autres « stakeholders » 100 . Relevant la séparation entre pouvoir et propriété au sein des grandes entreprises, Berle et Means (1932) contestent l’hypothèse établie d’un manager agissant dans le sens de la maximisation de la valeur de la firme. La mainmise des dirigeants sur la gestion quotidienne et la dispersion des actionnaires plaident pour la thèse du contrôle managérial. Toutefois, certains actionnaires minoritaires peuvent profiter de cette dispersion pour prendre le pouvoir et exercer un contrôle sur la firme 101 . On passe de l’hypothèse du contrôle managérial à l’hypothèse du contrôle de minorité. Celle-ci est vérifiée par certains travaux empiriques (Demsetz, 1983).

En dépit de ces recherches, il faut attendre l’émergence de la théorie de l’agence 102 pour assister à une évolution fondamentale de la théorie de la firme. Pour la première fois, les coûts liés à l’opportunisme des agents, et qui sont de manière générale inhérents à toute forme de délégation, sont reconnus et explicitement détaillés.

La théorie de l’agence montre que l’agent 103 , lui-même maximisateur de son utilité individuelle, peut profiter de toutes les failles contractuelles pour entreprendre des actions qui ne sont pas dans l’intérêt du principal. Appliquée aux grandes entreprises où la séparation entre la gestion et la propriété des actifs est courante, cette divergence d’intérêt peut s’avérer très préjudiciable pour les actionnaires, les droits des autres « stakeholders » (ou chaque catégorie de stakeholders) étant supposés garantis par les contrats qui les lient à la firme. Dès lors, le but est de mettre en place des systèmes qui permettent d'aligner et de rendre compatibles les intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires.

Selon l’approche principal/agent, l’obtention de cet objectif passe par la mise en place d’un système combiné de sanctions/récompenses à l’égard du manager. Des mécanismes de contrôle sont instaurés pour éviter toute déviation.

Parallèlement, des schémas incitatifs 104 destinés à stimuler les efforts du dirigeant et son ingéniosité, sont mis en place. Dans le sillage de la théorie microéconomique néoclassique 105 , la théorie de l’agence préconise d’évaluer les managers sur la base d’une stratégie axée essentiellement sur la création de valeur.

Notes
100.

Il est vrai comme le note Hart (1995), que la conception traditionnelle de la firme est avant tout une approche en termes d’input output. Les aspects organisationnels sont peu abordés et la « boite noire» se confond avec l’entrepreneur. Les conflits d’intérêts ont de ce fait été ignorés. Dès lors, on peut, dans une certaine mesure, avancer que la firme telle que nous la connaissons aujourd’hui ne fait pas partie de l’univers microéconomique classique.

101.

Dans la mesure où les bénéfices du contrôle excédent ces coûts sachant qu’ils doivent intégrer le problème du passager clandestin du au comportement passif et « rationnel » (dans un jeu non coopératif) du reste des actionnaires minoritaires.

102.

Suite à la publication de l’article fondateur de Jensen et Meckling (1976).

103.

Nous prenons l’agent ici au sens de mandataire qui est délégué par le mandant (qui est l’actionnaire) ou principal pour agir en son nom.

104.

Il faut noter à cet égard que les incitations se situent au cœur de la théorie de l’agence

105.

Dont elle n’est dans une certaine mesure que le prolongement même si on la range également dans le registre des théories néo-institutionnelles.