I) Critique des modèles de la valeur actionnariale

1) Les limites des indicateurs utilisés pour mesurer la valeur créée

Les nouveaux concepts utilisés pour rendre compte de la valeur réelle créée par l’entreprise sont tous basés sur un principe, à première vue, simple. Il s’agit de d’obtenir un retour sur investissement qui soit durablement supérieur au coût moyen pondéré du capital.

Ce surplus de valeur vient théoriquement rémunérer les risques pris par l’actionnaire. Or ce dernier est déjà rémunéré dans le coût moyen pondéré du capital à travers la prime de risque. Celle-ci comprend en effet le bêta, qui indique le risque systématique des fonds propres de l’entreprise, mesuré par la volatilité de ses titres par rapport au marché, auquel s’ajoute la prime de risque de marché correspondant à la rémunération supplémentaire exigée par les investisseurs en actions par rapport à un investissement sans risque. De ce fait le différentiel positif entre la M.V.A (ou l’E.V.A) et le coût du capital s’apparente à un superprofit (P. Fabra, 1995).

L’utilisation d’indicateurs, donnant l’apparence de simples outils techniques, pour exiger un surcroît de bénéfice pose néanmoins deux problèmes. Un problème d’ordre éthique, en particulier lorsque cette création de valeur a été obtenue aux prix de restructurations induisant d’importantes réductions d’effectifs. A cette objection, les partisans du management par la valeur mettent en avant la nécessité pour une entreprise de se centrer d’abord sur les impératifs économiques, les considérations sociales n’entrant que marginalement dans ses compétences. Le second problème porte sur le réalisme de ce superprofit. Produire avec des rentabilités qui surpassent le coût du capital signifie que les managers seraient capables de battre le marché. Or la théorie du portefeuille montre que, sur une longue période, cela est illusoire (D.R. Lee, J.A. Verbrugge, 1996). En effet, dans un environnement très concurrentiel, une entreprise qui dispose d’un avantage comparatif tel qu’il lui permet de réaliser une rentabilité largement supérieure à son coût du capital ne peut garder indéfiniment sa « rente » à moins de se transformer en monopole. Enfin, alors qu’avec ces indicateurs l’accent est fortement mis sur la rentabilité, on peut s’interroger sur la viabilité d’un modèle dans lequel le rendement des fonds propres exigé dépasse largement 15% alors que la croissance tendancielle de l’économie ne dépasse pas les 3% à 4%.

Au-delà de ces aspects techniques, la critique la plus importante des modèles de la valeur actionnariale, porte sur l’hypothèse fondamentale qui les sous-tend, à savoir l’objectif assigné à la firme de maximiser ses fonds propres.