DEUXIEME Partie. l’économie française : Une illustration des évolutions parallèles des modes de financement et de la gouvernance

Introduction

A la fin de la première partie, nous avons vu qu’il existe fondamentalement deux approches théoriques du corporate governance, une approche inspirée du capitalisme actionnarial et que nous pouvons illustrer par les modèles du Principal/agent ou encore ceux de la gestion par la valeur, et une approche partenariale, inspirée du stakeholder capitalism, et dont les modèles, encore en construction, sont essentiellement basés sur la critique des modèles de la shareholder value. Dans le troisième chapitre de cette deuxième partie, nous tenterons à travers l’analyse de l’économie hexagonale, en particulier, son mode de financement, de déterminer le modèle de gouvernance dominant au sein des entreprises françaises et comment celui-ci évolue. Dans un premier temps, nous analyserons, dans le troisième chapitre, la logique de fonctionnement de l’économie française pendant la période allant de 1945 au milieu des années quatre-vingt.

En France comme dans la plupart des pays européens, les années d’après guerre sont des périodes de reconstruction. Ce contexte propice à l’intervention publique voit une grande implication de l’Etat français dans l’activité économique. Cela se traduit par la constitution d’un large secteur public et parapublic et s’accompagne de la mise en place d’une planification destinée à fournir un cadre cohérent aux orientations économiques retenues par les autorités. Jusqu’à la fin des années cinquante, la production des entreprises publiques et privées est destinée, en grande partie, à la satisfaction des besoins domestiques. Même si la signature du traité de Rome en 1957, marque le début de l’ouverture de l’économie française sur l’extérieur, la concurrence entre entreprises reste marginale. Parallèlement à la poursuite de l’ouverture sur l’extérieur à la faveur de la construction européenne, l’Etat renforce ces aides et autres subventions aux entreprises de certains secteurs stratégiques comme il encourage le mouvement de concentration pour la constitution de champions nationaux. Devant le faible développement du marché financier, ces aides et autres subventions complètent le crédit qui constitue le mode de financement dominant de la totalité des entreprises, privées ou publiques (Section1).

Parallèlement à la gestion d’un large secteur public, Les pouvoirs publics étendent et renforcent leur emprise, déjà importante, sur le secteur financier jusqu’aux premières privatisations de 1986. Cette situation facilite l’identité de vue entre l’Etat industriel et l’Etat banquier.

Le secteur financier privé prend très peu de risque dans la mesure où le financement des grands projets industriels est pris en charge, directement ou indirectement par l’Etat, les concours bancaires ne représentant souvent qu’une partie du financement. Cette structure capitalistique assure une convergence d’intérêts entre les secteurs financiers et industriels. Celle-ci est facilitée par l’homogénéité sociale des élites qui sont en charge des divers secteurs économiques. La mainmise de l’élite administrative sur la direction des grandes entreprises (A Beitone, M Parodi, B Simler, 1994, p278) a permis d’avoir une stabilité et une cohérence du modèle français de gouvernance. Dans cette économie mixte, la rentabilité financière est un objectif secondaire. En revanche, les réussites industrielles et les aspects sociaux sont très importants. On assiste au développement d’un modèle de stakeholder capitalism conduit par le tandem Etat-élites.

Outre l’assurance de l’Etat actionnnaire/créancier, les dirigeants des grandes entreprises bénéficient des vastes réseaux d’alliance qui les protègent contre toute sanction. Même la vague de privatisations de 1986 et l’ouverture progressive de l’économie française ne produisent pas de bouleversements majeurs dans les structures françaises. En effet, le recul du rôle de l’Etat est compensé par le renforcement et la sophistication des mécanismes de noyaux durs et de participations circulaires pendant plus d’une décennie (section 2). Néanmoins, depuis l’accélération des processus de la globalisation financière mondiale et de la déréglementation des économies de l’OCDE, les modes de financement évoluent rapidement, ce qui entraîne de profonds changements des structures financières et par extension une évolution parallèle des modèles de gouvernance.

Dans le quatrième et dernier chapitre de cette thèse, nous nous servirons des données des tableaux d’opérations financières (T.O.F) pour étudier le comportement financier de quelques agents économiques, en l’occurrence l’Etat, les banques et les investisseurs institutionnels français et étrangers. L’examen du financement de la dette publique et la stratégie de placement des organismes financiers en France (section 1) nous permettra de mieux saisir l’évolution des modes de financement des entreprises françaises (section 2). Si le niveau et le mode de gestion de la dette publique ont des effets certains sur les marchés de capitaux domestiques, à travers notamment le niveau des taux d’intérêt à long terme et des primes de risque, le comportement des investisseurs institutionnels et leur degré d’aversion au risque par exemple, ont un impact direct sur le financement des sociétés 209 (section 2). Il est à cet égard intéressant de voir les liens qu’on peut établir entre la stratégie d’investissement des d’agents tels que les OPCVM, les sociétés d’assurance, la CDC, et surtout les fonds de pension étrangers, et les institutionnels non-résident de manière générale, et l’évolution des modes de financement des entreprises françaises.

Outre les modes de financement étudiées à travers les T.O.F, nous tenterons de déceler ces transformations potentielles à travers deux autres critères que sont l’évolution du taux d’autofinancement ainsi que celle des taux d’intermédiation tant de l’économie dans son ensemble que celle des entreprises non financières. La courbe des taux d’autofinancement nous fournira des indicateurs sur la santé financière des entreprises françaises. Nous verrons notamment si ces firmes arrivent à combler leur manque chronique de fonds propres. Si cette évolution se confirme, il faut alors voir dans quelle mesure celle-ci n’est pas le résultat d’un sacrifice de l’investissement, sachant que le taux d’investissement était très élevé lorsque la sphère financière était encore largement sous le contrôle de l’Etat. Les taux d’intermédiation nous donnerons des indications utiles sur le rôle des intermédiaires financiers dans les circuits de financement et à travers eux la place du crédit dans les ressources des entreprises non financières.

Par ailleurs, la montée en puissance des institutionnels, notamment étrangers, dans le capital des sociétés françaises devrait se traduire par une évolution des exigences tant en termes de retour sur investissement qu’en matière de communication financière, voire même de stratégie industrielle. En d’autres termes, l’évolution des modes de financement doit s’accompagner d’une évolution parallèle ou, du moins ex post, des normes de gouvernance hexagonales. (section 3). Pour cela, nous analyserons la composition et le fonctionnement des conseils d’administration des grandes sociétés françaises avant de terminer par l’examen de quelques opérations financières et industrielles en liaison directe avec la problématique du gouvernement d’entreprise.

Notes
209.

Même si d’autres considérations comme la structure du pouvoir, l’attitude des dirigeants et des actionnaires dominants, sont aussi des éléments déterminants dans le choix de la structure financière.